N°= 15; Migrations et futures élections présidentielles 2022. 15/11/2019

Migrations

E.Macron a bouleversé le jeu politique bipartisan et face au Front national a pu remporter le 2ème tour des présidentielles de 2017, grâce au slogan : ni gauche, ni droite. Il souhaite reproduire la même opération en 2022. C’est dans cette perspective qu’il a lancé le débat sur l’immigration pour couper l’herbe sous les pieds du Rassemblement National (nouveau titre choisi par Marine Le Pen) et montrer que lui aussi prenait cette question au sérieux.[1]

Les contre-vérités d’E.Macron concernant l’immigration.


Malheureusement cela se fait au prix de contre-vérités relevées par F.Héran, professeur de la chaire Migrations et Solidarités du Collège de France dans une interview à France Inter du 5 octobre 2019.

Selon le pouvoir en place, la France serait un pays très attractif pour les migrants. Un argument massue utilisé par le gouvernement (qui a été repris par messieurs Cioti, Hortefeux et d’autres) serait que les demandes d’asile ont augmenté en France de 50% en 2017, alors qu’elles baissaient en Allemagne. Ce à quoi F. Héran répond qu’il s’agit d’un rééquilibrage. La France, loin d’être le pays le plus attractif pour les demandes d’asile, se situe au 11ème rang en Europe, si l’on rapporte les demandes d’asile à l’importance de la population de chaque pays. Et au moment de la crise de 2015, 2016, la France était même au 15ème rang. Si, de plus, on tenait compte du revenu par habitant le rang de la France serait encore plus mauvais. Selon F.Héran, on raconte n’importe quoi quand on donne à penser que la générosité de la politique d’accueil de la France serait exceptionnelle. Si l’on compare aux autres pays, nous serions en passe de rejoindre la moyenne européenne.

Quant à la prétention que notre politique doit devenir humaine et efficace, F.Héran considère que ce n’est pas nouveau et que c’est la politique théoriquement menée par la France depuis les années 1970.

F.Héran manifeste dans l’interview du 5 octobre une certaine irritation. Selon lui, les chercheurs sont agacés d’être considérés comme de belles âmes peu soucieuses des réalités. Il refuse l’angélisme comme le cynisme. Il n’y a pas la morale d’un côté et la politique de l’autre. Il n’y a pas l’ouverture des frontières qui serait morale et la fermeture qui serait politique. Il faut mener de front morale et politique, c’est-à-dire la responsabilité et la prise en compte des données réelles. Si les autorités persistent à prétendre que nous sommes le premier pays pour les demandes d’asile et que nous sommes sous la pression du monde entier, alors il faudra en conclure qu’elles le font délibérément en connaissance de cause et il continuera, lui et les spécialistes à dénoncer fermement ces contre-vérités.

Le gouvernement laisse aussi penser qu’avec l’AME (aide médicale d’Etat), la France ferait un effort exceptionnel pour soigner les immigrés, mais F.Héran souligne que la France est le seul pays à avoir isolé dans un compte spécial les dépenses consacrées aux sans-papiers, ce qui n’empêche pas les autres pays de soigner les demandeurs d’asile.

Personne ne devrait contester qu’il faut des règles et que la France ne peut pas accepter selon la formule de Rocard « toute la misère du monde »[2]. L’eccap ne manquera pas de revenir sur la politique d’immigration, question importante, controversée et complexe. Mais aujourd’hui on ne peut que s’élever contre l’utilisation de cette question à des fins bassement politiques. Quand E.Macron prétend faire barrage à Marine le Pen et à ses idées, on peut au contraire considérer qu’il joue les faire-valoir, et qu’il cherche à détourner l’attention pour ne pas affronter les vrais problèmes : les questions du climat, de notre démocratie, de la justice sociale et fiscale.

Ni Macron, ni Marine le Pen.

La question des migrations n’était pas mise en avant par les gilets jaunes sur les ronds-points et ce sont les questions de justice sociale, de politique fiscale, d’évolution du climat, de représentation démocratique qui préoccupent le plus les français.

Il faut se rendre compte que 30 ans après la chute du mur de Berlin, alors que l’on croyait à l’époque au triomphe « d’une conception du monde structuré par la marché »[3], la mondialisation actuelle, la financiarisation des économies, l’aggravation des inégalités entraînent dans le monde entier des soulèvements, des protestations.

Pour les futures élections présidentielles de 2022, il faut substituer au « ni gauche, ni droite » un « Ni Macron, ni Marine Le Pen » avec l’espoir qu’en France une force politique pourra se dégager qui refusera le repli nationaliste que favorise la mise en avant de la question migratoire, qui affrontera les défis que sont l’évolution du climat, l’aggravation des inégalités sociales, et l’appauvrissement de notre vie démocratique.

[1] Sauf que cette fois il pourrait bien perdre compte tenu des mécontentements dus aux inégalités sociales que sa politique a aggravées.
[2] F.Héran souligne du reste que ce ne sont pas les plus pauvres qui cherchent à immigrer, mais ceux qui le peuvent.
[3] Voir l’éditorial du Monde du 9 novembre 2019.