Un sujet oublié : les prisons en France

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Quelle étrange construction à l’entrée de la galerie marchande du Géant Casino d’Aix-en-Provence. Une cabane en bois ? Un cube, avec des barreaux à la fenêtre. A quoi cela peut bien servir ?

Nous sommes au mois de novembre 2022, ce sont les 29e journées nationales sur les prisons (JNP). Le thème de ces journées : « pauvreté dedans, pauvreté dehors ». A cette occasion, le groupe local de concertation prison (GLCP) propose de découvrir pendant quelques jours la réplique d’une cellule de la prison d’Aix-en-Provence, située à Luynes.

Qu’est-ce que ce groupe local de concertation ? Il est constitué des associations et aumôneries qui interviennent au sein du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes et qui participent ensemble à des actions solidaires dans la prison (préparation de colis de Noël, apport de vêtements, accompagnement et formations diverses)

Il rassemble l’ANVP (visiteurs de prisons), les aumôneries catholiques, musulmanes et protestantes, la Croix rouge française, ECTI Insertion, l’Entraide protestante, la Halte Vincent (accueil des familles à la prison), le Secours catholique, la Cimade, les Restos du cœur.

Ce 16 novembre 2022, voilà donc une équipe représentant toutes ces associations en train de bâtir dans la galerie marchande du Géant Casino cette « cabane », une reproduction en bois, à l’identique, d’une cellule de la prison d’Aix 2 : 9m2, un jeu de lit superposé, un matelas glissé sous le lit et que l’on tire pour dormir quand trois personnes détenues vivent dans ces 9m2.

C’est fréquent à Aix, la prison, conçue pour accueillir 1 400 personnes détenues en compte aujourd’hui près de 2 000.

Intrigués en arrivant dans la galerie marchande, les passants demandent s’ils peuvent entrer, regarder. Ils sont souvent surpris, nous sommes en effet loin des séries américaines sur la prison : une porte battante (comme une porte de saloon) pour isoler les WC et la douche, une table, une fenêtre grillagée, un frigo (payant) une télévision (payante) une plaque chauffante (que la personne détenue doit acheter) …

Comment faire si tout cela est payant ? En prison, l’argent est le nerf de la guerre, encore plus qu’à l’extérieur. Il faut de l’argent pour « cantiner » : acheter des produits alimentaires pour compléter la nourriture proposée, acheter des produits d’hygiène, payer le téléphone, payer la télévision (14,15 € par mois, 7,10 € si l’on est deux dans la cellule), payer le frigo (4,10 € par mois).

Peu de personnes détenues ont la possibilité de travailler. Et quand elles le peuvent, un emploi en prison est 4 à 5 fois moins payé qu’à l’extérieur. Beaucoup de personnes détenues n’ont aucun revenu. Si l’on ajoute à cela l’éloignement de leur famille, les conditions de vie sont souvent difficiles.

Voilà ce que les bénévoles qui se relaient expliquent aux passants de la galerie marchande. Plus de 700 personnes prennent le temps de venir « visiter » cette cellule pendant les trois jours où elle est exposée. Les questions sont nombreuses : comment vivre correctement ainsi, dans si peu d’espace ? Comment se former ? se soigner ? L’Europe a plusieurs fois condamné la France pour la surpopulation et les mauvaises conditions de vie dans les prisons ? Qu’est-ce que cela a changé ?

Parmi les visiteurs beaucoup d’enfants, d’adolescents, viennent voir, curieux, et questionnent ; d’anciennes personnes détenues, des familles de personnes détenues, des personnes réticentes à cette action : l’occasion d’une réflexion sur la prison, sur les peines alternatives à la prison, sur ce qui est proposé et accessible en prison : formation, réflexion, accompagnement.

Les bénévoles informent sur le dispositif des « Codétenus de Soutien », proposé par la Croix rouge et l’administration pénitentiaire, sur la prévention du suicide en prison (risque 7 fois plus élevé que dans le reste de la population). Des personnes détenues sont formées spécifiquement et sont ainsi à l’écoute des autres détenus qui ont besoin du soutien de leurs pairs à des moments particuliers de leur détention.

La prison reste pour beaucoup de visiteurs un lieu mystérieux, sur lequel on est mal informé. Faire connaître les conditions de vie dans les prisons françaises, c’est vraiment le but de ces journées. Instaurer un dialogue : pour les bénévoles présents il ne s’agit pas de juger de ce qui se passe dans la prison mais de parler de leur expérience, de ce qu’ils vivent dans la prison, de s’interroger sur la politique pénale de l’État français.

Une expérience similaire avait eu lieu à Aix-en-Provence en 2017 dans la galerie marchande de Carrefour, et à trois reprises entre 2016 et 2021 à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence.

Rien de tel que de toucher du doigt, d’une manière très concrète, en entrant dans cette cellule, ce qu’est aujourd’hui la prison, pour que surgissent questions et réflexions.

Marie Véronique Raynaud est membre du groupe local de concertation prison (GLCP).