Quel avenir avec cette nouvelle Assemblée Nationale ?

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Quel avenir avec cette nouvelle Assemblée Nationale ?
Le fait marquant est évidemment la perte de la majorité absolue pour E.Macron, qui rendra bien difficile la poursuite d’une présidence jupitérienne. 

Les principales évolutions de la composition de la nouvelle Assemblée Nationale : l ’augmentation de la proportion de femmes élues que l’on constatait d’une assemblée à une autre a été stoppée. Il n’y a pas eu régression mais maintien à un pourcentage de 37%. Un certain rajeunissement a eu lieu puisqu’un quart des députés a moins de 40 ans ; ce rajeunissement venant des élus du Rassemblement National et de la France Insoumise. Comme pour l’Assemblée précédente on constate une majorité d’élus de catégories socio-professionnelles supérieures. Cette fois cependant, il y a quelques ouvriers et membres des classes moyennes venant aussi du R.N. et de la F.I. 

Deux raisons d’être inquiets : l’abstention et l’ancrage du Rassemblement  National à  l’Assemblée Nationale et dans les territoires. Le niveau de l’abstention n’a fait que croître aux élections législatives depuis 2002 pour atteindre 57,4 % au second tour des élections de 2017. Ce pourcentage a été un peu moindre, 53,8% en 2022. Nos élus sont mal élus, puisque plus de la moitié du corps électoral s’abstient. Ce qui est bien inquiétant pour notre démocratie. D’autant plus que cette abstention a été particulièrement importante chez les jeunes et les personnes défavorisées. 

Avec 89 députés, le Rassemblement National a augmenté considérablement le nombre de ses élus à l’Assemblée, ce qui lui permettra de gagner cinq millions d’euros et de recruter 300 collaborateurs[1]. Il peut ainsi prétendre se notabiliser.  Michaël Taverne, policier député R.N. du Nord « s’épanche sur le « changement radical » vécu au RN : ça y est, nous sommes dans la cour des grands » [2]. Soulignons au passage le scandale moral qui entachent E.Macron, sa première ministre et plus généralement leurs soutiens. Ils ont joué la carte du front républicain contre Marine Le Pen quand il s’agissait d’attirer les voix de la gauche pour l’élection présidentielle et pour les législatives, après quoi ils n’ont eu de cesse d’affirmer qu’il fallait renvoyer dos à dos les extrêmes du Rassemblement National et de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES). Cette utilisation du front républicain à géométrie variable[3] a contribué à faire élire des députés du RN. Maintenant le RN est installé à des postes clés de l’Assemblée nationale et pour la première fois il a pu obtenir deux vice-présidences. Le déplacement depuis plusieurs décennies d’une partie du vote populaire vers le Rassemblement national[4] mérite aussi d’être souligné. 

 

J.L.Mélenchon cheville ouvrière de la Nouvelle Union Populaire Sociale et Ecologique

Pour « sauver les meubles », le Parti Communiste français, le Parti Socialiste et Europe Ecologie les Verts ont été amenés à se soumettre à la stratégie initiée par J.L.Mélenchon, qui n’a cependant pas réussi à obtenir la majorité pour s’imposer comme premier ministre. 

La place manque ici pour analyser l’affaiblissement du Parti communiste et celle du Parti socialiste. Ce serait pourtant souhaitable pour reconstruire sur des bases solides un nouveau récit, c’est-à-dire expliciter les perspectives d’un renouveau mobilisateur adapté aux défis actuels, en tirant les leçons du passé.  Toujours est-il que le leadership actuel de Mélenchon n’est pas sans soulever des inquiétudes. Voici le témoignage du politologue Thomas Guénolé à France culture[5] : “Je suis arrivé à la maison Mélenchon par conviction, par enthousiasme… mais une fois que vous êtes dedans, en tout cas, moi, c’est ce qui m’est arrivé, ce que j’ai découvert petit à petit, c’est une machine dictatoriale, orwellienne. (…) l’individu doit s’effacer devant la parole du parti (…) on affiche certaines valeurs et on pratique en interne très exactement le contraire”. Maud Le Rest, journaliste, spécialiste de l’histoire féministe, indique aussi : “il y a une minorité de gens qui sont autour du leader charismatique qui décide de tout en fait, sans que les militants n’aient jamais leur mot à dire ». Impossible de ne pas prendre au sérieux ces jugements sévères, tout en reconnaissant que des jeunes compétents entourent J.L.Mélenchon, et qu’une voix reconnue de la France Insoumise comme celle de  F.Ruffin a sa propre autonomie. 

La déclaration de politique générale d’E.Borne devant l’Assemblée Nationale ne peut qu’inquiéter ceux qui souhaitent que le second quinquennat d’E.Macron marque un infléchissement par rapport au premier. En effet E.Borne a énoncé, sur un ton martial, un catalogue de bonnes intentions qui pourraient faire rêver, si elle n’avait pas pris soin de répéter tout au long de sa déclaration qu’il s’agirait de continuer sur la lancée du premier quinquennat. Or c’est bien ce quinquennat qui a nourri la montée du mécontentement et la désespérance de beaucoup qui expliquent le succès du R.N. et la persistance des abstentions.  

Le pire n’est pas toujours sûr.

Malgré les multiples raisons de s’inquiéter pour l’avenir et pour éviter tout simplisme, on doit faire état de quelques interrogations. Quel est le sens de l’arrivée de Pap Ndiaye comme Ministre de l’Education Nationale[6] ?. Il est conscient que « « l’école a du mal avec les pauvres » parce qu’elle ne corrige pas assez les inégalités de naissance et peine à enrayer la reproduction sociale[7]. S’il affronte cette difficulté et réussit à mettre au cœur de nos préoccupations l’éducation nationale et la place centrale que devrait avoir les enseignants, alors un grand pas dans la bonne direction serait franchi.[8] Autre source d’interrogation, dans le second gouvernement E.Borne, Olivier Klein est devenu ministre de la ville et du logement. Or il est co-auteur du rapport de l’Institut Montaigne : « L’avenir se joue dans les quartiers populaires ». Ce rapport fait  le récit de 24 heures dans la vie d’habitants des quartiers populaires, et contient 31 propositions opérationnelles afin d’améliorer leurs conditions de vie au quotidien. Quant à la nouvelle ministre de la culture Rima Amul-Balak, dont Jack Lang dit du bien, elle qui a été traitée un jour « de sale arabe », aborde dans Le Point le « risque de morcellement identitaire » auquel elle oppose « un projet civilisationnel »[9].

En définitive c’est un nouveau récit qui doit être élaboré non plus centré sur une opposition frontale concernant les moyens de production et le partage de la richesse, mais la recherche en commun des moyens de lutter contre le changement climatique, pour une autre agriculture, une autre industrie, une autre façon d’habiter etc. Les vacances du mois d’août seront bien utiles pour faire le point et essayer le   1er septembre d’apprécier les forces et faiblesses d’un renouveau nécessaire.

[1] La Croix du 24 juin 2022.
[2] Cité dans Le Monde 26/27 juin, p.9.
[3] Pap Ndiaye, nouveau ministre de l’Education Nationale avait déclaré dans un tweet : « Quelle que soit la configuration, aucune voix ne doit aller au Rassemblement National. Le combat contre l’extrême droite n’est pas un principe à géométrie variable ».
[4] Voir le livre de Renaud Dély : Anatomie d’une trahison. Ed. De l’Observatoire. Avril 20022, p. 129 et ss. qui cite Pascal Perrineau : « Cette France de gauche qui vote Front National » Le Seuil 2017.
[5] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/signes-des-temps/comment-etre-de-gauche-en-france-aujourd-hui-6284250
[6] Voir article de Bruno Viard dans cette lettre de l’eccap.
[7] Voir la double page de l’article : .« Réconcilier la nation » de Nicolas Truong in Le Monde du 25 juin 2022 . Dans ce même article  Pap Ndiaye affirme qu’E.Macron est « le premier président à avoir compris l’importance de refonder les liens avec l’Afrique ».
[8] Sur les défis à relever, voir l’étude de l’Institut Rousseau : « Un sursaut pour l’école de la République » par E.Picard et V.Barel, 24 mars 2022.
[9] Le Monde, 9 juillet, p.29, article de Michel Guerrin qui a pour titre « La ministre osera-t-elle ? ».