Régulation financière et pantouflage; Extrait d’une conférence de Gaël Giraud

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Régulation financière et pantouflage. Les politiques sont-ils impuissants à réguler les marchés financiers ?

Extrait d’une conférence de Gaël Giraud « Un ordre ancien s’en est allé » du 22 octobre 2014. Voir la vidéo.

« Derrière les marchés financiers, vous avez essentiellement un petit nombre de très riches particuliers, de grosses entreprises dont les surplus financiers sont investis sur le marchés financier, et une bonne partie de l’épargne du public. Dans les salles de marché, des jeunes gens sont sur les ordinateurs, ils font des opérations extrêmement sophistiquées, on les appelle des traders. Contrairement au mythe largement répandu, il n’y a pas besoin d’avoir fait polytechnique…mais il est vrai que nombre d’opérations mobilisent des mathématiques très sophistiquées. La plupart des traders ne les comprennent pas et leurs patrons non plus.

Les marchés financiers sont tellement plus lucratifs que n’importe quel investissement dans l’économie réelle, que vous pouvez être à peu près certain que votre épargne, si vous en avez, circule sur les marchés financiers, probablement à votre corps défendant. J’en profite pour dire que vous avez tout à fait le droit de changer de banque. D’ailleurs c’est le seul moyen pour nous autres citoyens de faire pression sur nos banques c’est de retirer notre compte d’une banque qui ne nous plaît pas. Nous votons avec nos pieds.

A la question : peut-on réguler les marchés financiers ? Il y a plusieurs éléments de réponse. Il est vrai que réglementer les marchés financiers n’est pas une opération absolument triviale, c’est suffisamment compliqué pour qu’il faille faire attention, mais il y a une telle surenchère du côté des marchés financiers pour dire : attention ne cherchez pas à réguler car vous seriez comme des éléphants dans un magasin de porcelaine. Mais il ne faut pas exagérer, on sait à peu près ce qu’il faut faire… Quand vous discutez avec des professionnels honnêtes, vous arrivez assez facilement à la petite vingtaine de mesures qu’il faudrait prendre pour réglementer les marchés. On les a nous-même listés dans un livre que j’ai co-écrit qui s’appelle « Vingt propositions pour réformer le capitalisme ». Ce n’est donc pas aussi sorcier que cela. La raison pour laquelle les mesures ne sont pas prises, c’est l’extraordinaire puissance du lobby bancaire, ce qui n’est pas difficile à comprendre.

Il faut se rendre compte que le bilan d’une banque comme BNP Paribas est supérieur à 2000  milliards d’euros, donc BNP Paribas pèse plus que le PIB français. Vous comprenez bien que lorsque le PDG de Paribas va voir le Président de la République…il est aussi riche que lui. Et s’il lui dit : Monsieur le Président, la loi que vous voulez voter, c’est vraiment une très mauvaise idée…elle va mettre ma banque en faillite. Le Président de la République est bien obligé d’en tenir compte. Lui-même n’a pas les moyens de vérifier qu’on ne lui raconte pas des carabistouilles…Actuellement, les banquiers font un balai incessant auprès de l’Elysée et de Bercy en disant : vous savez, tout va mal, nous sommes tous au bord de la faillite, nous allons tous mourir demain, et la fin de la phrase c’est : « si nous mourons vous mourrez avec nous. Donc faîtes tout pour nous sauver ». Vous avez là un pouvoir de chantage lié à l’hypertrophie du secteur bancaire lié au fait que nos banques vont très mal, contrairement à ce qu’elles ne cessent de répéter dans le débat public. Parmi les observateurs indépendants il y en a un qui a dressé la liste des cinquante banques les plus sûres du monde, et bien dans ces cinquante banques, aucune des quatre premières banques françaises n’apparaît. Deux banques françaises y sont mais elles ne font pas partie des quatre premières banques françaises. Inversement, vous avez un économiste américain… qui a essayé d’évaluer quelles sont les huit banques européennes les plus proches de la faillite. Parmi ces huit banques, vous trouvez les quatre premières banques françaises. Donc qu’on ne vienne pas nous dire que le ciel est bleu, qu’il n’y a pas un seul nuage à l’horizon. Compte tenu de cela, vous comprenez que lorsque les banques vont pleurer à l’Elysée ou à Bercy, elles ont une certaine crédibilité.

Il y a d’autres éléments à prendre en compte. Quand vous êtes une banque qui gagne plusieurs milliards d’euros chaque année, vous avez les moyens de payer très, très cher, un certain nombre de personnes, vous pouvez acheter tous les économistes qui passent dans le débat public. Donc, malheureusement, la plupart de mes camarades économistes qui s’expriment dans le débat public sont des conseillers des banques, comme je l’ai été moi-même avant de devenir jésuite. Heureusement que la compagnie m’a sauvé. Vous comprenez qu’à partir du moment où vous êtes un chercheur en économie ou un professeur d’université, quand vous multipliez votre salaire par dix en allant travailler un jour par semaine dans une banque, vous n’avez absolument pas envie de donner une interview dans un journal pour dire du mal des banques.

Vous avez d’autres phénomènes du même type. Tous les membres de l’Inspection Générale des Finances à Bercy, au Trésor, savent qu’ils vont arriver à un plafond dans leur carrière entre 40 et 45 ans. C’est un grand problème de notre administration, nous ne savons pas gérer les fins de carrière de nos hauts fonctionnaires brillants, donc ils savent que vers quarante ans il faut qu’ils aillent « pantoufler ». Ils savent que s’ils vont pantoufler dans une banque, ils vont multiplier leur salaire par dix, vingt…, s’ils vont dans l’industrie, ils vont multiplier leurs salaires par 2, 3 ou 4. Il faut donc une sacrée colonne vertébrale spirituelle pour oser résister. Et quand vous avez trente ans, que vous êtes un jeune énarque, inspecteur des finances, difficile de résister à la pression des banques qui viennent vous voir tous les jours dans votre bureau pour vous dire, mon brave garçon tu n’y connais rien, on va t’expliquer, et si tu fais bien ce que l’on te demande, quand tu auras quarante ans on va s’en souvenir. Ce jeune énarque sait très bien que s’il ne fait pas ce qu’on lui demande, à 40 ans on s’en souviendra aussi et il n’aura aucune chance de pouvoir pantoufler. Si vous regardez le parcours de nos brillants inspecteurs des finances, il faut regarder ce qu’ils deviennent.

Inversement, regardez les cinq premiers postes de toutes nos grandes banques, ce sont des anciens inspecteurs généraux des finances, à tel point que l’ancien PDG de BNP Paribas aime répéter qu’il y a plus d’inspecteurs généraux des finances à BNP Paribas qu’au service de l’Etat. Cela vous dit quelque chose de cette espèce de collusion complètement incestueuse entre la finance privée et la haute administration des finances publiques, qui devrait travailler pour l’intérêt général…

Pourquoi les pouvoirs publics ne réagissent pas plus ? Il y a un lobby bancaire extrêmement puissant., Vous l’avez vu à l’œuvre l’an dernier sur la loi bancaire (si vous avez suivi cette affaire) qui a été vidée de son contenu car elle ne sépare pas banque de dépôt et banque d’investissement. Et c’est même plus extraordinaire que cela encore. Lorsque le commissaire européen Michel Barnier, qui n’est pas l’archétype du gauchiste, a sorti un projet de directive européenne qui va plus loin que la loi française qui ne sépare pas, le jour même, le gouverneur de la France s’est exprimé dans les journaux pour dire : vraiment Michel Barnier est un homme irresponsable, comment peut-il oser penser à la séparation ? Il est en fait téléguidé par les banques et une partie du gouvernement. Le gouverneur de la Banque de France qui est un haut fonctionnaire tenu par le droit de réserve en tant que fonctionnaire et qui en plus assume normalement la tâche de régulateur du système bancaire français. C’est tout de même très impressionnant. Ce sont de petits signaux qui montrent jusqu’où va la collusion.

Cela dit, je ne crois pas que le gouvernement soit impuissant, car on sait à peu près les mesures qu’il faut prendre. Michel Barnier essaye de le faire de son coté. La séparation des banques c’est la condition sine qua non, la première et il y en a d’autres. Mais si cela vous intéresse, il vaut mieux que vous alliez voir le petit livre « Vingt propositions pour réformer le capitalisme ».