Une journée pour rendre visible des « confluences » : de nos expériences à notre raison d’être, pour autant de raisons de faire ?

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Une journée pour rendre visible des « confluences[1] » : de nos expériences à notre raison d’être, pour autant de raisons de faire ?

A la suite de l’université d’Utopia qui avait initié en octobre une rencontre entre divers mouvements[2], une journée de rencontre a eu lieu le 17 décembre à Paris. Cette nouvelle étape a rassemblé près de 50 personnes, la moitié était présente, l’autre en visio conférence. Une journée débutant avec des doutes et qui se termina avec espoir, désir et engagements !

Le matin a été consacré au partage d’expériences et à une analyse croisée. Bernard Blondin a introduit cette matinée. Engagé à Nouvelle Donne et au sein de l’Archipel Ecologie et solidarité[3]. Il a mis en valeur un des enjeux du retour d’expérience : analyser les initiatives de “politique autrement” de ces dernières années dans le champ électoral : « Nous avons repéré une inefficacité chronique si un petit groupe de personne n’est pas en appui, s’il n’existe pas des moyens de financement. Quelle stratégie pour déborder les partis politiques sans les dévaloriser, pour mobiliser les jeunesses et faire de la politique en dehors des partis ? ».
Une autre intervention a été celle de Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’université de Paris 1, il est membre du Groupement d’intérêt scientifique (GIS) Démocratie et participation. Leur site est une base de ressources extrêmement riche (https://www.participation-et-democratie.fr/) et il existe aussi un dictionnaire critique et interdisciplinaire sur la participation, la démocratie et la citoyenneté ( https://www.dicopart.fr/). Loïc Blondiaux a affirmé être « totalement étranger » à nos mouvements réunis à Sète et inversement, certains ne le connaissaient pas. Pourtant, depuis quelques années, sur les questions démocratiques et notamment sur les mobilisations locales et initiatives citoyennes, il a contribué à animer le débat public. Cela souligne combien il reste à faire pour tisser des relations entre des mondes qui contribuent à accompagner la nécessité d’une transition systémique mais à partir de son point de vue, de son identité racine.
Mathilde Imer est ensuite intervenue pour partager l’expérience de la Primaire Populaire qui avait réussi à mobiliser un grand nombre de soutiens et des moyens financiers importants pour choisir un candidat à l’élection présidentielle. Mais la Primaire Populaire avait sous-estimé la volonté des partis politiques de mettre leur survie au-dessus de toute autre considération. La question se pose pour cette nouvelle génération : est-il possible de faire de la politique sans passer par les partis politiques ? Et sur quel fonctionnement pour ne pas reproduire des pratiques critiquées et sources aujourd’hui d’une défiance forte de nos concitoyens ?  
Bastien Sibille est ensuite intervenu. Il est fondateur de la coopérative Mobicoop[4]et coprésident du collectif des Licoornes, les coopératives pour la transition[5]. Il rassemble 9 sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) : Citiz, Commown, CoopCircuits, Enercoop, Label Emmaüs, Mobicoop, la Nef, Railcoop et TeleCoop soit 127 000 sociétaires.  Leur posture est claire : ensemble pour agir ensemble et non pour se représenter ! Leur action est de plus en plus entendue notamment par les jeunes et leur ancrage territorial leur permet d’être en lien avec les collectivités locales. Ce lien avec le politique est au cœur de leur alliance : « une transition radicale ne peut se faire que si nous réinterrogeons frontalement notre rapport au capital et notre rapport à la croissance. » Leur objectif est la transformation du marché : « Nous sommes la norme de demain ». Mais tout est à faire car il ressent un plafond de verre. « Nous avons près d’un million de consommateurs, mais il en faudrait 10 millions pour assurer un véritable changement. »  Les Licoornes se posent alors des questions stratégiques : Quelle régulation politique et comment l’influer pour faire levier ? Bastien Sibille s’est déclaré intéressé pour cheminer avec nous sur cet enjeu des confluences et peut nous partager leur expertise sur les enjeux économiques et d’organisation en mode coopératif.

Enfin, Pierre-Alain Cardona a pu partager l’expérience d’une « certaine fabrique de la ville » à Marseille autour des expérimentations portées par des collectifs d’associations et d’habitants notamment à Noailles ou au sein du Collège des maîtrises d’usages. Expériences déjà partagées au sein de l’Eccap[6]. Cette expérience marseillaise, se réclame d’une culture municipaliste ou communaliste. Transformer la société ne passe pas uniquement par la conquête d’un pouvoir électif et ne s’inscrit pas nécessairement dans un calendrier électoral. La co-construction des politiques publiques peut permettre de réaliser des transformations dans une relation plus mature entre élus, techniciens et une société civique autonome. Cette approche politique est complémentaire de la démocratie partisane mais il y a la nécessité de la relier à bien d’autres initiatives locales qui font sens mais pas encore système. 

De nombreuses contributions dans la salle ont évoqué le besoin d’une ingénierie démocratique croisant technique et militance pour aboutir à un récit commun car le nombre de projets est considérable. Comment alors arriver au point de bascule ? Avec une vitrine commune, avec une réflexion autour de leadership collectif et avec qui allons-nous le faire : le salariat, les milieux populaires ?

Patrick Viveret a conclu en rappelant que c’est bien la première fois qu’une tentative de retours d’expériences est lancée à cette échelle. « La pirogue REX doit se poursuivre : nous devons continuer cette analyse avec d’autres réseaux et de nouveaux regards comme celui porté par Loïc Blondiaux. Quels liens avec les tentatives du courant autogestionnaires des années 70, avec les expériences de Nuit Debout, des Gilets jaunes et des nombreuses tentatives internationales ? »

Ces initiatives présentées démontrent que le besoin de confluence est réel mais qu’il suppose une organisation qui permette de passer de l’intention aux actes. 

Cela a été le programme d’une après-midi très attendue ! Introduite par Indirah Osumba qui a rappelé le processus d’élaboration de cette raison d’être à partir du texte co-écrit à Sète. « Il a été nécessaire de mieux partager cette raison d’être et de lever un certain nombre de doutes depuis Sète ». Un premier dialogue s’est tenu entre Patrick Viveret et Laetitia Delahais, du mouvement des Colibris sur la raison d’être d’un espace de reliance pour agir ensemble, avec enthousiasme et désir.

Patrick Viveret a rappelé ce qui fait sens dans cette initiative : « Nous questionons alors un nouveau rapport au vivant, au social, au politique, avec changement de rapport au pouvoir. L’alliance des forces de vie à toutes les échelles, locales, nationales, européennes et internationales doit nous permettre de sortir d’une logique de domination et de prédation pour créer une puissance créatrice démultipliée par la coopération. Les confluences doivent nous peermettre de nous penser, non en surplomb mais dans une logique de service, au service des initiatives existantes et notamment des nouvelles générations.

Laetitia Delahais a présenté la nouvelle dynamique en cours au sein du mouvement des Colibris en rappelant que nous partageons le même constat : de multiples initiatives mais peu de reliance. Alors que si on agit en relation avec une diversité d’acteurs (élus, professionnel, entreprises, citoyens organisés ou non) nous constatons l’accélération du projet de bascule et de transformation. » Cette dimension au sein des Colibris a été analysée aussi par une recherche-action en cours qui a permis de trouver les espaces de reflexivité nécessaires.

C’est pourquoi la campagne Nouvelle (R)[7] dont Patrick est parrain permet de questionner le changement d’échelle. « Il faut le massifier dans une perspective de bascule systémique et radicale » en s’appuyant sur des projets de monnaies locales, alimentaires, démocratiques… Appelé Territoires d’expérimentations, cette campagne s’inscrit à la fois dans le temps long (5 ans) et s’ancre sur des territoires : 6 territoires pour commencer afin d’y relier les initiatives et de mobiliser la plus grande diversité d’acteurs. « Nous avons besoin de nous relier, c’est pourquoi je suis ici avec vous » dit-elle. Comment alors penser à l’animation de cette confluence ? Les Colibris se proposent d’y contribuer avec nous. Elle conclue par ces mots : « Nous sommes partants pour nous relier à la dynamique en place, nous organisons un grand festival les 6, 7, 8 mai 2023 (où vous êtes toutes et tous les bienvenu.es ) où il y aura des espaces de co-construction des défis ! A nous de le faire ensemble ! »

Les échanges qui ont suivi ont été riches de partage d’expériences et d’analyses. Et mes notes ne peuvent avoir aucune prétention à l’exhaustivité. Des enjeux de circulation de l’information ont été abordés, d’organisation, de documentation de nos processus sans omettre toutes les échelles. Certains témoignent de leur engagement dans la campagne des Colibris, là où ils vivent et expriment ce besoin d’ancrage pour agir. D’autres évoquent aussi la situation internationale et la montée des populismes et des extrêmes droites partout dans le monde. Les convivialistes questionnent la démocratie du faire pour sortir les citoyens de leur désarroi.

Comment mobiliser des personnes au-delà de nos cercles ? Comment utiliser aussi d’autres formes d’écritures et d’expression ? « De la poésie, de la culture, de l’éduc pop, des initiatives sauvages ? ». Comment organiser des échanges autour de nos points aveugles avec la difficulté de les traiter sans faire polémique ?

Après avoir partagé et clarifié notre raison d’être, nous nous sommes donnés ensuite des raisons de faire !

Des pirogues comme autant d’ateliers de travail. Des premières mises à l’eau : autour du nucléaire civil et militaire, poursuivre l’analyse des d’expériences, développer notre vision de « l’écoosystème »[8], ou bien le projet de l’Eccap en communs.

Des premiers rendez-vous en 2023 dans une logique de contribution :

– Le festival des Colibris les 6, 7, 8 mai 2023. 

– Le Festival des idées et les dialogues en humanité en juillet 2023.

– L’université d’Utopia en octobre à Sète.

– Les rendez-vous de Cluny, rencontre des pensées écologiques, à l’automne.

Des premiers rendez-vous en 2023 dans une logique de catalyse à initier dans une dynamique de confluences. Elles ne pourront se faire que si nous sommes en capacité d’ouvrir un espace accueillant aux échanges et invitant réseaux et personnes qui ne pourraient se retrouver autrement. 

– Une journée sur les enjeux européens autour de la question d’une nouvelle géopolitique avec des partis et mouvements qui ont des désaccords « supposés » sur ce sujet.

– Une journée sur les projets d’ecoosystème : organiser concrètement ce que nous réclamons (de nouvelles formes d’échanges, de nouvelles formes démocratiques). Un enjeu pour faire le point avec les acteurs investis, le collectif pour la transition citoyenne (CTC) et des institutions locales.

– Une journée autour des cahiers d’avenir partagé en lien avec l’association des maires ruraux, les Colibris ou le Pacte du pouvoir de vivre. 

Et enfin, et ce n’est pas la moindre ambition, un navire-atelier qui va tenter de faire le lien et de questionner ses moyens pour que nos intentions deviennent des actes inscrits dans le temps long… Vous êtes les bienvenus !

Pierre-Alain Cardona.

[1] Le terme Confluence est utilisé en Espagne par le mouvement municipaliste pour désigner les convergences entre mouvements citoyens contribuant à des transformations politiques et sociales : Lire notamment l’article d’Élisabeth DAU, « L’expérience municipaliste. Un autre possible politique depuis les villes et les villages », Revue du MAUSS, 2019/2 (n° 54), p. 69-79. DOI : 10.3917/rdm.054.0069
[2] https://eccap.fr/article/retour-de-sete-leccap-prend-la-mer-au-sein-de-larchipel-des-confluences/636299867e90240016e3cdfa
[3] https://archipel.ecolosolidaire.org/
[4] https://www.mobicoop.fr/
[5] https://www.licoornes.coop/
[6] https://eccap.fr/article/le-projet-partenarial-damenagement-ppa-en-centre-ville-de-marseille-une-opportunite-pour-coconstruire-la-ville-avec-ses-habitants/62c2fd54534a400016e6a2f4
[7] https://colibris-lemouvement.org/nouvelle-r/?PagePrincipale
[8] https://transition-citoyenne.org/lecoosysteme/