Sécurité sociale de l’alimentation (SSA)

Questionner les leviers de la redistribution

La Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) est une proposition politique visant à étendre les principes fondateurs de la Sécurité sociale au domaine de l’alimentation. Elle défend un droit universel à l’alimentation, financé par cotisation sociale et géré démocratiquement, pour garantir l’accès de toustes à une alimentation de qualité tout en soutenant une production agricole qui prend soin de la paysannerie et de son milieu.

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La SSA s’inspire du modèle de Sécurité sociale hérité des sociétés de secours mutuels du mouvement ouvrier (18 et 19è siècle) et développé au 20è siècle par le Conseil national de la résistance (CNR)[1]. Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 fondent le système de sécurité sociale en France, avec tout d’abord trois branches : maladie, retraite et accidents du travail. A celles-ci ont été rajoutées la branche recouvrement (1967), famille (1978), puis autonomie (2022). Ainsi tout au long de son histoire la sécurité sociale a évolué. La proposition est qu’une branche alimentation soit créée au sein de la sécurité sociale, pour assurer un droit à l’alimentation.

La SSA repose sur trois piliers, participant à une démocratie alimentaire :

  1. L’universalité : chaque personne bénéficie d’un droit à l’alimentation, sans condition de ressources. Ce principe vise à envisager l’alimentation sous un autre prisme que celui de la précarité : créer les conditions d’une démocratie alimentaire en revendiquant que l’alimentation est un fait social total, qui concerne toutes et tous.
  2. Le financement par cotisation sociale : un système basé sur la solidarité, où chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Ce mode de financement s’inspire directement du fonctionnement historique de la Sécurité sociale.
  3. La gestion démocratique : les habitant·es participent directement à la définition des critères de conventionnement de la production, des aliments, des lieux de vente. Cette approche vise à redonner du pouvoir sur l’alimentation, à orienter la production vers des pratiques soutenables, à soutenir les métiers de la paysannerie dans un contexte où la profession agricole en France connaît aujourd’hui le plus fort taux de suicide et est sujette à des maladies liées à l’exposition à des substances chimiques type pesticides[2].

Ces piliers sont en cours d’expérimentation sur des territoires, participant à démontrer que la SSA est faisable et pertinente, argumentant ainsi la création d’une septième branche à la sécurité sociale existante : l’alimentation.

Concrètement, les initiatives qui s’inspirent de la SSA proposent généralement une allocation mensuelle versée sur une « carte vitale de l’alimentation », utilisable uniquement pour l’achat de produits conventionnés, au sein des lieux de vente conventionnés. Elles cherchent à répondre simultanément à plusieurs enjeux majeurs :

  • Organiser la démocratie alimentaire
  • Construire une connaissance commune pour comprendre et interroger ce que sont les systèmes alimentaires
  • Lutter contre les inégalités d’accès à une alimentation de qualité[3]
  • Améliorer la santé publique en favorisant une alimentation plus saine
  • Soutenir les agricultures et les productions locales mises en difficultés par l’agro-industrie et la concurrence internationale
  • Promouvoir des pratiques agricoles respectueuses des productrices et des producteurs et de nos milieux de vie

La SSA s’inscrit dans la continuité historique de la Sécurité sociale, dont les principes ont permis des avancées sociales majeures. Comme l’histoire de la Sécurité sociale en témoigne, ce système a eu un impact considérable sur la vie de la population française, participant à l’augmentation significative de l’espérance de vie et réduisant la mortalité infantile. Le projet de SSA reconnaît que le système alimentaire actuel est insoutenable, tant pour les écosystèmes que pour la santé humaine et la justice sociale. Plutôt qu’une aide alimentaire qui répond à l’urgence du manque mais qui, dans sa démarche caritative, n’agit pas sur l’ordre établi puisqu’elle s’appuie sur le système productiviste, la SSA vise au contraire à transformer le système agricole et alimentaire, en s’appuyant sur un principe de solidarité mutuelle : œuvrer ensemble pour un enjeu commun, celui de subvenir qualitativement et quantitativement à ses besoins alimentaires, dans le respect de la paysannerie et plus largement des habitant·es et des milieux de vie.

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Le collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation répertorie 30 tentatives d’expérimentations en cours  sur le territoire métropolitain français, en date du 15 juillet 2024. En effet, des dynamiques locales se développent avec des associations, des collectivités territoriales et des collectifs informels qui réfléchissent à la mise en œuvre des trois piliers de la SSA à l’échelle de leur territoire. Elles visent toutes à transformer notre système alimentaire.

Si la SSA offre une perspective stimulante pour repenser notre rapport à l’alimentation et à l’agriculture, dans l’optique d’une meilleure justice sociale et soutenabilité environnementale, des questions se posent, par exemple :

  • Faut-il et comment changer d’échelle, entre projets expérimentaux locaux et proposition politique nationale ?
  • Des habitudes et des goûts se sont construits pour les produits transformés qui ne nécessitent pas d’être cuisinés, comment composer avec ceux-ci ?
  • Quelle place pour les désirs alimentaires au delà des besoins alimentaires ?
  • Que faire avec les agricultures aux prises avec l’agro-business ?
  • Quelles relations avec les dispositifs d’aide alimentaire ?

Autant de questions qui seront discutées puisque la SSA repose sur la délibération des habitant·es.

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Pour aller plus loin :

  1. Le collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation mène des réflexions et des actions depuis 2019. Des outils pédagogiques ont été développés :
  2. Le collectif Démocratie alimentaire et en particulier les travaux de l’enseignante-chercheuse Dominique Paturel.
  3. Le mouvement Riposte alimentaire a lancé une campagne de désobéissance civile en janvier 2024 pour promouvoir la SSA.

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Cette définition est proposée par

  • Angèle Dransart, salariée de la doume, monnaie locale du Puy-de-Dôme, qui a co-créé Soli’doume, projet inspiré de l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation.
  • Florine Garlot, l’une des animatrices de l’encyclopédie du Changement de cap, chercheuse engagée, elle s’intéresse notamment aux idées et expérimentations vers plus de justice sociale.

[1] Dès les années 50, les principes de sécurité sociale ont été mis à mal : https://www.isf-france.org/articles/une-histoire-de-la-securite-sociale

[2] https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/

[3] en 2022, c’est 1 personne sur 6 qui déclare ne pas manger à sa faim, soit deux fois plus qu’en 2016.