n= 7; nouvelles voies qui se cherchent en faveur de l’écologie et de la lutte contre la fracture sociale; 15/06/2019

EcologiePouvoir

 Nécessité de traduire sur le plan politique les nouvelles voies qui se cherchent en faveur de l’écologie et de la lutte contre la fracture sociale.

La percée réalisée par Macron et LREM qui détiennent tous les pouvoirs a été possible compte tenu de la fragilité de la gauche et de la droite. La gauche en se ralliant au libéralisme économique et à la mondialisation financière s’est coupée de sa base. Gauche et droite ont déçu et favorisé la prise de distance par rapport à nos institutions ainsi que l’abstention et la montée du Rassemblement National comme principale opposition. Le mouvement des gilets jaunes a manifesté la difficulté des canaux traditionnels à exprimer les revendications et le désir de changement. Mais il n’a pas été à même de s’organiser, d’exprimer des revendications en se contentant du dégagisme. Le résultat des élections européennes est un espoir même si le mauvais clivage LREM/RN est dominant. Espoir en ce sens que les préoccupations écologiques sont sur le devant de la scène et que dans certains pays les socialistes ont résisté.
Compte tenu du manque de perspective de la gauche et de la droite, LREM a pu s’imposer avec le slogan ni gauche, ni droite et l’espoir d’une politique raisonnable qui prendrait le meilleur des uns et des autres. De plus, le discours « humaniste » de Macron a pu séduire de larges pans de l’opinion, indépendamment du fait qu’il apparaissait comme le seul à pouvoir contrer le Front National. Moi-même j’ai été trompé à l’écoute du discours du président Macron devant le congrès réuni à Versailles. Ses propos m’avaient séduit et donné à penser qu’il prendrait très au sérieux les risques de l’exclusion et de la marginalisation d’une partie de la population. La collaboration ancienne de Macron à la revue Esprit, son aide apportée à Paul Ricoeur pour un de ses ouvrages, différentes publications comme par exemple le livre de Brice Couturier : « Macron, un président philosophe » etc. etc. ont créé un halo de sympathie et entretenu l’illusion. Bien sûr, tout n’est pas à rejeter en bloc dans les intentions affichées par le pouvoir en place, si l’on pense par ex. au rapport d’Erick Orsena sur les bibliothèques, ou encore à l’appui maintenu par F.Nyssen à E.Macron malgré son départ du Ministère de la culture. Appui qu’elle a manifesté lors de son interview à France Inter le mercredi 5 juin avec un bel éloge de la culture.
Mais en dernier ressort quelle est l’idéologie du macronisme ? Le livre de Brice Couturier sur E.Macron affirmait en bandeau : « Aucun de ses mots n’est le fruit du hasard ». Ce qui est peut-être vrai à condition de l’interpréter à la lumière du livre de Marc Endeweld : « Le grand manipulateur »[1]. Il est vivement recommandé d’écouter l’interview de ce journaliste par Denis Robert le 13 mai 2019. Indépendamment de l’effondrement des partis de gauche et de droite qui s’étaient partagés les pouvoirs au cours des dernières décennies, Macron a pu s’installer au niveau de l’Etat grâce à une mobilisation habile et méthodique des réseaux de pouvoir et d’argent dominants. C’est ce que montre Marc Endeweld grâce à un long travail d’enquête. Pour ce journaliste, en dernier ressort, E.Macron est un néo-libéral convaincu qui rêve de voir la France imiter la Silicon Valley. Sa personnalité remarquable est sa force et sa faiblesse : il n’a pas d’amis ni d’états d’âme. Après avoir séduit et utilisé, il n’hésite pas à jeter. Son mépris désinvolte pour le rapport Borloo, son refus de répondre à une demande générale de plus de justice fiscale m’ont guéri de mes illusions. Indépendamment du choix de Macron en faveur de l’adaptation à la mondialisation, la verticalité du pouvoir le rend incapable d’écouter le malaise populaire et de faire place aux corps intermédiaires, syndicats et associations ; contrairement à ce qui est dit et répété par le gouvernement. Au point, par exemple, que la négociation sur la santé au travail entraîne un front uni du patronat et des syndicats qui ont l’impression d’être menés en bateau.
Le pouvoir de Macron est plus fragile qu’il n’y parait, car si sa légitimité institutionnelle est incontestable, sa légitimité politique est en train de s’éroder. Son image confirmée de président des riches, et le renforcement du vote populaire en faveur du rassemblement national, qui devient la principale opposition et qu’E.Macron a lui-même encouragée, pourrait bien inquiéter une partie de ceux qui le soutiennent, y compris parmi les parlementaires de LREM. Les élections européennes ont contribué à mettre sur le devant de la scène les questions écologiques. Tout l’enjeu des mois à venir est de savoir si la conjonction des inquiétudes sur l’évolution du climat et de la biodiversité alliées à la volonté de lutter contre les inégalités et les injustices sociales et fiscales aura une traduction politique. Tout va dépendre en effet de savoir si le ni gauche, ni droite (qui n’est que le camouflage d’une adaptation à la dynamique d’une certaine mondialisation) fera place à une force politique décidée à affronter en même temps le défi écologique et la fracture sociale et territoriale. Les regroupements souhaitables amèneraient les supports actuels de Macron à choisir, car le vrai clivage n’est pas ni gauche, ni droite pour l’adaptation au monde de la finance et de l’économisme, mais le choix entre la silicolonisation du monde[2]et un véritable changement de cap (voir la charte de l’eccap dans la lettre d’information n°= 1 et l’article de Maurice Merchier « Il faut changer de cap »).
De nouvelles voies se cherchent qui allient lutte pour la justice sociale et pour l’écologie. Voici deux exemples :
– le pacte écologique et social appuyé par 19 associations (dont les grandes associations du secteur social et de la lutte pour la transition énergétique). Nicolas Hulot et Laurent Berger figures reconnues de l’écologie et du mouvement social ont appuyé ce pacte dans la presse.
– La recherche « pour un big bang de la gauche » porté par un millier de signatures. (Voir http://www.pourunbigbang.fr).
La traduction politique de ces nouvelles voies n’existe pas pour l’instant. Noël Mamère recommandait récemment à Yannick Jadot de ne pas se laisser griser par son succès aux élections européennes avec son score de 13,5% des suffrages avec la liste Europe Ecologie Les Verts. Il l’engageait à ne pas ignorer les autres forces de gauche « pour redonner du souffle et de l’espoir à toutes celles et tous ceux qui ne veulent pas se résigner à un face à face Macron-Le Pen »[3].
L’encyclopédie du changement de cap pourrait être à l’avenir un outil au service de tous ceux qui sont à la recherche d’un véritable renouveau. L’eccap est éminemment politique bien évidemment. Mais elle ne se situe pas au niveau de l’action politique avec les choix, les alliances, les compromis qui seront de la responsabilité de ceux qui devront rechercher le pouvoir de décider dans les différentes institutions du local à l’international. Elle se situe en amont avec l’ambition de contribuer à un autre imaginaire social et à la prise en compte de l’extrême multiplicité des questions à aborder.

Guy Roustang

[1] Marc Endeweld « le grand manipulateur ». Stock 2019
.[2] Eric Sadin. « La silicolonisation du monde. L’irrésistible expansion du libéralisme numérique » L’Echappée, 2016.
[3] Noël Mamère. L’écologie identitaire, un rêve irresponsable. Le Monde, 7 juin 2019.