Un monde économique à bout de souffle

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(extraits de l’article paru en 2011 sur le site Garrigues et Sentiers).

Une dynamique économique et sociétal qui repose sur la productivité du travail et la croissance.

Jean Fourastié avait publié en 1949 un livre intitulé sans barguigner « Le grand espoir du 20ème siècle ». Il y montrait que la productivité du travail était la source de l’augmentation des richesses économiques. Si une usine d’automobiles produit deux fois plus de voitures avec le même nombre de salariés la productivité du travail a doublé. Si un agriculteur produit deux fois plus de quintaux de blé à l’hectare, sa productivité a doublé. Grâce aux progrès scientifiques et techniques, on considérait que l’augmentation de la productivité du travail finirait bien par profiter à l’ensemble des hommes.

Jean Monnet qui avait appelé Jean Fourastié au commissariat du Plan écrit dans ses Mémoires ; « Je fis confiance à Fourastié qui voyait clair et loin…C’est à travers le Plan et ses commissions de Productivité qu’il a pu faire passer dans la réalité sa conception d’un effort de production plus utile, plus rationnel et plus efficace qui libère l’homme des servitudes les plus pénibles ». Le livre a connu bien des rééditions. Dans celle  de 1989, quarante ans après la première parution, la présentation soulignait à juste titre  que les grandes tendances révélées dans le livre s’étaient bien réalisées, tout en reconnaissant que le bonheur attendu de l’augmentation du niveau de vie n’était pas au rendez-vous.

Parallèlement à la productivité du travail, la notion de croissance du Produit Intérieur brut (PIB), qui mesure les richesses économiques produites dans un pays au cours d’une année, a joué un rôle central dans l’idéologie économique, c’est-à-dire les idées les mieux partagées par tout un chacun.  On a pu parler à juste titre de religion du PIB au sens où c’est bien la boulimie du toujours plus qui tient lieu de ciment dans notre société. Comme le dit Maurice Bellet dans son livre « La seconde humanité » ayant pour sous titre « De l’impasse majeur de ce qu’on appelle l’économie » « c’est la fuite en avant qui permet de tenir debout, c’est la boulimie d’innovation, de production, de vente, de chiffre d’affaires, de consommation qui est l’équilibre même de l’homme de l’écorègne ».

La religion de la croissance du PIB faisait à peu près l’unanimité au Nord qui dominait le monde, car les Etats providence assuraient dans un cadre national les progrès de l’éducation et de la santé avec un système de protection sociale performant. L’équilibre des forces entre capital et travail était assez bien assuré grâce aux syndicats. Durant cette période, l’augmentation des richesses économiques était la finalité dernière, mais le caractère néfaste de la primauté donnée à cette finalité n’apparaissait guère compte tenu des régulations exercées par les Etats nationaux, compte tenu du fait que tout le monde en « profitait » peu ou prou. Ceci étant, les valeurs du capitalisme triomphaient. Le communisme soviétique avait réduit ses ambitions à l’idée qu’il allait se montrer plus efficace que le capitalisme dans l’augmentation du niveau de vie. Le mouvement ouvrier français avait rangé au placard les valeurs qui étaient les siennes à l’origine du socialisme. Il se souciait principalement d’avoir sa part du gâteau de la croissance.

La mondialisation comme nouvelle étape dans l’autonomisation de l’économie.

On peut considérer que le triomphe du libéralisme économique promu  par Margaret Thatcher et Ronald Reagan dans les années 1980 n’a été qu’une nouvelle étape de cette autonomisation de l’économie par rapport au politique. On assiste alors à une dérégulation des économies et du système bancaire, à une mise en concurrence généralisée avec cette idée que l’abaissement des barrières douanières va entraîner des progrès pour tous. Mais jouer sur la mondialisation n’est pas à la portée de tout un chacun. Ce sont par définition les multinationales qui peuvent en profiter. Elles font du dumping social en recherchant les lieux de production où les salaires sont les plus faibles, elles font du dumping fiscal en installant leurs activités là où la taxation des entreprises est minimale et elles  profitent de toutes les facilités que leur offrent les paradis fiscaux[1]. C’est la loi de la jungle où les plus forts l’emportent. Les inégalités se creusent dans tous les pays entre ceux qui profitent du système et ceux qui en sont exclus, en Chine comme aux Indes. Quant à la France, c’est à partir du milieu  des années 1980 que les inégalités se sont accrues. La part du 1% les plus riches est passée de 7% à 9% du revenu national au cours des vingt dernières années[2]. La situation se détériore pour les plus démunis, mais grâce à notre protection sociale qui se maintient vaille que vaille, la France demeure après les pays nordiques parmi les pays les moins inégalitaires de la planète.

Frivolité de la valeur[3].

Il est important de souligner l’évolution de la « science » économique à partir du marginalisme qui considère que la valeur d’un bien ne dépend plus du volume de travail qu’il a fallu dépenser pour le créer, mais de la désirabilité du consommateur à l’égard de ce bien. Le mouvement d’abstraction, pourrait-on dire, a eu son parallèle dans l’évolution historique du capitalisme.   D’abord commercial, puis industriel, le capitalisme est devenu financier au cours des siècles. « La question de la valeur des choses est devenue obsolète sous toute autre forme que leur valeur monétaire telle qu’elle se présente sur le marché »[4].Charles Péguy parlant de l’argent en juillet 1914, écrivait déjà : « …l’appareil de mesure et d’échange et d’évaluation a envahi toute la valeur qu’il devait servir à mesurer, échanger, évaluer. L’instrument est devenu la matière et l’objet et le monde…c’est un évènement aussi monstrueux que si l’horloge se mettait à être le temps… »[5].  Ces dernières décennies, la finance internationale a créé de nouveaux objets financiers si compliqués que le banquier ne sait pas ce qu’il vend à « un client qui ne sait pas ce qu’il achète ». La dérégulation des banques et du secteur financier a entraîné une économie financière spéculative et il y a maintenant  « une finance de marché non contrôlée qui représente 20 à 30 fois la valeur de l’économie réelle »[6]

Les actionnaires et les consommateurs font la loi.

Cette autonomie de l’économie par rapport au politique fait système et le consommateur a pris le pas sur le citoyen.  Dans le supercapitalisme[7]  ce sont les consommateurs et les actionnaires qui font la loi. Robert Reich montre que les évolutions techniques rapides et la mondialisation ont entraîné une grande incertitude pour les entreprises, les amenant  à s’adapter constamment à un univers changeant. Les entreprises ne garantissent plus la stabilité de l’emploi à leurs salariés. Une compétitivité toujours plus féroce les amène à piloter à vue et à se comporter comme si les salariés étaient un moyen de production comme un autre, comme le sont les machines et les équipements. La grande distribution fédère les intérêts des consommateurs, ce qui lui permet  de faire pression sur les agriculteurs et les industriels pour qu’ils abaissent leurs prix. Si les producteurs régionaux ou nationaux ne veulent pas ou ne peuvent pas baisser leur prix, on achète à l’étranger grâce à la mondialisation, aux facilités de communication et de transport avec le pétrole bon marché. Le consommateur est gagnant. L’actionnaire aussi car il exige une rentabilité des capitaux de plus en plus élevé. Cela se fait aux dépens des salariés. Le salarié  est jetable[8]. Et pour permettre aux entreprises d’être plus compétitives, on tend à remettre en cause l’Etat providence, à réduire les charges sociales.

Au niveau mondial, comme  l’a souligné depuis longtemps  le Programme des Nations Unies pour le Développement, la croissance ne se fait pas au profit des besoins essentiels.

« L’augmentation de la consommation à l’échelle de la planète ne se fait pas en direction des plus nécessiteux. La consommation progresse rapidement  pour les riches mais plus d’un milliard de personnes en sont exclues ».  Pour plus d’un milliard de personnes une augmentation de la consommation serait vitale. Pour les nantis, en revanche, l’escalade de la consommation est devenue une drogue. La diffusion par la publicité de « normes de consommation » est favorable à la consommation de produits de luxe qui augmente plus vite que celle de la production des produits de première nécessité[9].

De la publicité dépend en France l’équilibre économique des medias, on comprend alors qu’il est difficile de remettre en cause la publicité et toute la logique économique dont elle est l’instrument.

Perte de sens de la productivité du travail et de la croissance.

La productivité du travail a une signification relativement claire lorsqu’il s’agit de produire des biens agricoles ou industriels. Mais comment mesurer la productivité du travail d’un enseignant ou  d’un médecin ? Or les services représentent aujourd’hui les deux tiers de l’activité économique. Le rédacteur en chef d’Alternatives Economiques rendant compte du livre de Jean Gadrey « Services : la productivité en question » écrivait : « La définition du produit dans les services pose de difficiles problèmes méthodologiques qui rendent périlleux tout calcul des gains de productivité. Une catastrophe pour les économistes, car cette remise en cause conduit à contester…la notion même de croissance économique…: c’est la capacité même de la science économique à fournir des outils permettant de juger de l’efficacité du système économique qui est remise en cause »[10].

Dans les pays riches, il n’y a plus corrélation entre augmentation du niveau de vie telle que nous le calculons avec le PIB et la qualité de la vie sociale. Si l’on prend l’exemple des E.U. un indicateur de « santé sociale » a été créé qui regroupe des indicateurs concernant les inégalités entre riches et pauvres, la mortalité infantile, la pauvreté infantile, le suicide des jeunes, les homicides, l’usage des drogues chez les adolescents, le chômage, la pauvreté des personnes âgées etc. Jusqu’au début des années 70, le PIB et l’indicateur de santé sociale ont progressé parallèlement, il y a eu ensuite un décrochage spectaculaire. Le PIB a poursuivi sa progression pendant que l’indicateur de santé sociale a chuté brutalement[11].

Les critiques qui pouvaient être faites à l’économisme, c’est-à-dire à la domination de la société par l’économie, ont été nombreuses et venaient d’horizons très différents. Elles ont été particulièrement marquées au tournant du 19ème et du 20ème siècle. La naissance de la sociologie peut-être interprétée comme une volonté de comprendre la société à une époque où la recherche par chacun de son intérêt personnel devenait un ferment de destruction du vivre ensemble. A cette même époque Charles Péguy écrivait ses textes sur l’argent. Mais toutes les analyses critiques et mises en garde sont restées sans effet. L’autonomie de l’économie par rapport à des finalités éthiques et politiques s’est accentuée pour aboutir au caractère démentiel de la crise actuelle. On est passé de l’argent roi à l’argent fou.

Les contraintes écologiques obligent à revoir nos modes de production et de consommation.

Aujourd’hui le réchauffement climatique, la raréfaction de ressources non renouvelables comme le pétrole ou les minéraux, l’exploitation excessive des ressources renouvelables auxquelles on ne laisse pas le temps de se renouveler (les ressources de la pêche, les nappes phréatiques…) amènent à reconnaître qu’il faudra revoir radicalement nos modes de production et de consommation.

Le caractère néfaste des modes de calcul de la productivité du travail apparaît nettement. Lorsqu’un agriculteur produit deux fois plus de quintaux à l’hectare, on ne prend pas en compte les dégâts sur l’environnement qu’entraîne souvent l’agriculture industrielle : pollution venant de l’utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires, dégradation des sols, épuisement des nappes phréatiques, réduction de la biodiversité. Un certain mode de calcul de l’efficacité comptait pour rien les ressources naturelles qui paraissaient surabondantes. L’économiste René Passet était bien isolé quand il critiquait une science économique qui amène « à développer une logique et à inspirer des actions qui s’inscrivent en contradiction formelle avec les mécanismes présidant à la reproduction du vivant »[12].

Prise de conscience que la croissance n’est pas le remède magique.

Le petit livre de Jean Gadrey « Adieu à la croissance » paru en 2010 est représentatif du tournant pris par certains économistes. La croissance, écrit Jean Gadrey, était considérée comme « le remède magique à toutes les inégalités et injustices ». « Nous tenions tous de tels raisonnements…il y a quelques années ». Enfin presque tous. Quand certains d’entre nous critiquaient l’illusion de la croissance comme LA solution à tous nos maux, des amis de la revue Alternatives Economiques nous répondaient : « Peut-être avez-vous raison mais on ne sait pas faire autrement ». Ils cherchaient des réponses à l’intérieur de la logique économique du toujours plus de richesses économiques, sans remettre en question cette notion même de  richesse. Denis Clerc qui a fondé en 1980 le mensuel Alternatives économiques peut être fier du chemin parcouru puisque Alternatives économiques est un mensuel économique à fort tirage, reconnu pour sa qualité, qui s’est constamment battu pour plus de justice sociale et contre le dogmatisme du libéralisme économique. Mais Denis Clerc en octobre 2010 pour le numéro du trentième anniversaire[13] reconnaît qu’Alternatives économiques a participé au mythe de la croissance comme préalable à la solution à tous les problèmes. Il note « l’ambiguïté entretenue sur la question de la croissance, depuis le début du journal ». Tout en rappelant  que les questions de maîtrise de l’énergie, de pollution, de course au « toujours plus » ont été une thématique très présente dans le journal, il écrit : « Mais d’un autre coté, la liste des articles critiquant telle ou telle mesure au motif qu’elle ne favorisait pas la croissance, le pouvoir d’achat et l’emploi est infiniment plus longue ». Autrement dit, la croissance et ses effets bénéfiques pour l’emploi restaient en dernier ressort LA finalité. Le livre de Jean Gadrey a convaincu Denis Clerc qu’il faut cesser d’être chauve-souris et qu’il faut trancher : « On ne peut plus être favorable à la croissance dans le court terme et réservé ou critique dans le long terme ». Il considère qu’il faut articuler écologie et économie et que la tâche d’Alternatives Economiques pour les trente ans à venir sera de chercher un modèle viable pour nos petits enfants sans qu’aujourd’hui devienne invivable.

Articuler écologie et économie, certes, mais c’est insuffisant.

Les modes de production et de consommation sont remis en question par les impasses écologiques. Est-ce que cela veut dire que l’économisme qui entraîne à l’heure actuelle misère et exclusion pour une grande partie de la population dans le monde va évoluer vers un système plus vertueux ? Rien n’est moins sûr. On peut craindre au contraire que les luttes pour contrôler les matières premières accentuent les conflits entre nations, que la guerre économique et la recherche de la compétitivité dans une économie mondialisée ne détruisent les systèmes de protection sociale. Nous sommes à la croisée des chemins comme l’exemple de l’Irlande peut l’illustrer. L’Irlande était vantée avant la crise pour sa réussite économique et sa forte croissance. Ses succès venaient de ce qu’elle pratiquait le dumping fiscal en taxant peu les entreprises qui avaient tout intérêt à venir s’y installer. Aujourd’hui le déficit budgétaire de l’Irlande a atteint de telles proportions qu’elle ne peut plus emprunter qu’avec difficulté et à des taux très élevés. Pour combler le déficit, certains considèrent que l’Irlande doit augmenter le taux d’imposition des entreprises. Récemment un économiste considérait au contraire que c’est une mauvaise solution, et que l’Irlande pour rester compétitive doit maintenir un faible taux d’imposition des entreprises et tailler dans les dépenses sociales.

Pour espérer une évolution favorable plus soucieuse du bien commun, on ne peut pas s’en remettre à l’idée que les nécessités écologiques vont nous mettre sur la bonne voie. Non, il faut avoir en tête les critiques faites à l’économisme au nom d’une certaine idée de l’homme. Se convaincre avec Gandhi que la terre peut nourrir tous les hommes mais pas leur cupidité, ou encore qu’il faut vivre simplement pour que simplement les autres puissent vivre. Se convaincre avec Péguy  que c’est le travail individuel ou collectif à faire en art, en science, et en philosophie qui est indéfini et non pas l’accumulation de richesses matérielles. Au risque de paraître bien naïf, il faut poser la question : produire et consommer pour répondre à quels besoins ? Simone Weil considérait que, de même que les besoins de nourriture, de sommeil, de chaleur étaient nécessaires à la vie du corps, il fallait tenter d’énumérer les besoins de l’âme, faute de quoi les gouvernements étaient condamnés à s’agiter au hasard. Il faut ouvrir un débat à tous les niveaux pour discuter des finalités en fonction des besoins. Tout en étant  conscient de la difficulté de ce débat, car il faut se méfier de la prétention  de définir les besoins objectivement valables pour toutes les populations, tous les pays et tous les continents. Les mesures quantitatives sont intéressantes, comme le nombre de dollars disponibles par personne, mais elles sont souvent sans grande signification. Le livre de Majid Rahnema « Quand la misère chasse la pauvreté » critique la colonisation par le modèle occidental des esprits des riches et des pauvres, au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest[14].

Pour une économie qui serait au service des besoins essentiels.

Remettre l’économie sur ses pieds serait la mettre au service des besoins essentiels à satisfaire. Pour les tenants de la « science » économique cette affirmation n’a pas de sens car ce qui se vend correspond évidemment à un besoin, et l’on ne voit pas pourquoi certains pourraient prétendre définir les besoins essentiels[15]. Il n’empêche que la communauté internationale a cru bon de définir ce que l’on appelle les objectifs du millénaire qui représentent bien une certaine idée des besoins essentiels à satisfaire. En 2000, à l’ONU, 189 pays avaient défini 8 objectifs à atteindre en 2015, notamment 1) Réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim 2) Assurer l’éducation pour tous 3) Promouvoir l’égalité des sexes et améliorer le sort des femmes  etc. Aujourd’hui il est clair que ces objectifs ne seront pas atteints et que l’économie  mondiale  ne  s’est pas organisée et réformée en conséquence.

Pour sa part, Alain Supiot[16]  rappelle que c’est le 10 mai 1944 qu’a été proclamée la première Déclaration internationale des droits à vocation universelle, qui définissait les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail (OIT). Il s’agissait d’une œuvre normative qui voulait tirer les leçons des désastres des deux guerres mondiales. La Déclaration de Philadelphie donnait une définition globale de la justice sociale : « Tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ». Et cette déclaration faisait de la réalisation de la justice sociale « le but central de toute politique nationale et internationale ». A.Supiot analyse le grand retournement qui a eu lieu depuis cette déclaration : « Au lieu d’indexer l’économie sur les besoins des hommes, et la finance sur les besoins de l’économie, on indexe l’économie sur les exigences de la finance et on traite les hommes comme du « capital humain » au service de l’économie » (25).

Gagner ou perdre aujourd’hui et ici.

Ce monde est à bout de souffle. Rien n’assure qu’il ne va pas poursuivre sur sa lancée mortifère. Il est terrifiant de constater que les principaux acteurs de la crise financière qui a ébranlé l’économie mondiale, ne sont nullement convaincus de la nécessité de réformes de grande ampleur pour ne pas retomber dans les mêmes errements[17]. Les opinions des pays occidentaux traumatisés par le ralentissement de l’accumulation de richesses économiques sont tentées par le populisme, la recherche de boucs émissaires et le rejet de l’autre. Nos démocraties sont fragiles. En Chine, si le politique domine l’économie c’est pour en faire un instrument de sa puissance et de son impérialisme. Bien d’autres arguments peuvent être avancés pour donner à penser que nous allons collectivement dans le mur et que l’accumulation des moyens de notre autodestruction est impressionnante.  Mais il faudrait aussi voir tout ce qui se cherche et qui permet d’espérer un autre avenir[18]. La place manque pour le faire.  Optimisme, pessimisme ? Nous n’avons pas le choix, il faut nous battre. Ce n’est pas « un combat  où on aura bien le temps…Il faut gagner ou perdre aujourd’hui et ici »[19].

Guy Roustang

[1] Voir l’étude du CCFD parue le 7 décembre 2010 sur les paradis fiscaux. Les 50 plus grandes entreprises européennes comptent 4700 filiales dans les pays les plus accueillants juridiquement et fiscalement.

[2] Voir le Hors série N°86 d’Alternatives Economiques

[3] Jean-Joseph Goux. Frivolité de la valeur. Essai sur l’imaginaire du capitalisme. Ed.Blusson.

[4] Hugues Puel. Responsabiliser la finance. In Dossier : l’argent trompeur. Lumière et Vie. Avril-juin 2010.

[5] Charles Péguy. Œuvres en prose complètes. Tome III, p.1456.

[6] Hugues Puel, opus cité.

[7] Robert Reich. Supercapitalisme. Ed. Vuibert 2008.

[8] Bien sûr,  ceux qui ont une activité professionnelle sont à la fois salariés et consommateurs et la place manque pour analyser quelles catégories de la population souffrent plus spécialement aujourd’hui de ce supercapitalisme. Mais l’analyse de Robert Reich a l’intérêt de complexifier l’opposition trop simple entre travailleurs et capitalistes. Elle explique comment le supercapitalisme profite de la connivence du consommateur et de son aliénation.

[9] Rapport mondial sur le développement humain. 1998

[10] Alternatives Economiques n°148, mai 1997.

[11] Jean Gadrey. Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire. Ed.Les petits matins/Alternatives Economiques, août 2010, p.31 à 41.

[12] René Passet. L’économique et le vivant. Ed.Payot. Paris 1979.

[13] Alternatives Economiques. Octobre 2010, pp.78 et 79.

[14] Voir la recension de ce livre sur le site www.garriguesetsentiers.org, dans les Rubriques, le dossier sur la pauvreté.

[15] Voir les déclarations ambiguës de Jean Boissonnat in « L’évêque et l’économiste ». Presses de la renaissance p.228.

[16] L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total. Ed. Seuil. Janvier 2010.

[17] Voir le film documentaire Inside Job sorti en novembre 2010 sur la dépression mondiale.

[18] Pensons par exemple au succès considérable du film « Des dieux et des hommes », du petit texte de Stéphane Hessel « Indignez-vous ».

[19] Charles Péguy. Œuvres complètes, tome III page 1460.