N°= 31: L’appel des 150 citoyens de la Convention Citoyenne pour le Climat 03/07/2020

DémocratieEcologie

Nous nous devions de prendre position sur les conclusions de la Convention Citoyenne, et les perspectives ouvertes dans l’avenir. Ce fut l’occasion pour nous de constater qu’un accord sur la direction générale qu’il faut prendre pour aller vers un autre cap n’empêchait pas des désaccords sur le chemin qui y mène. C’est le cas cette fois, et c’est pourquoi nous vous proposons, séparément, l’analyse de chacun des responsables actuels de l’ecap, Guy Roustang et Maurice Merchier. Nous reviendrons sur ce désaccord qui soulève la question de l’intérêt ou non de ces conventions citoyennes dont E.Macron a annoncé qu’il y en aurait d’autres. Nous accueillerons bien volontiers les points de vue de ceux qui souhaiteraient s’exprimer à cet sujet.

Une convention citoyenne, heureuse contribution à notre démocratie.

Ces 150 citoyennes et citoyens qui ont travaillé pendant neuf mois viennent de remettre leur rapport de 600 pages au gouvernement. La question qui leur était posée était la suivante : « Comment réduire d’au moins 40% par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030, dans le respect de la justice sociale ? » c’est-à-dire avec une attention particulière pour les plus fragiles.
Dans leur introduction qui s’adresse à tous les français, ils déclarent qu’ils ne sont pas des experts mais des citoyennes et des citoyens comme les autres, représentatifs de la diversité de la société : 150 femmes et hommes âgés de 16 à 80 ans, de toutes origines et professions. Durant neuf mois, au cours d’une demi-douzaine de W.E. prolongés, ils nous disent qu’ils ont vécu « une expérience inédite et intense, qui nous a amenés à prendre conscience de l’impérieuse nécessité d’un changement profond de l’organisation de notre société et de nos façons de vivre. Ce que nous avons vécu est une véritable prise de conscience de l’urgence climatique : la Terre peut vivre sans nous, mais nous ne pouvons pas vivre sans elle ». Ils souhaitent que tous les français prennent conscience comme eux des dangers et des enjeux du réchauffement climatique.
Voilà donc une expérience de démocratie participative qui vient compléter la démocratie représentative, celle d’élus au suffrage universel dans les communes, les régions, à l’Assemblée Nationale et au Sénat.
Dans leur adresse aux français, les 150 expliquent : « Nous nous sommes nourris d’échanges avec des experts, et des représentants économiques, associatifs et publics, afin d’être en capacité de rédiger des mesures concrètes, en connaissance de cause et en toute indépendance ».
Tout cela est sans doute étonnant pour les sceptiques à l’égard de la démocratie participative ? Pas pour un lecteur assidu de l’Eccap (!!!) qui y trouvera une interview de J.Testart. Lorsque le journaliste lui dit « Pour définir le bien commun hors de toute influence des lobbys, vous prônez la mise en place de conventions citoyennes ». J.Testart répond : « j’ai été frappé de voir comment de simples citoyens, tirés au sort et investis sur plusieurs mois d’une réelle mission, étaient capables du plus haut niveau d’intelligence collective. Et d’altruisme. Et d’empathie. A moi qui suis plutôt pessimiste, cela a confirmé qu’il y a chez tout un chacun un potentiel d’humanité qui est gâché la plupart du temps. C’est une expérience qui m’a réconcilié avec l’homme, et qui propose un vrai projet de société. Je le reconnais, je suis devenu un obsédé des conventions de citoyens ! »[1]
De même le professeur J.C.Ameisen, médecin et immunologiste qui a présidé pendant 4 ans le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a déclaré à propos de la conférence des citoyens sur la fin de vie que tous les participants avaient dit : « avoir vécu une expérience extraordinaire, qui avait changé leur vie…c’était assez bouleversant. » J.C.Ameisen poursuit : « Si une vingtaine de citoyens tirés au sort peuvent réfléchir et proposer une réflexion originale sur un sujet tel que la fin de vie, cela veut dire que n’importe quel groupe de citoyens … sur n’importe quel thème peut contribuer à l’élaboration de notre futur commun. La délibération est une des façons de décliner une démocratie vivante… »[2]
Parmi les réactions négatives, Marine Le Pen a été particulièrement virulente en considérant que la Convention citoyenne avait accouché de propositions plus loufoques les unes que les autres, sans conscience des réalités économiques et sans aucune pertinence sociale et écologique. Peut-être qu’elle préfère s’adresser à des électeurs qui n’ont pas découvert leur propre capacité d’empathie et d’altruisme pour reprendre les termes de J.Testart.
Quant à Patrick Martin (Pdt délégué du Medef), il considère que certaines propositions sont extrêmes et il évoque à ce propos l’interdiction de certains vols intérieurs « surtout quand on connaît la situation d’Air France ». N’est-ce pas une réaction typique de ceux qui croient que poursuivre comme avant est possible sans aller vers la catastrophe.
F.X.Bellamy eurodéputé, chef de file des républicains aux dernières élections législatives, qui craint de voir le président de la République adopter un « virage authentiquement populiste » s’il prenait au sérieux les principales propositions de la convention.

Guy Roustang

Les illusions dangereuses de la Convention Citoyenne
 
Première constatation : on aurait pu attendre, pour le moins, que cette « convention citoyenne » fasse progresser le consensus en matière d’action écologique. Premier échec : il est frappant d’entendre ou de lire les commentaires, politiques ou journalistiques plus clivés encore qu’auparavant…. Cela va de la gratitude enthousiaste à la démolition hargneuse ou ironique. Cette ligne de clivage va jusqu’à séparer ici les deux responsables de l’eccap, pourtant en accord sur la quasi-totalité des sujets.

La Convention Citoyenne n’est pas un progrès du point de vue fonctionnement de la démocratie

Les promoteurs de cette séquence de démocratie participative ont insisté sur le soin avec lequel le panel de citoyens a été constitué pour être représentatif de la population française. On peut douter du résultat lorsque l’on constate que l’une des recommandations les plus commentées, la limitation à 110 kmh sur autoroute, approuvée par la Convention à 59,7 % est massivement rejetée par 74% des français.[3] Notre Président s’est évidemment dispensé de la retenir.
Pourquoi ce panel n’est-il pas représentatif ? D’abord parce que le tirage au sort ne concerne, en pratique, que les volontaires. En effet, ceux qui ne le sont pas se récusent… (comme les jurés des cours d’assises). On se retrouve dès le départ avec des gens bien plus sensibles aux questions écologiques, bien plus motivés que la moyenne de la population, et donc bien plus prédisposés à des arbitrages problématiques que beaucoup de leurs concitoyens…
Ensuite, et surtout, les opinions ont forcément évolué pendant le déroulement de cette convention… le fait de former un groupe vivant une expérience exceptionnelle, de se trouver portés sur le devant de la scène médiatique, d’être un peu choyés par les organisateurs, l’impression de vivre un moment historique, (amplifié par ce contexte de la pandémie) etc. Ce sont des phénomènes connus de longue date par les sociologues, généralement nommés « effets de groupe ». Les convictions se sont galvanisées ; comme s’est renforcée l’idée d’être investis d’une « mission ». La solidarité à l’intérieur du groupe s’est également consolidée; il est d’ailleurs question qu’il se pérennise sous forme d’une association.
Les experts avec lesquels ils ont pu travailler ont évidemment pesé dans le même sens. Il semble que les orientations de ces experts n’étaient pas particulièrement diversifiées… Bref, la distance par rapport au véritable état de l’opinion s’est creusée tout au long du processus. Elle est probablement devenue aussi grande que celle qui sépare les gens ordinaires des politiciens professionnels. Les « citoyens » sont devenus des représentants comme les autres. D’ailleurs, 4 français sur 10 n’ont pas entendu parler de la Convention. [4]
De cette absence, au bout du compte, de singularité, on peut aussi déduire qu’il y a eu perte de temps et d’énergie ; la Convention constitue un échelon supplémentaire dans la chaine de décisions. Détour inutile, donc, si au bout du compte tout cela débouche sur des débats parlementaires, ou, a fortiori, sur un referendum à choix multiples (puisqu’il semble que ce sera la formule adoptée). De plus, le Président a usé plus qu’il ne l’avait annoncé de ses « jokers ». [5]

L’espérance d’un véritable changement de « l’après Covid-19 » est manquée.

Changer de cap en matière d’environnement et de transition climatique implique de véritables changements au niveau des mentalités, des représentations, du système de formation des désirs de l’ensemble de la population. Les « citoyens » se sont-ils posé cette question ? Elle n’apparaît pas souvent, et deux exemples sont symptomatiques de cette béance.
Une véritable régulation de la publicité est préconisée, et cela va assurément dans ce sens souhaitable d’un travail sur les désirs (ou sur leur protection…). On reste cependant dubitatif sur certaines recommandations, comme : « Interdire les panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs, hors information locale et culturelle ainsi que les panneaux indiquant la localisation d’un lieu de distribution », si le « lieu » en question n’a pas changé et regorge de gadgets aussi coûteux qu’inutiles et addictifs ! C’est « cacher ce centre commercial que je ne saurais voir » ?
De nombreuses mesures sont adoptées pour freiner le développement du transport aérien : « Interdire la construction de nouveaux aéroports et l’extension des aéroports existants », « Taxer davantage le carburant pour l’aviation de loisir « , « Agir sur les vols internationaux, qui sont une source très importante d’émissions de CO2 », «éviter ou atténuer les effets néfastes du transport aérien »…Mais il n’est jamais question de s’attaquer à la racine du problème, qui est celui de l’engouement du public pour les transports aériens, et le tourisme plus précisément. Il faut pour cela comprendre que les voyages sont devenus un élément du prestige social des personnes, et de leurs jeux de rivalité : on s’oppose dans les conversations à coups de destinations lointaines accomplies, un peu comme les anciens militaires exhibaient leurs décorations. [6]
De façon générale, il est souvent proposé de soigner la fièvre en brisant le thermomètre. Changer véritablement de cap implique de réfléchir aux moyens de faire évoluer la culture, de changer le système de motivation, pour détourner les masses du productivisme, de réaliser la décroissance matérielle, pour assurer la croissance conviviale et culturelle… Il est symptomatique que la mesure qui allait le plus significativement en ce sens, à savoir la réduction de la durée du travail à 28 heures, est la seule qui ait été rejetée par 65% des voix. En fait, cette « avancée » de la démocratie pourrait devenir son fossoyeur.

Les conclusions de la Convention Citoyenne induisent au contraire le risque d’un glissement vers la démocratie illibérale
 
L’effet pervers de cet ensemble de mesures, conçues de cette façon, pourrait être redoutable. Si les comportements « vertueux » sont imposés à une population qui n’est pas mentalement préparée à les appliquer, il faut les imposer. Et avec cette convention, on s’oriente résolument vers ce qui est qualifié avec pertinence « d’écologie punitive ».
Petite recherche lexicale : dans le texte, on peut dénombrer 119 mots formés par « interdit » (interdire, interdiction, etc) et 303 autour de « obliger ». Quand ces injonctions s’adressent aux entreprises, seuls les partisans du néolibéralisme s’en offusquent ; mais elles font parfois « froid dans le dos » quand elles s’adressent aux particuliers. C’est le cas par exemple pour « l’obligation faite à tous les ménages d’isoler thermiquement le foyer », mais plus encore quand on peut lire « D’ici à 2030, notre assiette devra comporter 20 % de viande et de produits laitiers en moins ». Et que dire de cette proposition de créer un « haut conseil » qui aurait un droit de veto placé au-dessus du Parlement ? Le fantôme du big brother d’Orwell se profile à l’horizon.
C’est au fond, compte tenu de l’exaltation produite par les conditions de constitution et de fonctionnement de cette Convention évoquée plus haut une sorte de simulacre des Etats généraux de 1789 auquel se sont livrés ces « citoyens », avec, toute proportion gardée, les risques que cette évocation impliquent, et tout cela s’intègre davantage dans la société du spectacle que dans une véritable avancée de la démocratie. Un véritable changement de cap ne peut se faire que par un énorme travail de prise de conscience collective des impasses vers lesquelles nous mènent les politiques suivies depuis un demi-siècle.

Maurice Merchier

[1] J.Testart, biologiste de la procréation a écrit un livre intitulé« L’humanitude au pouvoir- Comment les citoyens peuvent décider du bien commun » Ed. du Seuil 2015. Son livre repose sur l’expérience et non sur de bons sentiments. Et les propositions qu’il énonce pour organiser une convention de citoyens sont d’une rigueur toute scientifique.
[2] Le Monde 7 janvier 2017.
[3] . Étude menée auprès d’un millier de Français les 24 et 25 juin par Odoxa pour Le Figaro et France Info.
[4] Selon l’affirmation de Pierre Maurer, dans le Figaro du 25 juin
[5] Voir Antoine de Ravignan : Convention citoyenne : Macron retoque les mesures qui fâchent Alternatives économiques
[6] Voir sur ce point Olivier Rey Causeur six milliards de touristes et moi et moi et moi, sur le site de Causeur