Les fondamentaux contre le fondamentalisme

Laïcité
Extraits de la revue Etudes de septembre 2021.

La théologienne protestante, Marion Muller-Colard et la première imame française Kahina Bahloul échangent sur les fondamentaux de leurs traditions religieuses pour lutter contre les fondamentalismes.
Tout cet échange mérite d’être lu mais nous nous contentons d’en citer des extraits concernant :
« L’exercice du ministère et la place des femmes »
M.M-C. Vous participez également à une grande aventure qui est la création d’une mosquée plus libérale, mixte où vous êtes deux imams à officier. Pourriez-vous nous parler de cette aventure ?

K.B. La mosquée Fatima existe depuis 2019. Nous sommes deux fondateurs, deux imams (un homme et une femme), au sein d’un collectif, d’une communauté qui a créé cette mosquée sous le régime de la loi de 1905. Mon collègue Farek Korchane, qui est également professeur de philosophie, est très sensible au courant de la théologie rationnelle musulmane qui a émergé dans la pensée musulmane au tout début, c’est-à-dire au VIII ème siècle, et qui a posé cette question de Coran créé ou incréé. C’est une question absolument centrale, parce que si l’on considère que le texte coranique est consubstantiel à Dieu, alors on sacraliserait tout, et tous les versets auraient la même portée. On érigerait tous les versets en règle universelle immuable, ce qui est très problématique aujourd’hui. Le courant de la théologie rationnelle – le mutazilisme- prône plutôt l’idée d’un Coran créé, donc qui peut-être recontextualisé. Notre objectif est  de réintégrer les textes en fonction de la pensée réformiste qui existe dans l’Islam depuis le XIXème siècle, de nous inspirer de ces penseurs-là. Et de nous inspirer aussi des méthodes contemporaines de l’affranchissement politique des sciences humaines et sociales, ce qui n’est pas fait aujourd’hui dans l’islam.

M.M.-C. Comment expérimentez-vous cette complémentarité avec votre collègue Faker Korchane ?

K.B. On dit souvent que je suis féministe, que je me bats beaucoup pour la place des femmes, et on le perçoit parfois comme une volonté d’opposer les femmes aux hommes. C’est tout le contraire. La mosquée Fatima  est le fruit d’une volonté de vivre la foi religieuse selon le paradigme de l’incarnation. Notre projet est d’exprimer qu’une harmonie est possible entre les hommes et les femme, avec la possibilité de vivre notre foi et notre religion au sein d’un lieu cultuel qui soit vraiment construit autour du respect mutuel. En ce qui concerne l’exercice du ministère religieux, nous reconnaissons exactement les mêmes prérogatives pour les hommes et pour les femmes d’exercer le ministère religieux.

M.M.-C. : C’est une des premières altérités dans la vie humaine, cette altérité entre les sexes. C’est donc aussi une école ou un témoignage d’altérité qui permet d’ouvrir à d’autres altérités. A propos du féminisme vous écrivez : « Je me questionne sur le bien fondé d’en faire une cause à part des autres causes humanistes. » A la question de la place des femmes viennent s’ajouter et s’ajuster d’autres questions dans différents domaines. Comment voyez-vous cette articulation ?

K.B. Je pense que la question de la place des femmes dans une société est révélatrice d’un ensemble de mécanismes qui sous-tendent l’organisation de cette société. Dès lors que la place des femmes est bancale, que l’on ose être dans l’exclusion de toute une moitié de l’humanité, se révèle un schéma de pensée, une vision du monde, un rapport à l’altérité, à toutes les autres altérités que l’on souhaite minorer. Lorsqu’on veut dominer les femmes, on domine généralement plusieurs autres catégories sociales. La place des femmes est donc très révélatrice du fonctionnement inégalitaire de nos sociétés.