Les bacheliers du futur apprendront probablement à situer l’effondrement systémique en cours depuis la crise de 2008 comme le point d’entrée dans le XXIème siècle. Derrière l’accumulation de signaux économiques, sociaux, écologiques et géopolitiques délétères, c’est un contexte radicalement nouveau qui se dessine progressivement. Crise écologique tout d’abord. Selon l’IEA (2016), les records de température sont désormais régulièrement battus sur les deux hémisphères, et, tandis que les précipitations s’accroissent en intensité, les zones arides sont soumises à des épisodes récurrents de sécheresse. Un rapport de la Banque Mondiale (2017) démontre que le dérèglement climatique a engendré une forte diminution les rendements agricoles, la destruction de zones côtières, et une déstabilisation significative des écosystèmes mondiaux. Ces tendances auront pour conséquence, à terme, de mettre en péril la sécurité alimentaire, les écosystèmes terrestres, l’accès à l’eau et à l’énergie. En l’absence d’un plan d’action rapide pour dé-carboner l’économie mondiale, l’humanité sera rapidement confrontée à des crises répétées de la sécurité alimentaire, et à l’apparition de nouvelles pathologies, qui frapperont par ailleurs de façon disproportionnée les pays en développement et les régions équatoriales. Les objectifs partagés de promotion du développement humain, de lutte contre la pauvreté, et de lutte contre les inégalités globales seront extrêmement compromis si nous laissons la température augmenter de 4 degrés d’ici 2100. En l’absence d’une réorientation de notre mode de production sur la base d’une prise en compte des externalités que ceux-ci génère, le nouveau monde du XXIème siècle sera très probablement caractérisé par un recul tendanciel du développement humain, une aggravation des disparités de développement, et une montée des risques géopolitiques
Crise économique ensuite. De nombreux travaux indiquent que la Grande Récession de 2008 a laissé la place à une phase de Stagnation Séculaire, caractérisée par un ralentissement prolongé de la croissance économique dans les pays industrialisés, dans un contexte de creusement des inégalités de revenu et de développement disproportionné de la sphère financière (Summers, 2017). Ce ralentissement provient notamment d’un déséquilibre entre la propension à épargner et la propension à investir des agents économiques, ce que traduit par exemple la proportion croissante des cash-flows des grandes entreprises qui est distribuée aux actionnaires plutôt que d’être réinvestie dans le secteur réel (Lazonick, 2013). Cette épargne excessive pèse alors sur la demande effective, réduisant la croissance et l’inflation, tandis que le déséquilibre entre épargne et investissement contribue à réduire les taux d’intérêt, qui sont aujourd’hui à des niveaux historiquement bas. Dans ces conditions, les économies ont basculé sur un modèle de croissance fondé sur des niveaux excessif d’endettement, qui convertit l’excès d’épargne en un excès d’investissement au regard de la demande effective (comme en témoigne la résurgence des phénomènes de « bulles » du prix des actifs financiers ou immobiliers). Ces tendances prennent place dans un contexte où le risque systémique d’un effondrement massif du système bancaire international n’a jamais été aussi élevé : selon le Comité pour la Stabilité Financière, 17 banques sont aujourd’hui identifiées comme « systémiquement importantes » du fait de leur taille et de l’interpénétration de leur actionnariat (FSB, 2014).
Crise sociale enfin. Un rapport de l’OCDE datant de 2011 indique que le coefficient de Gini, l’indicateur usuel de mesure des inégalités de revenus[1], a augmenté de près de 10% en moyenne dans les pays de l’OCDE, entre le milieu des années 1980 et la fin des années 2000. Comme le montre Piketty (2013), Saez et Zucmann (2014), cette hausse des inégalités peut s’expliquer par la différence observée entre le taux de rendement du capital et le taux de croissance économique. Par exemple, entre 1979 et 2007, le revenu net du quintile inférieur de la population américaine (c’est-à-dire les 20% les plus pauvres) n’a augmenté que de 18%, alors que sur la même période le revenu du 1% les plus riches (c’est-à-dire les revenus annuels supérieurs à 352 000 dollars en 2010) a augmenté de 277%. Notons enfin que cette modification de la distribution de la valeur ajoutée prend place dans un contexte où le développement technologique menace profondément l’équilibre du marché du travail. Le cabinet de conseil McKinsey (2015) anticipe en effet que 45% des activités humaines rémunérées aux Etats Unis pourraient être automatisées par simple application des technologies existantes ce qui permettrait une baisse de 2 trillions de dollars des salaires annuels versés. Plus encore, l’automatisation n’affecte pas seulement les emplois faiblement qualifiés mais également les occupations les mieux rémunérées, tels que les gestionnaires financiers, les pharmaciens, et les dirigeants d’entreprises, dont les PDG. Selon la Banque Mondiale (2017), dans les pays en développement, c’est 80% des emplois qui pourraient être supprimés du fait de la robotisation.
Précisons enfin que ces trois crises sont inextricablement enchevêtrées, et que leur conjonction engendre, in fine, une montée des périls géopolitiques. La mer Méditerranée, sur laquelle est située notre Ecole, en fournit un triste exemple. Elle demeure la frontière la plus inégale au monde : le PIB combiné des pays de la rive Sud (Egypte, Maroc, Tunisie, Liban, Turquie, Israël et Palestine) est équivalent à celui de l’Espagne. Si l’on enlève de cette liste la Turquie et Israël, le PIB obtenu est inférieur à celui de la Belgique. Au Sud de la Méditerranée, où 100 million de nouveaux chercheurs d’emploi sont attendus d’ici 2020 du fait des tendances démographiques, un taux de croissance moyen de 10% par an serait nécessaire pour stabiliser le taux de chômage à son niveau actuel. La Méditerranée – et au-delà, l’Afrique subsaharienne – est par ailleurs l’une des régions au monde les plus exposées aux conséquences du dérèglement climatique. Ces divers problèmes ont trouvé une manifestation géopolitique dans le conflit en Syrie, qui entre dans sa 6èe année.
[1] Le coefficient de Gini est compris entre 0 (si tous les individus ont exactement le même revenu) et 1 (si un seul individu détient tout le revenu).