Présidentielle 2022 : un espoir de changement de cap ?

Non classé
Des amis me disent que pour la prochaine élection présidentielle, mieux vaut Macron que l’extrême droite ou qu’un(e) inconnu(e) qui n’aurait pas la stature voulu pour affronter les défis du Covid, la situation financière incertaine, ou encore la capacité de représenter la France dans une situation internationale confuse et périlleuse. L’incapacité de la gauche et des écologistes à se mettre d’accord sur un candidat suffit à montrer qu’il n’y aurait pas d’autre solution que de se rallier à Macron pour cinq nouvelles années. 

Je ne partage pas l’avis de mes amis qui voient dans Macron un moindre mal.  En reprendre encore pour 5 ans avec E.Macron ne donne aucune chance d’affronter les défis à notre porte, qu’il s’agisse de la crise climatique[1], de la révolution agricole qui s’impose pour passer de l’agriculture industrielle à l’agroécologie, d’une réforme fiscale nécessaire car, au cours du quinquennat d’E.Macron, les riches sont encore devenus plus riches et les pauvres plus pauvres etc. En définitive, le pouvoir vertical de notre président s’inscrit bien dans le néo-libéralisme : par son mépris de la prise en compte des conclusions de la Convention Citoyenne pour le Climat ou du grand débat national qui a suivi le mouvement des gilets jaunes, par son mépris aussi à l’égard de ceux qui voulaient sérieusement discuter de l’intérêt d’introduire la 5G, par sa proximité avec les réseaux qui lui ont permis d’accéder au pouvoir [2] ou avec ceux que certains appellent la mafia d’Etat[3]qui détient les pouvoirs économique, administratif et politique. Tout cela favorise le délitement de notre démocratie et l’abstention. 

 Il y a bien un bouillonnement qui oriente vers ce que devrait être un changement de cap. Dans une lettre de début septembre nous avions pu parler d’un demi-échec de la primaire populaire qui rassemblait seulement 75.000 signatures, alors qu’elle en espérait 300.000, pour inciter la gauche à choisir un candidat unique. Ce demi-échec amenait à penser que cette primaire populaire était une fausse bonne idée et que les partis politiques étaient le passage obligé pour construire une politique. Mais il y a eu un rebond et la primaire populaire a rassemblé 300.000 personnes, c’est-à-dire beaucoup plus que ce que les partis politiques ont pu réunir pour choisir leur candidat, qu’il s’agisse des verts ou du parti républicain. Ce sont des jeunes qui sont à l’origine de la primaire populaire et la liste des personnalités compétentes et d’origines diverses qui les soutiennent est impressionnante. Ce sont aussi des jeunes qui sont massivement conscients de l’urgence d’affronter le changement climatique. Récemment ce sont de jeunes agronomes en formation qui considéraient que l’application par la France de la politique agricole commune européenne était une impasse[4]. La collusion actuelle entre le ministère de l’agriculture et la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitation Agricole est consternante. 

Anciens partis, gauche et droite, syndicats et patronat jouaient un rôle central lorsque l’augmentation de la richesse économique et son partage étaient primordiaux. Aujourd’hui si la vie politique est à son plus bas, c’est peut-être que l’on refuse de voir que les problèmes se sont déplacés. Il y a passage de témoin[5]. A cet égard, « Le pouvoir de vivre »[6] est sans doute prometteur de ce changement avec ses 90 propositions. Il réunit le principal syndicat des salariés, les grandes associations d’aide aux plus démunis, les associations environnementales et bien d’autres associations encore.

Les propositions raisonnées en faveur des changements ne manquent pas. Citons par exemple l’Institut Rousseau (le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine) dont le président d’honneur est Gaël Giraud que nous avons cité plusieurs fois dans l’eccap, notamment à propos des élites françaises actuelles. L’institut Rousseau fait des analyses approfondies sur les sujets les plus variés par exemple sur la suppression des pesticides, sur l’avenir des finances publiques, sur le bitcoin etc.   Sur la réforme fiscale qui s’impose, le Manifeste fiscal d’Oxfam France est très argumenté. Diffusé début décembre, il vise à mettre une réforme fiscale au cœur de la campagne présidentielle, alors qu’elle y manque de manière surprenante. Ce manifeste montre comment dégager les moyens de financer l’éducation nationale et la recherche, les hôpitaux et la justice. Citons également les propositions des convivialistes [7].  Les nombreuses personnalités qui soutiennent la Primaire populaire ont largement de quoi proposer un changement de cap. Par exemple Julia Cagé propose dans un livre les moyens de revenir sur la main mise d’une dizaine de milliardaires sur une grande partie des médias. Et dans un autre livre elle montre la possibilité de libérer du pouvoir de l’argent le financement des élections.  

Une candidature possible : Christiane Taubira

Christiane Taubira a annoncé une éventuelle candidature qu’elle pourrait confirmer à la mi-janvier. Des sondages la donnent déjà devant Yannick Jadot et Anne Hidalgo. Elle a affirmé qu’elle ne serait pas une candidate de plus ; ce qui semble vouloir dire qu’elle ne se maintiendrait que si sa candidature s’imposait comme une évidence. Il est très rassurant de penser qu’elle peut faire sa vie ailleurs que dans la politique. Ses premiers déplacements ont été à La Seine St Denis et à Cergy Pontoise, un symbole. Christiane Taubira est cependant critiquée sur deux points : s’être maintenue au 2ème tour des élections présidentielles de 2002 et avoir ainsi contribué à l’échec de Jospin devant Chirac ; avoir tardé à déclarer que le vaccin était la seule barrière crédible devant la pandémie.  Mais elle n’appartient pas à ce que certains appellent la mafia d’Etat. Il est possible que le vote organisé par la primaire populaire du 27 au 30 janvier vienne conforter cette candidature. « Même ses détracteurs ( ils sont nombreux) reconnaissent qu’elle a un souffle, une voix, un truc différent. Ce qu’on appelle le charisme »[8]. Peut-être est-ce nécessaire pour réaliser un changement de cap ?

Guy Roustang

 

[1] Dans sa dernière conférence de presse du 9 décembre qui a duré deux heures, E.Macron n’a pas dit un mot sur l’environnement.
[2] Marc Endeweld. Le grand manipulateur. Ed.Stock 2019
[3] Vincent Jauvert. La mafia d’Etat. Ed. du Seuil 2021.
[4] Plus généralement voir « Le manifeste étudiant pour un réveil écologique » signé par plus de 30.000 étudiants de 400 établissements d’enseignement supérieur et donnant lieu à des actions concrètes, par exemple pour que l’enseignement supérieur intègre dans ses programmes le changement climatique.
[5] Voir « Mémo sur la nouvelle classe écologique » de Bruno Latour et Nicolas Schultz. Les empêcheurs de penser en rond, à paraître le 6 janvier 2022.
[6] Voir le site « Le pouvoir de vivre » et ses 90 propositions. 
[7] « Demain un monde convivialiste, il ressemblerait à quoi ? ». Revue du MAUSS, 1er trim.2021.
[8] In « Femmes puissantes » de Léa Salamé. Les Arènes et France Inter. Paris, 2020.