Technique et science

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Technique et Science. Refonder notre système de recherche autour d’un véritable contrat entre sciences et société.

1 ) Interviewé il y a quelques années par le journaliste Denis Tilliniac pour Le Figaro, Jacques Ellul  (1912/1994) l’auteur de « La technique ou l’enjeu du siècle » paru en 1954 analysait le fait que la technique impose des valeurs, des schémas culturels uniformes, exigeant de nous une adaptation permanente qui détruit notre identité, notre mémoire, notre environnement. Bien sûr, de tout temps, les hommes ont utilisé des techniques mais avant la révolution industrielle, dans toutes les sociétés humaines, la technique était subordonnée à des valeurs religieuses, politiques. L’homme fabriquait des objets techniques pour rendre sa vie plus facile, il n’était pas immergé dans un milieu technicien. Aujourd’hui devant une évolution permanente et quels qu’en soient les méfaits, on dit : c’est le progrès, on n’y peut rien.

Pour J.Ellul, refuser l’esclavage de la technique, « c’est revendiquer une certaine idée de l’homme. La mienne est fondée sur la liberté » . A la question : Qu’est-ce que la liberté ? J.Ellul répond : « Le refus de l’adaptation, contrairement à ce qu’on nous serine. L’homme ne s’est jamais adapté, il a toujours cherché à adapter son milieu. A présent le milieu technicien le plie à ses exigences, dès l’enfance ». « Chaque être humain est unique, il doit choisir sa vie. Tout ce qui tend à réduire sa liberté de choix est déplorable. Or il est clair que l’accumulation des gadgets le conditionne … Si nous sommes des machines plus ou moins adaptables à désirer, à consommer, je ne vois pas en quoi nous serions respectables ».

Est-il encore temps de réagir ? J.Ellul  l’espérait et considérait que si la menace est multiple (nucléaire, écologique, psychologique, esthétique) le  mal a une source unique : la démission face à la logique technicienne. Il nous disait : « Cessons d’être les esclaves des choses ».

2) Voici quelques citations de Daniel Cérézuelle auteur en 2011 de « La technique et la chair », pages 248/249, éditions Parangon. « L’homme moderne, celui de la société technicienne …a essayé de se créer un environnement propre…en utilisant à son profit les propriétés de ce monde…de cette maîtrise il attend…la réalisation de son désir de dépasser sa condition, de surmonter sa naturalité et de s’ériger en absolu ». « Et moins l’homme arrive à assouvir son désir de changer de peau, de dépasser les limites de sa condition, plus il va transformer ses œuvres en une sorte d’absolu…On peut donc parler de la technique moderne comme d’une objectivation du désir humain, une sorte de fossilisation du besoin absolu de l’homme ».  « On voit donc pourquoi il y a des délires rationnels, des passions techniques. Il faut en faire inlassablement la critique, démasquer les manifestations de la mystification techniciste…Cette démythologisation est … la condition d’un usage raisonnable de nos techniques. Elle permet de reprendre maîtrise sur soi, sur ses désirs et de maîtriser aussi notre rapport technique au monde ainsi que de faire des choix. C’est sans doute très difficile, mais c’est la condition d’une modernité authentique, délivrée d’un rapport magique à la technique ».

3) Dans son livre « L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun » 2015,  Seuil, pp. 91à 93, Jacques Testart considère que depuis quelques dizaines d’années, le modèle de la recherche scientifique a été ébranlé par la multiplication des contrats avec les entreprises, la création de véritables marchés (brevets, entreprises « innovantes »), l’intrication de plus en plus étroite avec les industriels et les militaires. La recherche scientifique a largement quitté l’objectif de la connaissance et les priorités sont celles de la compétition entre les nations les plus riches ou les entreprises les plus ambitieuses, qui ne sont pas forcément les plus favorables au bien humain. « Il s’agit de refonder notre système de recherche, autour d’un véritable contrat entres sciences et société ». L’un des moyens serait de développer les conférences de citoyens qui doivent suivre des procédures précises (voir l’article dans l’ECC   Conventions et conférences de citoyens). En effet, les avis élaborés par les conférences de citoyens confortent le plus souvent les arguments de ceux qui recherchent le bien commun et se distinguent des choix opérés par les industriels et les marchands. J.Testart en donne de nombreux exemples.  « C’est dire que la convention de citoyens n’est pas seulement une réponse circonstancielle à une question particulière, elle correspond potentiellement à un nouveau mode de gouvernement ».