Pour une fiscalité plus juste en faveur de l’Etat social

Inégalités
 Une bombe à retardement

Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone, était interviewé samedi 29 janvier à France Inter à la suite de la sortie de son livre « Ouvrir une voie ». Il constatait que, d’après les indices boursiers internationaux, les dirigeants gagnaient 300 fois plus que le salaire moyen de leurs salariés. Il n’arrivait pas à justifier de tels écarts et considérait que c’était une bombe à retardement

 Un big bang pour une fiscalité plus juste et plus écologique

Au moment où cet article est écrit, les résultats du vote à la Primaire Populaire ne sont pas encore connus. Souhaitons que dans la perspective du changement de cap, un big bang pour une fiscalité plus juste et plus écologique soit mis en œuvre. C’est une des mesures prévues par le « socle commun » de la Primaire Populaire qui s’impose à tous les candidats. Plus de justice fiscale et moins d’inégalité s’inscrirait dans un mouvement de long terme vers plus d’égalité, mouvement interrompu depuis quarante ans par le néo-libéralisme. Souhaitons que les élections présidentielles soient l’occasion d’un retournement.

Parmi les nombreuses propositions pour un nouveau système fiscal plus juste, le manifeste d’Oxfam-France, préparé en consultation avec des experts, propose 15 réformes concrètes et lisibles, chiffrées et applicables dès le prochain quinquennat[1].Parmi ces mesures : une taxation des super héritages, une surtaxe aux millionnaires les plus polluants, un impôt sur le revenu plus lisible, plus progressif ou encore une réforme de la fiscalité des pensions alimentaires pour que les femmes soient moins perdantes. Le chiffrage des gains estimé à 65 milliards permettrait de financer l’Etat social et notamment les hôpitaux, l’éducation et la recherche, ainsi que la transformation du système productif pour affronter le changement climatique. 

Pourquoi repenser l’héritage aujourd’hui

Une note passionnante du Conseil d’analyse économique[2] intitulée « Repenser l’héritage » vient   conforter les nombreux plaidoyers pour une réforme fiscale d’importance. Cette note fait la synthèse des travaux réalisés par une grande diversité d’économistes. Elle montre comment la situation actuelle entraîne un « dérèglement profond de l’égalité des chances, valeur cardinale des sociétés démocratiques et condition de leur possibilité d’existence à long terme ». Voici comment cette note présente ses principaux objectifs :

« Cette Note propose une réforme en profondeur de la taxation de l’héritage s’appuyant sur quatre piliers. Le premier pilier est l’amélioration du système d’information actuel, sans lequel aucune réforme et aucun pilotage ne sont envisageables. Le deuxième est la mise en place d’une politique de taxation sur le flux successoral total perçu par l’individu tout au long de sa vie afin de réduire les inégalités de patrimoine issues de l’héritage. Un tel système permettrait d’éliminer les distorsions quant au séquencement des transmissions et de traiter de manière identique les héritages en lignes directes et indirectes. Le troisième pilier consiste en une refonte de l’assiette des droits de succession : réduire voire éliminer les principales exemptions ou exonérations dont la justification économique est limitée. Ceci permettrait d’instaurer des taux nominaux plus bas mais réellement progressifs, en particulier en haut de la distribution des patrimoines, tout en réduisant la taxation sur les classes moyennes. Enfin, pour réduire les inégalités les plus extrêmes dans le bas de la distribution, la création d’une garantie de capital pour tous constitue le quatrième pilier ». La recommandation n°4 amènerait à verser à chaque personne à sa majorité de 10.000 à 40.000 euros selon les scénarios.   


Pour un renouveau de l’Etat social
, grâce à une fiscalité plus juste. 
Nous assistons, depuis l’arrivée d’E.Macron qui dirige l’Etat comme une start-up, à l’Etat contre l’Etat, c’est-à-dire à la destruction de l’Etat par lui-même[3]. Alain Supiot parle à ce propos du démantèlement prévu d’EDF, comme de tous les statuts professionnels (statut salarial, fonction publique, cheminots, préfets, diplomates, universitaires…) et de la paupérisation de tous les services publics (police, tribunaux, hôpitaux, tribunaux, écoles ou université). Et il conclut sa tribune ainsi : « Alors que depuis 1946, c’est l’invention de l’Etat social qui avait instauré la légitimité de l’Etat et la victoire des démocraties. S’employer à le défaire méthodiquement au lieu de le réformer démocratiquement ne peut conduire qu’à la violence ».

Guy Roustang

[1] Oxfam France. Manifeste fiscal, juste, vert et féministe : quelle réforme pour un modèle fiscal moins inégalitaire ?
[2] Le Conseil d’analyse économique est un lieu de réflexion pluraliste qui conseille le premier ministre.
[3] Alain Supiot, juriste, professeur émérite au Collège de France, dans Le Monde du 31 janvier 2022