Revenu minimum, impôt négatif, revenu de base, allocation universelle … les multiples visages du revenu d’existence

Revenu d'existence
C’est en 1795 que Thomas Paine fait, pour la première fois, des propositions sur le revenu d’existence. Cependant derrière cette notion se cache aujourd’hui des noms voisins (revenu minimum, impôt négatif, revenu de base, allocation universelle …) mais qui recouvrent des conceptions très différentes. L’idée de ce texte est d’expliciter ces différentes conceptions afin de clarifier les débats académiques et militants.
 
            Au moment de la révolution française, l’américain Thomas Paine, dans la « Justice Agraire », propose d’instaurer un revenu garanti financé par impôt sur la rente foncière qui serait versé à tous les individus âgés de 21 ans. Pour lui, il s’agit d’indemniser les individus de l’appropriation des sols par les propriétaires terriens. Deux cent vingt-cinq ans après, dans le berceau des droits de l’homme, les individus âgés de 21 ans n’ont toujours pas le droit à une revenu garanti inconditionnel. En pleine crise sanitaire, la situation des étudiants inquiète mais on ne cherche pas à sécuriser leur existence par extension du RSA. Sans doute par peur de rendre oisive la jeunesse ce qui montre bien que derrière la question économique du revenu d’existence se cache la question philosophique du travail. Effectivement, derrière les différents termes faisant référence à ce revenu d’existence nous avons des approches politiques contradictoires. C’est pourquoi il convient, de clarifier les approches contemporaines du revenu d’existence par la construction d’une typologie.
 
            
            De façon schématique, le revenu d’existence est  « tiraillé » entre deux conceptions de la justice (Gadreau et Goujon, 2000) : une conception individualiste et libérale favorable au respect du principe de liberté économique et une conception holiste et solidaire défendant le principe de respect de la personne. Ainsi, toute politique de revenu d’existence est amenée à se positionner par rapport à ces deux principes généraux.
            Pour les libéraux, le revenu d’existence vise, à travers un mécanisme d’incitation à l’activité à valoriser le travail. Ce revenu doit permettre à l’individu de revenir à l’emploi. Il doit en même temps reposer sur un mécanisme simple qui limite les interventions de l’État.  A l’inverse, les solidaristes défendent l’idée que ce revenu doit permettre aux individus de s’affranchir s’ils le souhaitent de l’obligation de travailler pour vivre dignement.
            En matière de respect de la personne, le revenu d’existence pour les libéraux doit rechercher l’équité c’est-à-dire favoriser les plus démunis en pratiquant une discrimination positive, dans ce cas il est conditionné à un niveau de ressources. A l’inverse, pour les solidaristes, il doit s’adresser à l’ensemble de la population pour favoriser une égale liberté d’action.
            En croisant ces deux dimensions, nous trouvons quatre formules de revenu d’existence (figure 1).
 
Figure N° 1 : Typologie des différentes formules de revenu d’existence.

 

 
L’allocation universelle est favorable à la liberté des choix de vie des individus et à une évolution du lien strict existant entre activité économique et obtention d’un revenu monétaire. Nous allons y revenir, car ce concept est polymorphe.
– Le revenu différentiel, quant à lui, valorise le droit de vivre en offrant aux exclus de l’activité économique une garantie inconditionnelle de ressources. Le revenu minimum d’insertion (RMI) tel qu’il a été défini en 1988 correspondait à ce type de revenu. En effet, le dispositif se proposait de donner à tous un revenu décent pour éviter l’exclusion sociale. L’incitation au travail n’était pas l’objectif visé puisque les revenus d’activité venaient en substitution et non en complément du revenu d’existence. Il en va de même de l’expérience finlandaise qui a expérimenté – de janvier 2017 à décembre 2019 – un revenu de base de 560 euros mensuels, alloués sans condition en particulier sans que le bénéficiaire s’engage à chercher un emploi. Toutefois, ce revenu de base est bien différentiel puisque le montant reçu est soustrait des éventuelles allocations perçues.
– Le revenu complétif sécurise la situation des plus démunis tout en les incitant à exercer une activité rémunérée, l’aide étant, de façon dégressive et jusqu’à un certain plafond, cumulable aux revenus d’activité. C’est ce que l’on appelle un revenu minimum d’activité qui, en France, prend actuellement la forme du Revenu de Solidarité Active (RSA).
– Enfin, l’impôt négatif repose sur le principe suivant : tout le monde perçoit le même montant, sans aucune condition, et paie des impôts en proportion fixe par rapport à ses revenus, ce qui engendre un versement net pour certains (les plus pauvres) et une contribution nette pour les autres (les plus riches). Ce mécanisme d’imposition se substitue, dans la philosophie libérale portée par Milton Friedman, aux aides sociales existantes. En venant en complément des revenus sans aucune conditionnalité, il évite, d’une part, la formation de « trappe à pauvreté » (désincitation au travail) et, d’autre part, permet de subventionner indirectement les secteurs à faible rentabilité économique, là où les salaires sont les plus bas.
 
 
            Au final nous avons deux approches différentes du revenu d’existence. La première se situe dans le prolongement de la société productiviste actuelle et comporte deux variantes. Une variante libérale qui vise à inclure l’individu dans le marché libre du travail (impôt négatif) et une variante socio-démocrate qui en fait un outil efficace de redistribution au profit des plus démunis (revenu de base qu’il soit différentiel ou complétif). La seconde approche est inédite puisque c’est la seule à proposer une rupture entre revenu et activité. Cependant, comme nous le verrons dans un autre article cette rupture peut déboucher soit sur un changement de cap radical soit au contraire accélérer la venue d’une société de marché[1].
 
 
Références
Brittan S. (2017), « Le mythe du travail rémunéré », Books, N° 83.
Dacheux E., Goujon D., (2020), Défaire le capitalisme refaire la démocratie, Tououse, Eres.
Gadreau M., Goujon, D. (2000), « Le Revenu Minimum d’Insertion et les figures de la justice », in A. Alcouffe, B. Fourcade, JM. Plassard et G. Tahar (dir), Efficacité versus Équité en Économie Sociale, tome 1, chap.4, L’Harmattan.
Gorz A. (2002), « Pour un revenu inconditionnel suffisant », Transversales, N° 3.
Mylondo B. (2014), « Le revenu de citoyenneté un facteur de décroissance ? », L’inconditionnel, N° 1.
Swaton S. (2018), Pour un revenu de transition écologique, Paris, PUF.
Stiegler B. (2016), Le revenu contributif et le revenu universel, multitudes, N°63.
Van Parijs P. (2015), Qu’est-ce qu’une société juste ?, Paris, Seuil.
 

[1] Nous sommes déjà dans une économie de marché, mais pas encore dans une société de marché. Une société de marché  au sens de Karl Polanyi est une société dans laquelle la politique a disparu et où les seules relations sociales sont des relations de concurrence.