LES ENERGIES ELECTRIQUES RENOUVELABLES INTERMITTENTES ET LEURS LIMITES.

Transition énergétique
Nous abordons ici un des problèmes cruciaux de la stabilité d’un réseau électrique et
donc de la sécurité d’approvisionnement qui en découle.
Actuellement le réseau électrique de notre pays est alimenté par trois types de centrales
électriques.
1/ Les centrales dites de base qui doivent être disponibles toute l’année 24h sur 24.
Ce sont toutes des centrales thermiques, alimentées soit par des combustibles fossiles
(gaz et charbon essentiellement) soit par des combustibles nucléaires. Les premières fournissent
8 à 10 % de la consommation annuelle d’électricité en France, les secondes environ 70%
2/ Les centrales utilisant les énergies renouvelables pilotables, qu’on actionne à la
demande:
L’énergie hydraulique qui est très souple : l’ouverture de vannes entraine immédiatement
la fourniture d’électricité. Par contre elle est limitée par le réseau fluvial du pays: on ne peut pas
mettre des barrages partout. Leur contribution annuelle est de l’ordre de 12%.
Les énergies renouvelables appelées bioénergies: l’énergie du bois (biomasse) et celle
donnée par des gaz provenant de décompositions naturelles (les bio gaz). Elle sont stockables et
donc pilotables. Elles ne représentent pour l’instant que quelques pour cent de la consommation
totale d’électricité mais peuvent aussi donner directement de la chaleur.
3/ Les énergies renouvelables intermittentes: elles sont liées à des sources qu’on ne
contrôle pas: le soleil et le vent. Par contre on peut prédire avec plus ou moins de précision leur
occurrence. Ce sont :
– Les énergies éoliennes posées au sol ou sur l’eau. (actuellement 6% du total)
– Les énergies solaires thermiques et photovoltaïques; ce sont ces dernières qui.
nous intéressent ici puisqu’elle sont sources de courant électrique et contribuent à peu près à 2%
du total.
Le système électrique français est donc actuellement à 78% de base pilotables et 22%
renouvelables dont 8% d’intermittentes. Il ne pose pas de problème de stabilité.
On résume dans le tableau suivant les origines de production d’électricité sur le réseau national
en 2019. C’est la 3° colonne du tableau. Nous avons également figuré en dernière colonne les
objectifs futurs qui font l’objet de la suite du document.

Type d’énergie                                              2019                Objectif futur

Pilotable     nucléaire                                       70 %                de 25 à 0%
Pilotable Gaz. (+ à court termecharbon)         8 %                 de 10 à 35%
Renouvelable pilotable Biomasse,biogaz      2 %                 10 %
Renouvelable pilotable Hydraulique             12 %                 15 %
Renouvelable intermittent Eolien                     6 %                25 %
Renouvelable intermittent. Photovoltaïque      2 %                15 %
TOTAL                                                              100 %                100 %

Comment ce système est-il appelé à évoluer?

On part du principe actuellement accepté par tous : La pénétration des énergies
renouvelables intermittentes doit accompagner la baisse d’activité des centrales de base en
l’occurrence nucléaire et gaz et l’extinction des dernières centrales au charbon. Peut-on à court
terme se passer des énergies de base? La réponse est non. Pourtant certains pays y sont arrivés
ou en passe d’y être: L’Islande (géothermie + Hydraulique), et bientôt l’Autriche et la Suède grâce
à une très forte proportion d’hydro-électricité.
On fera une remarque préliminaire à un quelconque scenario : lorsque l’on diminue la
consommation et la production d’énergie électrique totale, on augmente d’autant la proportion
d’énergies renouvelables pilotables, hydraulique et bioénergie ce qui permet de diminuer la part
des énergies de base (nucléaire et gaz).

Pour l’instant il est prudent et réaliste de supposer que la consommation d’énergie
électrique en France va rester constante pendant de nombreuses années: c’est déjà le cas depuis
près de dix ans, la légère diminution l’énergie électrique due à l’éclairage et au chauffage étant
contre balancée par l’augmentation des appareils électroniques et informatiques de toute sorte.

Il faut maintenant définir un paramètre qui joue un rôle important dans la suite du
document: il s‘agit du facteur de charge:
Il est défini comme le rapport de la production d’énergie électrique d’une source
donnée pendant un an, à la production qu’aurait délivrée cette même source fonctionnant
de façon continue à pleine puissance pendant les 8760 heures de l’année.
Par exemple en
France ce facteur de charge est pour l’énergie photovoltaïque de 15% en Provence et de 11%
dans les Hauts de France. Pour l’énergie éolienne on atteint un facteur de charge proche de 30%
en Irlande, mais il n’est que que de 21 % en moyenne en France. On voit que ce facteur de
charge est bien sûr lié à la géographie et à la météorologie d’un lieu donné pendant un temps
donné et rien d’autre.

Pour essayer d’anticiper quelle sera la limite de pénétration des énergies intermittentes,
nous avons observé ce qui se passe dès maintenant dans des pays plus avancés que le nôtre
dans leur développement de ce type d’énergie : Danemark, Espagne et Allemagne. Nous ne
donnons pas ici le détail des résultats obtenus.

Nous sommes arrivés à la conclusion suivante:
Quand sur un territoire donné, échangeant peu d’énergie électrique avec ses voisins et ne
possédant pas de système de stockage massif, l’on développe une énergie intermittente, on
observe que lorsque la part de cette énergie injectée dans le réseau atteint la valeur de son facteur
de charge, la régulation du réseau devient très difficile.
Cette observation mérite quelques explications: D’abord on parle ici d’énergie (MWh) et
non de puissance installée (MW).
Ainsi, tant que les interconnections entre pays frontaliers et les systèmes de stockage sont
faibles, on peut s’attendre en France, en étant un peu optimiste, à un taux de pénétration limite
des énergies intermittentes de l’ordre de leurs facteurs de charge: 25% pour l’éolien et 15% pour
le photovoltaïque. Ces chiffres prennent en compte le fait qu’il y a une certaine complémentarité
dans l’espace et le temps entre ensoleillement et vent. Par ailleurs, une meilleure utilisation des
capacités hydrauliques, sans construction de nouveaux grands barrages permettrait peut-être
d’atteindre 15% de la production. Enfin les énergies renouvelables pilotables (biomasse et
biogaz) devraient alors atteindre 10%. Ainsi une limite raisonnable de pénétration de toutes les
énergies renouvelables en France atteindrait 65%. Ces valeurs sont présentées dans la dernière
colonne du tableau précédent.
Ce constat ne nous dit pas quand cet objectif sera atteint en France, car on en est loin! Au
rythme de construction de nouvelles installations éoliennes, pour passer de 16 000 MW installés à
60 000 MW éolien, il faut une trentaine d’années (2050). Pour le photovoltaïque c’est à peu près
du même ordre. Pour arriver à l’objectif souhaité en 2040 plutôt que 2050 il faudrait augmenter de
30% le rythme annuel de mise en service de ces sources intermittentes: cela paraît jouable mais
c’est déjà un effort notable.
Mais que fait-on simultanément pour les autres énergies nécessairement pilotables? Il
reste à partager les 35 % restants entre le nucléaire, dont il restera environ 7 000 MW en 2050 à
partir de réacteurs déjà construits aujourd’hui, fournissant alors de l’ordre de 10% de l’énergie
annuelle. Pour les 25 % restant, une part importante sera fournie par le Gaz ( qui présente un bon
rendement avec le cycle combiné) donc une faible émission de CO2. Une souplesse d’utilisation
lors des variations rapides de puissance et l’intérêt d’un possible mélange de méthane de
synthèse renouvelable et de gaz naturel est alors intéressant. C’est la raison pour laquelle on
s’accorde à attribuer au gaz la meilleure voie possible de la transition énergétique pour
l’électricité et le chauffage. Le choix est alors entre deux extrêmes: on arrête le nucléaire et on
construit des centrales au gaz qui fourniront 35% de l’énergie ou bien on garde 10% de gaz pour
assurer la souplesse et la stabilité du réseau et il faut alors une autre part fournie par le nucléaire
qui serait alors 25%, nécessitant de construire d’autres réacteurs d’ici-là. La vraie décision
politique est là. Il ne faudrait pas attendre 20 ans pour la prendre.
Ce scenario pourrait être amélioré en jouant sur la consommation (éducation du
consommateur) et le progrès du stockage. A ce sujet, il faut rappeler que l’utilisation des énergies
électriques en surplus provenant des sources intermittentes peuvent augmenter la part du gaz
renouvelable par électrolyse de l’eau fournissant l’hydrogène (on appelle cela Power to gas). Mais
cela ne permet pas de stocker l’énergie électrique. Seule une réduction des coûts des
batteries n’utilisant pas trop de métaux rares serait susceptible de résoudre ce problème. Il s’agit
du long terme.

Alain Leridon

Alain Leridon est ingénieur physicien passionné par les problèmes d’énergie, avec 37 ans de nucléaire et 20ans d’énergies renouvelables.  Il est l’auteur de « L’atome hexagonal”  histoire du nucléaire en France de 1945 à 1990. (2009) Ed. ALEAS