Souveraineté nationale et Europe

Geopolitique
Le deuxième tour des élections présidentielles, qui a opposé Marine Le Pen et Emmanuel Macron, nous a enfermé dans un duel mortifère entre une vision de la patrie fondée sur une défense d’un passé idéal et fantasmé(1) et une conception de l’économie qui, malgré des adaptations provisoires, considère qu’il n’y a pas d’autre alternative que la loi exclusive du marché(2). 

Les élections législatives vont peut-être nous permettre de sortir de ce débat stérile si une opposition suffisamment importante amène Emmanuel Macron à tenir les promesses de changement par rapport au quinquennat précédent qu’il nous a annoncées. Cependant la crainte a été exprimée parfois de manière violente sur le risque encouru par la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale (NUPES) du fait de la domination de J.L.Mélenchon et de la France Insoumise. Voici ce qu’écrivaient J.P.Besset, J.Bové et D.Cohn-Bendit dans une tribune du Monde des 8 et 9 mai 2022 en s’adressant à leurs amis d’Europe Ecologie Les Verts : « L’Europe est la victime collatérale de votre accord avec La France insoumise … en appelant à la « désobéissance » vis-à-vis des traités…vous engagez la guérilla contre l’Europe au nom du nationalisme …  Avec cet accord indigne, vous exécutez un principe fondateur de nos sociétés, la démocratie et son extension l’Europe ».  Sous une forme moins violente bien d’autres personnes ont manifesté leur crainte de voir J.L.Mélenchon et la France Insoumise menacer l’Europe en prônant la désobéissance à certaines règles européennes. Manon Aubry députée européenne la France Insoumise a voulu répondre à ces inquiétudes en montrant la nécessité de se battre pour infléchir certaines règles européennes néolibérales, qui rendent plus difficile de bifurquer vers une modèle agroécologique paysan. Elle donne un exemple de ce qui serait possible :« C’est en refusant de mettre en concurrence sa production d’eau potable que l’Allemagne a obtenu cette exemption pour toute l’Europe »(3). 

« Quelle voie européenne pour une coalition de gauche ? »
C’est le titre d’un article(4) qui développe l’idée suivante : « Le cadre contraint des traités européens comme le programme d’intégration centré sur l’approfondissement du Marché unique et de l’euro ont longtemps piégé les ambitions réformatrices des gouvernements de gauche. Mais la succession des crises financière, sanitaire et géopolitique a bousculé l’Europe dans ses fondamentaux et créé des marges de manœuvre et des lignes de faille inédites(5) qui permettent d’aller au-delà du prisme de la « désobéissance européenne » ». Aussi les rédacteurs de l’article considèrent que c’est à tort que la « désobéissance européenne » fait figure de point clé du programme de gouvernement de la nouvelle coalition de gauche, car les exemples de désobéissance pavent la route de la construction européenne. Ne serait-ce que l’exemple de la désobéissance à l’égard des 3% de déficit et des 60% d’endettement qui avaient été élaborés collectivement.  Et pourtant concluent les auteurs de l’article : « l’Europe fonctionne…et avance même ». Selon les auteurs, qui font une analyse des tensions qui parcourent les différentes institutions de l’Europe, « beaucoup de marges de manœuvre se sont réouvertes qui doivent permettre la bifurcation sociale et environnementale voulue par la coalition de gauche ». Parmi les suggestions des auteurs de l’article, nous retiendrons deux suggestions : celle d’une solidarité fiscale européenne, qui concernerait en priorité les grandes entreprises et les gros patrimoines, qui profitent le plus du marché intérieur, pour financer la politique de transformation sociale et écologique. La deuxième suggestion concerne la recherche d’un cadre politique qui permettrait de mieux articuler les espaces démocratiques nationaux à l’Union européenne, car aujourd’hui les processus de « décision européenne peinent à prendre en compte la voix des élus, des syndicats nationaux et transnationaux, des ONG, d’associations, d’acteurs de la société civile ». 

La souveraineté nationale a-t-elle fait son temps ?  

A propos des aides de l’Europe à l’Ukraine, les réflexions suivantes sont à prendre en compte :  « il est vain, et contraire aux intérêts essentiels des nations d’Europe, d’en appeler à la « souveraineté » d’autrefois comme on l’entend proclamer ici ou là chez les souverainistes de droite ou de gauche »(6) Selon Gérard Mairet, deux conclusions s’imposent  : Il ne suffit pas que  l’UE envoie seulement des soutiens militaires et moraux à l’Ukraine : elle est, de fait, mise en demeure de renforcer ses structures d’union, même si dans l’immédiat l’assistance militaire et humanitaire est à l’évidence prioritaire. L’événement du 24 février a suscité un mouvement en ce sens, de sorte que la tâche d’une affirmation de puissance devient une obligation pour les Européens.
Pour confirmer cette approche, voici une longue citation de Thomas Boccon Gibod : « Or si l’on veut que l’Europe soit une puissance, il faut savoir ce que cela peut signifier politiquement, quitte à en payer le prix financier (en matière d’armement notamment), mais aussi et surtout le prix symbolique. Cependant la puissance… n’a pas à être assimilée à l’impérialisme (et encore moins au nationalisme dans le cas européen). Elle doit aujourd’hui être définie à l’aune des aspirations à la démocratie et à la solidarité sociale, dont le peuple ukrainien montre aujourd’hui, avec tout l’éclat nécessaire, qu’elles sont tout sauf des faiblesses »(7).

Guy Roustang

1 Voir au contraire l’article de Marc Humbert : « Une France multiple, libre, égale et fraternelle », paru dans Ouest-France du 16 décembre 2021 que nous reproduisons dans l’eccap. 
2 Voir Fabrice Flückiger in AOC 18 mai 2022 : « Eternité ou inévitabilité, une dangereuse alternative politique. » Cet auteur se réfère à Timothy Snyder dans The Road to Unfreedom qui développe deux concepts qui permettent de penser ce qui se joue dans l’opposition entre le « progressisme » macronien et l’« identité » lepeniste (ou zemmourienne) 
3 Le Monde, 8 et 9 mai 2022, p.30.  
4 AOC, 10 mai 2022, G.Sacriste et A.Vauchez. 
5 « Dans les crises, l’Union européenne a plus progressé en quelques mois qu’en trente ans ». c’est ce que déclaraient JEAN-DOMINIQUE GIULIANI (Président de la Fondation Robert Schumann) et PASCALE JOANNIN voir Question d’Europe n°634 30, mai 2022 L’Europe dans la tempête parfaite 
6 AOC, 10 mai 2022. Guerre Ukraine :L’Union Européenne par-delà la souveraineté. Gérard Mairet. 
7 AOC, 28 mai 2022