MANIFESTE POUR UNE « ÉCONOMIE D’ACTEURS CAPABLES »

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Dans l’imaginaire technocapitaliste si le présent est inquiétant, le futur sera « radieux » grâce à la réalisation de la grande promesse technoscientifique. Mais, tel un mirage dans le désert, le principe d’accélération qui la sous-tend semble nous éloigner toujours plus de ces « jours heureux ». Malgré les avancées techniques, la pression sur les ressources et les écosystèmes, les processus d’exclusion sociale apparaissent de plus en plus présents. Et l’on commence à douter de la durabilité d’une société « ultra-technologique » et encore plus de sa capacité à résister aux chocs des crises qui nous attendent.
 
S’inscrivant à rebours de ce progressisme infini supposé être capable de répondre à l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés, nous prônons une nouvelle forme de développement capable d’apparaître comme une solution complémentaire voire alternative. Un développement qui interroge nos besoins réels afin de les satisfaire de la façon la plus simple, la plus proche, la plus sobre et la plus appropriable possible par le plus grand nombre. Une vision du futur qui nous invite à inventer une nouvelle façon de faire la ville, de se déplacer, d’accéder aux biens et services dont nous avons besoin, de produire et de s’engager pour tendre vers plus de simplicité et permettre à chacun de se sentir de nouveau partie prenante de son environnement. 
 
Cette proposition part du constat que les défis environnementaux, sociaux et anthropologiques auxquels nous sommes confrontés se situent d’abord dans les villes. Si celles-ci occupent moins de 2% de la surface de la terre, elles représentent 78% de la consommation énergétique mondiale et 60% des émissions de gaz à effet de serre (ONU-Habitat). Par ailleurs, les villes centre sont au cœur des inégalités et de l’exclusion (Observatoire des inégalités). A défaut de se reposer sur la régulation de flux toujours plus rapides et volumineux par la seule technologie , nous soutenons un urbanisme qui, plutôt qu’augmenter la vitesse, privilégie la réduction de la distance. Cet urbanisme des proximités permet de rompre avec la vision économique d’un espace neutre et inactif et ouvre la voie à un processus d’autonomisation des habitants qui forme la condition première du changement. Riches et complexes, ces proximités formeront de nouvelles ressources cognitives au service de la créativité de leurs usagers et, plus largement, des habitants. C’est ainsi que cette forme urbaine sera un cadre favorable à l’évolution de nos modes de vie, de nos pratiques liées à nos déplacements, à la gestion de nos déchets, à nos consommations quotidiennes et à des modes de production novateurs en capacité de répondre, en partie, aux besoins élémentaires des populations (énergie, biens et services de première nécessité, habitat, etc.) tout en réduisant fortement les flux par la diminution des distances d’un côté et par le principe de circularité de l’autre. 
 
Ces centralités seront les lieux d’expérimentation de nouvelles formes économiques qui ancrent leur développement sur des réponses redonnant une place centrale au temps (marchand et non marchand), à la créativité humaine, aux capacités relationnelles et à des technologies proportionnées et soutenables. Cette « économie d’acteurs capables » participera à la relocalisation d’activités qui, articulée avec des filières locales compétitives de réemploi et de valorisation des déchets, créera une économie circulaire en prise directe avec la satisfaction des besoins des habitants (réparation, réemploi, réutilisation et, à défaut, recyclage).  Cette nouvelle économie urbaine comblera le fossé entre lien social, réalité industrielle et urgence écologique. Par le développement des principes collaboratifs et de conception open-source, des manufactures de proximité verront le jour qui permettront aux entreprises artisanales et aux PMI locales de disposer de solutions proches pour concevoir et développer des outils simples, robustes et surtout réparables. Cette réappropriation de la fonction de réparation et de production sera un moteur de création de lien social, de montée en compétences, d’autonomie et d’un maintien de la performance économique.
 
Cette programmation urbaine novatrice favorisera l’émergence de « pôles transitionnels » qui formeront les cœurs économiques de cet urbanisme des proximités. Ces pôles concentreront et irrigueront mutuellement des activités et acteurs convaincus par les principes d’une économie technologiquement proportionnée, collaborative et circulaire. Ils seront voulus comme des lieux de créativité au service de l’intelligence collective de leurs usagers au sens le plus large, leurs partenaires formeront une communauté de pratiques coopératives, et leur gouvernance pourra être construite collectivement. Vu comme un construit social, un lieu d’engagement, de participation civique, sociale et économique, ces pôles transitionnels accueilleront une diversité d’acteurs aux compétences variées dans un environnement encourageant les interactions sociales, le tout favorisant le passage d’un intérêt personnel initial à un intérêt collectif et c’est ce qui leur donneront leur capacité à créer cette économie d’acteurs capables. 
 
Cette démarche est systémique car elle se base sur une triple transformation : urbaine, économique, sociale. Elle est ancrée dans la proximité pour recréer du lien social et faciliter la coopération entre producteurs, consommateurs, habitants et puissance publique. Cette révolution d’une économie d’acteurs capables vise à répondre à la complexité d’un monde qui nous échappe et à contrebalancer la dépendance globale par la créativité locale. Au vu de l’ampleur de sa rupture avec le récit technocapitaliste cette proposition ne pourra se faire sans la participation massive des premiers concernés : les habitants. C’est pourquoi toutes les méthodes de programmation urbaine et de conception des pôles transitionnels devront privilégier l’intelligence collective et la participation. Dans cette perspective, et en s’inscrivant dans les mouvements de réappropriation des techniques et des savoir-faire cette approche mettra en lumière une nouvelle économie du temps adaptée au monde contemporain. Cette richesse insoupçonnée qu’est notre « revenu temps » se retrouvera dans des activités marchandes et non marchandes, participera au processus cognitif de ces espaces et ouvrira la perspective d’une nouvelle approche de la notion de richesse.
 
 
Ainsi, cette économie d’acteurs capables ouvre la perspective d’une ville apte à répondre aux besoins élémentaires des habitants (énergie, réemploi des matériaux et déchets, biens et services de première nécessité, etc.) tout en ouvrant des voies nouvelles pour répondre aux enjeux démocratiques, sociaux et écologiques qui formeront le cadre dans lequel nous seront amenés à vivre.
 

David Ben-Haïm – Ingénieur, co-fondateur et directeur d’Ici Marseille
Valérie Decot – Architecte, fondatrice de Raedificare
Benjamin Denjean – Ingénieur, co-fondateur de Le paysan urbain
Jonathan Cacchia – Architecte, président de Thalassanté
Renaud Vignes – Économiste, membres de Nos Quartiers Demain
Éric Woloch – Sciences politiques, fondateur de Rezonanz