n°= 8; possibilité d’une renaissance 01/07/2019

CapitalismeVivre ensemble
 

Dans cette lettre d’information de l’eccap n°= 8 est posée la question de la possibilité d’une renaissance

Certes, cette renaissance apparaît a priori difficile ; d’abord en raison de la prégnance du néolibéralisme dans notre société. Le décès de Michel Serres, le 1er juin, est l’occasion pour Maurice Merchier d’une réflexion dans l’eccap sur un des thèmes chers au philosophe, et qui a été l’objet d’un de ses derniers livres « c’était mieux avant ! » ; idée reçue selon lui, qu’il n’a cessé de tenter de réfuter. Au-delà des précautions méthodologiques qu’il faut examiner, il y a pourtant bien des raisons de penser au contraire que cette formule n’est pas dénuée de pertinence. Voir la version en ligne

C’est que les politiques néolibérales ont institué des normes qui sévissent dans tous les domaines, non seulement de l’économie, des entreprises, des modes de consommation, mais aussi de l’ensemble de la vie sociale, des administrations, des associations en tout genre, jusqu’à la gestion des personnes par elles-mêmes. Ces normes se résument à la valorisation du capital, (capital humain inclus). Cette imposition d’une « raison néolibérale » se traduit mécaniquement par une perte de la qualité de la vie, une détérioration des relations sociales, et une dissipation de la simple joie de vivre, qui échappe à toute statistique. Lire ici

Il est difficile d’attendre d’un sursaut politique cette renaissance. En effet, nous sommes dans « l’année zéro de la gauche française », pour reprendre le titre d’un article du Monde du 25 juin.

Le monde associatif est lui-même dans un grand désarroi, ainsi que le montre dans l’eccap Philippe Langevin, président de l’ARDL Association Régionale pour le développement local en Provence-Alpes Côte d’azur) ; dans un environnement politique dominé par une pensée libérale, les collectivités territoriales n’accordent plus la même attention aux structures de l’économie sociale et solidaire. Lire ici.

C’est dans le dernier chapitre d’un livre sur lequel nous voudrions attirer l’attention qu’il faut chercher l’espérance de cette « possibilité de renaissance »..[i]

La situation politique est aujourd’hui bloquée par l’affrontement entre le pouvoir macroniste et le Rassemblement National. Tous ceux qui rejoignent le macronisme, pour éviter le pire, devraient s’inquiéter puisque l’incapacité du gouvernement à affronter l’injustice sociale amène des couches de plus en plus importantes de la population à rejoindre le Rassemblement national de Marine Le Pen. C’est un autre pari qu’il faut faire : celui d’une renaissance qui paraît difficile, bien sûr, puisque nous sommes dans « l’année zéro de la gauche française » pour reprendre le titre d’un article du Monde du 25 juin, Parmi les espoirs d’un renouveau il faut noter cependant deux hirondelles :
– le pacte écologique et social porté par 19 organisations environnementales, de solidarité et d’éducation, mutuelles et syndicats, concernées par le souci de l’’environnement, de la justice sociale et du renouveau démocratique. Ces organisations s’engagent dans la durée et doivent se retrouver à l’automne pour un premier bilan concernant leurs 66 propositions. Nicolas Hulot et Laurent Berger s’en sont faits les promoteurs dans la presse nationale..
Un millier de signataires « Pour un bing bang de la gauche » appellent à « construire une espérance » autour des exigences sociales et écologiques éloignée des accords de circonstance, des logiques de ralliement et de « la haine pour moteur ». Une première rencontre est prévue le 30 juin à Paris Porte Maillot sans les leaders des formations politiques, comme si un mouvement venu des militants pouvait ébranler les ego de certains dirigeants.

Le livre sur lequel nous voudrions attirer l’attention converge avec les orientations de notre encyclopédie du changement de cap (eccap) et nous semble faire le tour d’une critique du « Triomphe de l’ordre marchand » pour orienter vers ce que pourrait être une renaissance.
Ce livre est à lire pour comprendre la difficulté d’échapper à cet ordre marchand. Car la notion même d’ordre marchand nous interdit de penser que le renverser serait un jeu d’enfant. Qu’il suffirait d’un peu de bonne volonté et de bons sentiments pour nous débarrasser des vilains méchants riches qui nous dominent et détiennent le pouvoir. Dans le « dégagisme » il y a cette croyance qu’il suffirait d’éliminer nos élites pour connaître des jours radieux. Bien sûr, l’ordre marchand n’est pas totalitaire car il n’y a pas de parti unique, la violence est régulée etc. mais il n’empêche que sa prégnance est très forte. Il tend à nous isoler les uns des autres si bien que l’une des vertus du mouvement des gilets jaunes aura été de permettre à des personnes isolées de se parler. En tant qu’’homo mercantilis, je paie donc je suis. La publicité est envahissante et la plupart de nos journaux en dépendent, aussi l’autocensure des journalistes est réelle. « L’ordre marchand présente des traits totalitaires, sans pour autant l’être, et s’en trouve d’autant plus difficile à combattre ». Hervé Hutin cite Tocqueville qui prévoyait les risques d’un despotisme qui viendrait s’emparer des régimes démocratiques : « je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme ». [i]

Ceux qui voudront bien lire le livre « Le triomphe de l’ordre marchand » y trouveront des développements sur le fait que l’ordre marchand entraîne la réduction de la sphère publique ce qui a pour conséquence l’accroissement des inégalités et des exclusions, sans compter la mise à sac de la planète terre.
En définitive deux conceptions du monde s’opposent. « D’un côté un monde marchand, où l’impératif financier surdétermine les décisions économiques sans autre considération que l’argent, gage d’efficacité, où les États comme les individus sont classés par rang de richesses, où l’accomplissement passe par la possession et où le social, le culturel ou l’écologique existent de façon accessoire, sans nécessité… De l’autre, un monde où l’homme s’accomplit par la culture, la société par la solidarité, où le commerce peut être équitable, où produire et consommer n’équivaut pas à saccager et gaspiller, où les moyens sont orientés davantage vers une utilisation raisonnable et non excessive ». « Devant ces enjeux, choisir son camp est une nécessité : celui de l’ordre marchand et de la passivité dont il se nourrit … ou celui de la résistance active pour rétablir d’autres priorités ».

Hervé Hutin écrit : « Sortir de la logique de l’ordre marchand est possible malgré les contraintes qui assurent sa cohésion et sa force dès lors que les moyens adéquats sont utilisés avec détermination dans le cadre de stratégies pertinentes ». Et dans la dernière partie de son livre il fait toute une série de propositions pour desserrer l’étreinte économique et financière, sortir les médias de l’ordre marchand, moins d’espace pour la publicité et plus d’espace pour respirer, pour protéger les biens communs de l’humanité, pour favoriser la culture et l’éthique face au désarroi du monde.

L’eccap pour sa modeste part s’efforcera de mettre en valeur les diverses tentatives qui cherchent à sortir de l’ordre marchand, de les confronter entre elles, de contribuer en amont à susciter une ligne politique porteuse d’une renaissance.

Guy Roustang

[i] Hervé Hutin. Triomphe de l’ordre marchand. L’Harmattan 2011.
[i] En écho voici ce qu’écrivait Daniel Mothé à propos de l’augmentation du temps libre qu’il avait constaté au cours de sa vie militante grâce à la réduction de la durée du travail : « …si les militants de l’éducation populaire ont été évincés du terrain du temps libre par les marchands c’est parce que ceux-ci ont proposé des biens et des services plus faciles, moins austères donc plus attractifs. La culture, la connaissance, les arts exigent des efforts. Le temps libre, nouvelle formule, a pris une toute autre signification : le rejet de toute contrainte ». D.Mothé. Le temps libre contre la société » p.50. Desclée de Brouwer. 1999.