Le financement de l’hôpital : quand vient le temps de l’expérimentation

Santé

Depuis des lustres, le financement des hôpitaux fait l’objet de révisions, de modifications, voire de « refontes ». C’est que le changement de « modèle économique » possède en lui-même une vertu. Il permet de ne pas figer les « rentes de situation » que, fatalement, chaque mode de financement engendre. Avant d’évoquer le mode qui prévaut aujourd’hui, il est nécessaire de brièvement tracer l’historique des modalités abandonnées mais qui, en leur temps avaient été présentées comme des panacées.

Grandeur et décadence du Prix de Journée et du Budget Global

Le financement par le « Prix de Journée », dominant jusqu’au début des années 1980 dans les secteurs public et privé, était d’une certaine façon efficace. Son caractère naturellement, explicitement inflationniste combiné à un contrôle administratif lâche a permis la croissance rapide de l‘offre hospitalière. Or, cette croissance était en phase avec les « trente glorieuses » dont l’hôpital fut l’un des moteurs et l’un des bénéficiaires (Fourastié, 1979).

Mais le Prix de Journée s’est assez vite révélé pervers. Poussés par une forme de concurrence mimétique, les hôpitaux se sont lancés dans une « course aux armements », c’est-à-dire à l’équipement lourd qu’il était facile de rentabiliser en multipliant les séjours hospitaliers. Les hôpitaux « gagnants » n’étaient pas les plus performants mais ceux susceptibles de « remplir leurs lits ». L’instauration d’un Taux Directeur national (sorte d’augmentation du prix qu’il ne fallait théoriquement pas dépasser) n’a été suffisante ni pour ralentir la croissance anarchique ni, surtout, pour limiter le creusement des inégalités territoriales.

Au début des années 1980, le contexte économique et politique changeait profondément ; notamment avec le « tournant de la rigueur » pris en 1983. Le respect de l’équilibre des comptes publics s’imposait alors comme un dogme. La formule du « Budget Global » (ou de la Dotation Globale) est apparue comme une solution disponible. Elle consistait à donner à chaque hôpital une enveloppe annuelle (versée mensuellement) qu’il ne devait pas dépasser. Dès 1986, cette procédure a été appliquée au secteur public et privé à but non lucratif ; les cliniques conservant le financement à la Journée et à l’Acte (Moisdon et Tonneau, 2008).

Les hôpitaux « gagnants » étaient ceux qui pouvaient soit obtenir des rallonges budgétaires en fin d’exercice, soit trouver des ressources annexes à l’ombre du Ministère ; c’est ainsi qu’ont fleuri les Associations de 1901 adossées à de grands hôpitaux. De plus la Dotation de chaque établissement était calculée sur la base des ressources constatées l’année précédente. Cette procédure (simple, il est vrai) n’incitait pas les hôpitaux à rationaliser leurs coûts. De plus, elle interdisait aux tutelles de « récompenser » les hôpitaux les plus vertueux. Enfin, le fait que les deux secteurs, public et privé commercial, n’étaient pas financés selon le même mode ne pouvait que favoriser les jeux stratégiques, tels le partage de clientèles. C’est donc pour combattre ces effets pervers, tout en essayant d’allouer les ressources en fonction de l’activité réelle, qu’un nouvel instrument, la Tarification à l’Activité, ou T2A, a été élaboré.

La T2A et le mirage libéral

Introduite en 2004 et déployée jusqu’à aujourd’hui, la Tarification à l’Activité (T2A) change à nouveau la base du financement. Techniquement, la T2A s’apparente à une rémunération à l’Acte. Politiquement, il s’agit de rapprocher les secteurs privé et public. La brique élémentaire en est le Groupe Homogène de Séjours qui combine le diagnostic, les actes afférents et une durée d’hospitalisation. Une liste de GHS est définie puis, à chacun d’eux est associé un Tarif ; celui-ci devient la rémunération de l’hôpital. Ces Tarifs sont des coûts moyens calculés à l’occasion d’enquêtes annuelles réalisées dans des établissements témoins. La T2A substitue donc une logique de recettes à la logique de dépenses qui prévalait jusqu’alors. Transparence et efficience en sont les maîtres-mots.

Dans cette perspective, le nombre total de GHS est progressivement passé de 800 à 2 300. Le but de cette complexité était de prendre en compte la diversité des cas. Mais cette complexité ouvre des possibilités quasi infinies de codages opportunistes. C’est pourquoi, l’Assurance Maladie a pour mission de contrôler et, le cas échéant de sanctionner, les codages « insincères » des GHS qui auraient pour but de surestimer le coût du séjour.

Mais, pour de nombreux observateurs, le risque majeur de la T2A ne réside pas dans ces petites tricheries. Le risque serait d’inciter les hôpitaux à sélectionner les patients « rentables » et à exclure les autres: « La mise en œuvre de la T2A conduit le système hospitalier à mimer le marché et à remettre en questions ses principes fondateurs. La T2A accélère la sélection des patients, la baisse de la qualité des soins et la suppression des activités non rentables.» (Domin, 2015)

Toutefois, dans la réalité du système de soins français, ce risque est faible et il peut être combattu, notamment, par l’incitation. Ainsi, par exemple, a-t-il été décidé de « survaloriser », à pathologie égale, les prises en charges de personnes démunies, isolées ou en situation précaire. Le vrai « danger » est donc ailleurs que dans la recherche effrénée de rentabilité immédiate. Il est dans le fait que ce mode de financement est hyper-individualisé.

Sortir d’une logique individualisante

Contrairement aux Cliniques privées les hôpitaux doivent réaliser des activités collectives dont le financement ne peut pas être calculé sur la base du patient individuel. Pourtant, au démarrage de la T2A il était question de limiter ces activités. Sous le Gouvernement Sarkozy cet objectif, dénommé «100% de T2A », était affiché pour des raisons idéologiques car la T2A était assimilée (à tort) au libéralisme économique.

Ce que des observateurs avertis avaient noté dès le démarrage de ce mode de financement (Mossé et Naiditch, 2005), un rapport officiel est venu opportunément le rappeler en 2016 : « la T2A ne valorise finalement pas la prise en charge des malades qui requièrent le plus d’attention; ceux porteurs d’affections chroniques, ceux les plus âgés, ou encore les patients en situation de précarité! » (Véran 2016, p.14).

Fort heureusement, notamment sous la pression des Agences régionales de Santé, une part certes minoritaire mais croissante des activités a pu être financée « hors T2A ». Quelques tâches assurées par les établissements publics sont ainsi rémunérées au « forfait » ou à la « structure ». Il s’agit d’interventions qualifiées de « Missions d’Intérêt Général et d’Aide à la Contractualisation » (MIGAC). Parmi elles, certaines sont réalisées dans les CHU (enseignement et recherche) et d’autres sont plus largement partagées (urgences, prévention, SAMU, centres antipoison, etc.).

Dans cet esprit, et pour sortir du « tout T2A », Mme Buzin, Ministre de la Santé du gouvernement issu de l’élection présidentielle de mai 2017, a décidé de favoriser les rémunérations forfaitaires et, donc, concertées. Pour ce faire, et dans la suite d’un mouvement initié en 2014, il s’agirait d’expérimenter des financements originaux. Le plus disruptif et le plus prometteur est celui dit « au parcours de soins ». Selon des modalités à définir, les hôpitaux publics et privés pourraient en partager les recettes avec d’autres établissements et des médecins de ville. Le but est de « permettre l’émergence d’innovations organisationnelles dans les secteurs sanitaire et médico-social, pour améliorer la prise en charge et le parcours des patients, l’efficience du système de santé et l’accès aux soins » (PLFSS, 2017).

D’ores et déjà, des projets ont pris corps ici ou là : filières gériatriques, télémédecine, etc. Ils transforment en profondeur le système de soins parce qu’ils reposent sur des coopérations inédites. Ce faisant, ils mettent à mal les monopoles professionnels et institutionnels dont on sait les conséquences néfastes tant en termes de coût que de santé publique.

Dans cette nouvelle configuration, les hôpitaux « gagnants » seront ceux qui, ouverts, flexibles et innovants, sauront saisir les opportunités et tirer avantage de la diversité des ressources. Dans cette configuration nouvelle, il reste à définir le rôle que pourrait tenir le citoyen-assuré-patient … jusqu’à la prochaine réforme.

Références:

Jean-Paul Domin, Réformer l’hôpital comme une entreprise, Revue de la régulation, V.17, printemps 2015.

Jean Fourastié, Les Trente glorieuses ou la révolution invisible, 1979, Ed. Fayard, 306 p.

Jean-Claude Moisdon et Dominique Tonneau, Le financement concurrentiel des hôpitaux, Politiques et Management Public, V.26, N°1, 2008, pp. 111-126

Philippe Mossé et Michel Naidich, La T2A est-elle soluble dans la démocratie ? Entreprise et Santé, 2005.

PLFSS, http://www.securite-sociale.fr/-LFSS-2018- ; Septembre 2017

Olivier Véran, Mission sur l’évolution du mode de financement des établissements de santé, mai 2016, 71 p.

Philippe Mossé, janvier 2018