Un revenu d’existence du niveau du RSA serait-il un « changement de cap » ?

Revenu d'existence
Un revenu d’existence du niveau du RSA 
 serait-il un « changement de cap » ?
 
LÉON RÉGENT
 
Léon Régent, ingénieur X-Télécom en retraite, marié et père de quatre enfants, a mené l’essentiel de sa carrière professionnelle à France Telecom. Il l’a terminée place Beauvau, où il a retrouvé, impuissant, les rigidités de gestion des “PTT” de 1970… en pire !
Il découvre le revenu d’existence en 2012 par la thèse de Marc de Basquiat. Pragmatique et non pas idéologue ou politique, il est séduit par la solidité et la simplicité de ce projet. Il adhère à l’AIRE en 2014. Il cherche concrètement comment, techniquement, le mettre en œuvre, et arrive à la conclusion qu’il faut commencer par les enfants pour éviter l’ambition trop grande de tout changer en même temps.
Il publie début 2018 « La face cachée des prestations familiales. Projet de simplification » aux éditions de l’AIRE. Site web : leonregent.fr
 
 
A l’évidence, un revenu d’existence de 1000 € par mois financé par création monétaire serait un vrai changement de cap, une rupture. Mais que penser de la proposition de l’AIRE (Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence) d’un montant d’environ 500 € par adulte financé classiquement par l’impôt : 30 % du revenu, remplaçant l’IR ?
 
Précision d’importance : les aides au logement demeurent, ainsi que d’autres avantages, comme la complémentaire santé. Un locataire inactif touche et continuera à toucher beaucoup plus que 500 €.
 
La redistribution financière actuelle prend des formes  diverses : aides (RSA, prime d’activité…), allocations (familiales, handicap…) et impôts (sur le revenu, sur le patrimoine). Ces dispositifs, bardés de conditions et d’effets de seuils, gérés par différents ministères, produisent un résultat total auquel on s’intéresse rarement. Bien sûr, l’État majore le revenu des plus pauvres (aides) et réduit celui des plus aisés (impôts), mais de combien ? Voici le montant total de son action selon le salaire du foyer, hors APL et avantages divers, dans trois cas simples : un célibataire, un couple, un couple avec quatre enfants.

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Pour un célibataire, la courbe noire ressemble fort à une droite, figurée en pointillés. Elle commence à 520 € (RSA et prime de Noël), et sa pente moyenne est de 30 %. Les irrégularités sont la conséquence de la multiplicité et de la complexité des dispositifs accumulés au fil du temps.
Pour les couples aisés sans enfants, la courbe est aussi une quasi droite, mais il y a un décrochement pour les couples pauvres : ils touchent un RSA bien inférieur à celui de deux célibataires. Cette injustice leur barre l’accès au mariage, ou les conduit à cacher un lien conjugal – l’administration traque les « tricheurs » par des questionnaires intrusifs et des enquêtes.
Pour un couple avec quatre enfants, on constate que l’État ajoute environ 900 € quel que soit le niveau de revenu. Cette somme (200 à 250 € par enfant) est l’addition d’une dizaine de causes : RSA et prime d’activité familialisés, allocations familiales, complément familial, prestation d’accueil du jeune enfant, allocation de rentres scolaire, quotient familial, décote de l’impôt sur le revenu…
 
La proposition de l’AIRE est une simplification radicale : passer des courbes en trait plein aux pointillés : 520 € par adulte dès 18 ans, 200 à 250 € par enfant selon l’âge, et un impôt de 30 % sur tous les revenus nets, remplaçant l’impôt sur le revenu.
Cette proposition n’engendre donc pas de coût supplémentaire, sauf pour les « oubliés » d’aujourd’hui : principalement les couples pauvres (le revenu d’existence est individualisé), les 18-25 ans, et bien sûr les « non-recours ».
Le champ de cette réforme est volontairement limité : on ne touche pas au logement, aux retraites, à la santé, au chômage, aux gardes d’enfants… L’AAH (handicapés) et l’ASPA (ex-minimum vieillesse) sont remplacés par un complément au revenu d’existence pour un effet équivalent.

TOME 1 : ENFANTS

­TOME 2 : ADULTES

Concrètement, on pourrait procéder en deux étapes : d’abord remplacer les prestations familiales par une allocation familiale unique, puis passer aux adultes. Deux livres librement téléchargeables décrivent en détails chacune de ces étapes. Ils braquent volontairement le projecteur sur les points délicats et des variantes possibles.

 
 
 
 
Pourquoi changer, si la situation financière de la plupart des foyers ne s’en trouve quasi pas modifiée ? Pour deux raisons au moins !
Tout d’abord, le nouveau système coûterait à terme infiniment moins cher à gérer, côté administration mais aussi côté administrés : moins de démarches, moins de recours à des conseils.
Surtout, il y aurait un vrai changement : le passage de l’opacité à la transparence. Illustrons-le à partir du cas réel d’une personne qui s’est trouvée brutalement sans ressources. Il lui a fallu des heures pour faire et refaire sa demande de RSA. Une vingtaine de justificatifs ont été exigés !
Ce qu’elle touche enfin lui est notifié… avec des libellés incompréhensibles :

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Quel rapport entre ces montants et le chiffre d’affaire d’auto-entrepreneur de 604 € déclaré le trimestre précédent ? A quoi doit-elle s’attendre si son chiffre d’affaire change ? Il lui est impossible de le savoir. Les simulateurs officiels en ligne, eux-mêmes dépassés, sont en pratique inutilisables.

La CAF n’est pas responsable de cette maltraitance administrative. Pour expliquer, il lui faudrait remplacer ce relevé par trois pages de calculs !
 
Chacun ne peut connaître qu’un peu de ce qui le concerne. S’agissant par exemple des enfants, les familles pauvres sont sensibles à l’allocation de rentrée scolaire, et les familles aisées aux réductions d’impôts. Chacun défend ce qu’il connaît : l’opacité du système dresse les classes sociales les unes contre les autres.
 
Le gouvernement et les députés sont dépassés eux aussi. Quand il faut calmer des manifestations, ils votent une rustine de plus dans l’urgence. Ils multiplient ainsi les incohérences que l’administration cache dans des algorithmes opaques.
 
L’enjeu majeur du revenu d’existence de l’AIRE pourrait être la fraternité :
 un même dispositif pour tous, simple et transparent.
 
 
 
S’agit-il d’un « changement de cap » révolutionnaire ? Oui. En effet, ce projet réaliste, relativement facile à financer et à mettre en œuvre, est beaucoup plus radical qu’un rêve plus ambitieux qui ne verrait jamais le jour. Cette radicalité peut être perçue comme une menace, puisque le revenu d’existence menace les organisations dont la raison d’être est de gérer la complexité. Il menace les élus, qui ne pourront plus faire de promesses démagogiques ciblées sur leur électorat.
 
Où trouver le courage d’affronter ces obstacles ?
Dans la prise de conscience qu’on est arrivé au bout du bout de ce que le fonctionnement actuel peut produire de bon. Un système illisible condamne en effet les acteurs à des manifestations violentes pour réclamer plus, sans conscience ni de la faisabilité, ni des conséquences. L’exaspération est nourrie par la complexité et l’ineptie croissantes des lois et décrets. Si l’on ne change pas pacifiquement de cap, une « explosion » va se produire. Le résultat sera infiniment loin des rêves des utopistes : tous seront perdants.
 
Comment expliquer que la voie vers une société plus fraternelle aujourd’hui en France est la simplification et la transparence, et non plus une « générosité » plus grande ? Par la pratique ! Avec une « allocation familiale unique » ne dépendant ni des revenus du foyer, ni de sa composition, chacun pourrait voir, dans son quotidien, l’utilité d’une telle mesure.
 
Le succès de cette première réforme montrera la vraie place de l’État national : non pas traiter tous les cas particuliers avec des bases de données inquisitrices, mais fixer un cadre financier simple, universel, individuel et inconditionnel à l’intérieur duquel les acteurs locaux pourront agir de manière personnalisée. Il permettra de  poursuivre avec d’autres réformes, plus sensibles : le revenu d’existence pour les adultes, les retraites, les cotisations sociales…
 
Libéré d’une bureaucratie étouffante, chacun pourra mieux vivre selon ses souhaits.