N°= 39: Laïcité et Islam 15/11/2020

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A la rentrée scolaire du lundi 2 novembre, suite à l’assassinat de Samuel Paty, tous les enseignants ont lu une lettre de Jean-Jaurès datée de 1888 adressée aux instituteurs et institutrices. Cette lecture signifiait la volonté de l’éducation nationale de faire de chaque élève un individu capable de former son propre jugement, en se rattachant à une tradition humaniste. Pour engager le dialogue avec les élèves, les enseignants ont bien senti le poids qui pesait sur eux et beaucoup se trouvent encore bien démunis malgré les efforts rappelés par Jean-Paul Delahaye[1]. En effet en 2013 une Charte de la laïcité voulue par Vincent Peillon a été inaugurée par Robert Badinter. Et il y a eu continuité d’un ministre de l’Education Nationale à un autre pour accompagner les éducateurs dans l’enseignement de la laïcité, enseignement de la liberté. Mais il reste beaucoup à faire car certains enseignants se sentent encore bien démunis et une petite minorité s’autocensure. Il reste que le témoignage de Wahida El Mansour que nous citions dans notre lettre N°= 38 montre bien comment musulmane maghrébine, elle est devenue française de cœur grâce à tous les professeurs comme Samuel Paty qu’elle a pu rencontrer.
La loi de 1905 instaurant la séparation entre Eglise et Etat a été élaborée après des années de discussion et de débat. Aujourd’hui la question est de savoir si cette loi qui avait réussi, après de très longues confrontations, à pacifier les rapports avec les fidèles de l’Eglise catholique aura la même réussite avec tous les musulmans français. N’oublions pas ce que rappelle Marcel Bernos, dans l’article de l’eccap « Heureux comme la laïcité en France » : le Vatican romain a mis du temps « à découvrir les “Droits de l’homme” qui lui semblaient mettre en question les « droits de Dieu » (Cf. les 80 propositions du Syllabus de Pie IX, en1864, condamnant « les principales erreurs de notre temps », dont la 55e porte sur la séparation de l’Église et de l’État).
Si l’on en croit certains témoignages, la situation est de plus en plus tendue avec des musulmans dans certains secteurs comme l’hôpital ou des activités sportives. Comme le note Jean-Louis Bianco : « On voit de plus en plus des formes de religion très archaïques, littéralistes, éloignées de l’égalité entre la femme et l’homme. Il y a effectivement une offensive et un combat à mener…mais il ne faut pas se tromper de diagnostic. Ce n’est pas tout le temps et partout. En beaucoup d’endroit la laïcité fonctionne bien. Beaucoup de problèmes se résolvent par le dialogue »[2]

Des raisons d’espérer.

Eva Janadin[3], imame écrit : « Si l’Islamisme est un danger pour la République, il l’est tout autant pour l’islam…La théologie et la jurisprudence islamiques classiques telles qu’elles sont transmises depuis le Moyen Age jusqu’aux instituts de formation actuels ne sont plus adaptées pour faire face aux défis contemporains. L’ère du suivisme aveugle des théologiens et juristes du passé…doit s’achever en ce XXI ème siècle pour rouvrir les portes de l’interprétation des textes…Le travail est titanesque ». Et encore ceci : « Il est temps d’oser débattre sur les questions les plus épineuses de l’islam » y compris nous dit-elle sur « l’interprétation des textes sur l’égalité homme-femme ».
Dans la déclaration d’un collectif d’intellectuels musulmans intitulée : « Il faut cesser le boycott de la France »[4], on trouve ceci : « Qui pourrait raisonnablement dire que la France maltraite ses citoyens de confession musulmane ? Personne, hormis peut-être ceux qui voudraient instiller des germes de discorde au sein de la communauté nationale française ». A propos de la déclaration du président Macron, voici ce que dit ce collectif : « contrairement à ce qu’il a été dit ici ou là, ce discours ne critique pas l’islam. Il critique l’islamisme qui est une déformation de l’Islam…Et il est respectueux d’une tradition française instaurée par une loi de 1905 : la séparation de l’Eglise, des Eglises et de l’Etat … Également et surtout, il a insisté sur la nécessité de construire un islam en France, islam des Lumières, libéré des influences étrangères, structuré et transparent dans ses financements, et intégrant pleinement la part culturelle de l’Islam-civilisation , sans empiéter d’un pouce sur l’islam-religion ».

Lutter contre un terreau favorable au djihadisme.

Comme le dit O.Roy « Si vous enseignez aux enfants d’un collège de banlieue que les valeurs de la République, c’est l’égalité et la fraternité, ils éclatent de rire »[5]. Autrement dit il est vraiment trop difficile d’enseigner les valeurs de la République quand la réalité vécue des élèves les contredit. L’islamisme radical est alors une issue perverse. Parallèlement à l’effort d’éducation s’impose la nécessité de lutter contre les inégalités croissantes, contre l’abandon de certains quartiers. [6] Selon l’article 1 de la constitution, la République est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». « Les trois sont nécessaires pour éviter le communautarisme » nous dit Jean-Paul Delahaye.
Plus de cent maires, membres du PC comme de la droite, viennent d’adresser au chef de l’Etat une lettre pour « renforcer la République » et « instaurer un nouveau pacte de confiance ». Le 14 novembre 2017 (c’est un anniversaire) Macron prononçait un discours à Tourcoing dans lequel il appelait à une « mobilisation nationale pour les villes et les quartiers ». Jean-Louis Borloo appelé à la rescousse a remis son rapport le 22 mai 2018 après avoir consulté élus, responsables associatifs etc. Le 2 octobre de cette année, E.Macron a prétendu que les trois-quarts des propositions du rapport avaient été mises en œuvre. Enorme mensonge qui a fait « tomber du placard » la maire divers droite (DVD) de Chanteloup les Vignes. Et André Laignel maire socialiste d’Issoudun, 1er vice-président de l’association des maires de France dit que c’est un mensonge si énorme que l’on ne peut pas laisser passer[7].
Guy Roustang

[1] Voir entretien avec Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, co-auteur du rapport Obin de 2004, in Le1, n°320 du 28 oct. 2020.
[2] Le Monde, 1er et 2 nov.2020.
[3] Eva Janadin, Imame, Déléguée générale de l’association L’Islam au XXIème siècle, imame de la mosquée Simorgh, à Paris, cofondatrice des associations Voix d’un islam éclairé et Association pour la renaissance de l’islam mutazilite. Voir Le 1 n°320 « Face à l’islamisme ».
[4] Le Monde, mardi 3 nov. 2020 p.25.
[5] Le 1, n°320
[6] Voir lettre N°= 20
[7] Le Monde 15/16 novembre 2020, p.