N°= 38: Le vide d’idéal, propice à l’islamisme 01/11/2020

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Le vide d’idéal, propice à l’islamisme

« Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle » (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, L’Appel, Plon, 1954)

Le meurtre de Samuel Paty, peu après le lancement de la proposition de loi sur le séparatisme, a provoqué un choc tel que le débat sur l’islamisme s’enflamme. François Dubet, ([1]) en fait la synthèse, en montrant les deux camps qui s’opposent, l’un voyant dans « l’islam le terreau de l’islamisme », et l’autre qui le considère comme « la religion des opprimés ». C’est dans ce second camp que se situent ceux que l’on qualifie souvent d’islamo-gauchistes, dont la lecture de l’histoire récente reste inspirée de la problématique marxiste. Pour eux c’est le capitalisme (ou le néolibéralisme) et ses conséquences qui sont à l’origine du djihadisme, La politique impérialiste des Etats-Unis, les entreprises coloniales, la défense des intérêts des grandes firmes, etc, ont déstabilisé le Proche-Orient et préparé les réactions du monde musulman; la situation économique et sociale faite aux immigrés depuis l’époque des trente glorieuses constitue le terreau sur lequel l’islamisme s’est développé.
Il est vrai que le néolibéralisme est le terrain propice au développement de l’islamisme.. Comme l’écrit A.Caillé au cours du débat entre convivialistes : « le néolibéralisme est aussi délétère pour les principes républicains que l’islamisme et…d’ailleurs ils vont largement de pair. Plus précisément : la destruction du public et des communs par le néolibéralisme ouvre un boulevard à l’islamisme. Autrement dit, la République trahit ses principes depuis des décennies en abandonnant ses enfants qui vivent dans les quartiers en difficulté devenus un terreau pour le djihadisme ([2]) Soyons justes, cela ne date pas de l’arrivée d’E. Macron à la présidence de la République, mais aujourd’hui le mépris à l’égard du plan Borloo d’avril 2018, le refus de la justice fiscale demandée très généralement et notamment après le grand débat national qui a suivi le mouvement des gilets jaunes nous angoisse.  Pourtant, au-delà de ces raisons, la véritable cause du développement de l’islamisme se situe dans une autre sphère. On peut, on doit même combattre toutes les formes de racisme et toutes les discriminations. Mais la principale explication de l’islamisme n’est pas dans l’économie; ce ne sont pas les injustices sociales et les discriminations (même si elles créent en effet ce terreau favorable) qui en sont à l’origine. Le fondamentalisme musulman qui imprègne maintenant dans notre pays la base de la pyramide, ou la partie immergée de l’iceberg, pour le dire comme Jérôme Fourquet, est le résultat – selon le même auteur – d’une « entreprise politique et idéologique claire ». ([3]). C’est ce qui a permis que s’amorce cette entreprise qu’il faut comprendre.
L’intégration des vagues d’immigrés depuis les trente glorieuses est un raté historique dont les conséquences sont graves. Au-delà de la relégation économique et sociale, par le travail à la chaîne et les foyers Sonacotra, puis par le chômage et la dégradation des HLM transformant de nombreux quartiers de banlieue en semi-ghettos, il y a des raisons idéologiques à cet échec; la raison essentielle est l’incapacité de la société française à offrir un nouvel idéal à ces nouveaux arrivants… et pour cause, étant incapable de se le créer pour elle-même.. C’est le vide spirituel qui explique le renouveau du fondamentalisme, dans une version de pacotille, (peu de terroristes ont vraiment lu le Coran), exacerbée par des imams incultes manipulés de l’extérieur, et débilitée par les réseaux sociaux.
Avec le désenchantement du monde, c’est-à-dire l’affaissement des grandes religions, et l’échec des utopies communistes, rien n’est venu remplir ce vide. Durkheim, au début du siècle, avait compris le défi de la sécularisation du monde et de l’instauration de l’enseignement laïque. « Car, ne l’oublions pas, nous ne pourrons instituer une éducation laïque que si nous pouvons assigner à l’individu une fin qui le dépasse, que si nous pouvons donner quelque objectif à ce besoin de se dévouer et de se sacrifier qui est la racine de toute vie morale. Si la société n’est qu’une apparence, si, par suite, la réalité morale finit à l’individu, a quoi celui-ci pourra-t-il s’attacher, se dévouer, se sacrifier ? » ([4])
Comment fabriquer à nouveau de l’idéal ? Il n’est pas certain que le patriotisme soit à la hauteur de ce défi. Mais il est sûr que le dénigrement systématique de notre pays et de son histoire sape efficacement toute velléité de cohésion sociale. Un article de Hérodote, rédigé par son fondateur André Larané « aimer la France quoiqu’il en coûte » l’explique mieux qu’on ne saurait le faire ici. En voici juste deux citations
“”Ce n’est donc pas en invoquant notre régime politique que nous inculquerons aux jeunes Français et immigrants le « désir de vivre ensemble » (dans cette expression d’Ernest Renan, c’est le mot « désir » qui est le plus important) mais en transmettant l’amour de la France, de ses habitants, ses paysages, ses lettres et ses arts, son histoire et ses héros. Y sommes-nous encore disposés ?
(…) “Quel enseignant osera reprendre l’injonction d’Ernest Lavisse : « Enfant, tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle, et parce que l’Histoire l’a faite grande »… Lequel sera prêt à chanter Ma France avec ses élèves sans craindre de heurter les imams salafistes, les intellectuels de salon qui assimilent la France à un État raciste et pire que nazi, et les bourgeois qui vomissent les « gars qui fument des clopes et roulent au diesel » ?
Cette piste est confirmée par certains témoignages d’intégration réussie. Voici par exemple ce que nous dit Wahida El Mansour, maghrébine arrivée en France en 1989 par le regroupement familial : « Samuel Paty, un de mes collègues enseignants, a été assassiné… C’était un collègue professeur qui accomplissait son travail quotidien comme des milliers de professeurs dans nos écoles, nos collèges, nos lycées et nos universités… Pour comprendre ce que ça signifie, j’aimerais vous raconter mon histoire d’amour avec l’École qui n’aurait pas pu avoir lieu sans des dizaines de Samuel Paty. Musulmane, femme, maghrébine de la première ou de la deuxième génération, je suis avant tout française de cœur et de raison par l’École et pour l’École. Je suis française de cœur parce que j’aime Olympe de Gouges, Louise Michel, Simone de Beauvoir, Victor Hugo, Jean Jaurès et tous les autres qui font ma France : libertaire, humaniste, dreyfusarde, résistante. Française de raison, car j’ai appris la liberté à l’école » ([5].)

Maurice Merchier

[1] Attentat de Conflans : « Le piège de nos débats se referme sur notre vie démocratique » Le Monde du 21 octobre 2020
[2] Voir notre Lettre n°20 : Les responsabilités partagées d’une société de la ségrégation.
[[3] Jérôme Fourquet: «Comprendre la pyramide de l’islamisme radical» FigaroVox Publié le 21 octobre 2020
[4] Emile Durkheim, L’Education morale p 181 (Cours de sociologie dispensé à la Sorbonne en 1902-1903)
[5 Lire la suite dans AOC. 20 octobre 2020
 
 
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