La primaire populaire, une fausse bonne idée

Non classé
1)    Sur les 10 propositions
 
Elles sont certes toutes défendables, mais elles ne disent pas grand chose de ce que pourrait être un modèle de développement soutenable. Du point de vue de la cohérence économique et financière, il ne suffira pas de « prélever un impôt sur le revenu (IR) plus progressif » et de « renforcer les moyens de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale » pour assurer l’équilibre à long terme des comptes publics et la soutenabilité de la dette. La question clef est celle de la croissance. Telle que  fonctionnent actuellement l’économie et la société, il n’existe pas d’alternative à la croissance marchande pour assurer le financement des dépenses publiques et répondre à des besoins sociaux croissants. Or, il est désormais clair que la croissance marchande n’est pas durable. Tant que l’on n’envisage pas sérieusement la démarchandisation, et même la démonétarisation, de notre mode de vie, on parle dans le vide. Je pourrai le montrer plus précisément en montrant les contradictions auxquelles se heurterait la mise en œuvre de telle ou telle mesure, mais c’est à mon avis à peu près inutile. 

Juste un exemple des contradictions qui restent hors champ des 10 propositions : « la mise en place d’un grand plan de rénovation thermique des bâtiments à travers une relance verte et socialement juste, porteuse de centaine de milliers d’emplois non délocalisables ». Qui serait contre ? Le problème, c’est que les investissements pour économiser l’énergie ont une rentabilité financière souvent dérisoire au prix actuel de l’énergie (je sais de quoi je parle ayant beaucoup investi pour réduire l’empreinte carbone du chauffage de mon appartement). Pour que ces investissements aient un sens du point de vue économique, il faudrait taxer beaucoup plus lourdement le carbone, ce qui poserait les problèmes sociaux que l’on sait et risquerait de plomber la croissance. Pour sortir de ce genre de contradictions, il faudra raisonner autrement. Pour le dire brutalement, il faudra montrer que l’on peut vivre mieux en consommant moins de biens marchands, en réduisant ses déplacements, en roulant moins vite, en vivant dans des appartements moins grands et peut-être un peu moins bien chauffés, etc. avec en contrepartie des gains en matière de qualité de la vie (paysages, air pur…), de santé, de cohésion sociale, de participation aux décisions, etc. Mais il est plus facile de rédiger une « liste de course » (additionner les promesses) que d’entreprendre cette difficile pédagogie.  

 
2)    Ce que l’on attend d’un président de la république dans une situation de crise gravissime
 
En réalité, l’heure n’est plus à rêver d’une société idéale. Je ne crois pas que quiconque soit capable d’écrire un scénario de transition vers une société écologiquement et socialement viable. Ce qui s’annonce, sans doute plus vite que nous le pensons, c’est une crise majeure qui impliquera une transformation complète de notre civilisation matérielle et de notre mode de vie. La transformation écologique s’inventera dans un contexte social chaotique où les risques de délitement du tissu social seront majeurs. Dans ces conditions, j’attends d’abord d’un futur président de la république qu’il soit le garant de la résilience des institutions (quand on voit ce qui se passe dans le monde, ce n’est certes pas une question secondaire..), ensuite qu’il mette la lutte contre le changement climatique au cœur de l’agenda géopolitique, qu’il prépare la mise en place d’une forme d’économie de guerre centrée sur l’économie des ressources (réinventer intelligemment la planification…) et enfin qu’il fasse preuve de pédagogie et d’exemplarité pour inciter les citoyens à accepter les efforts de sobriété et de solidarité nécessaire. 

De ce point de vue, la crise sanitaire est un bon test. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’esprit de responsabilité des hommes et femmes politiques de l’opposition ne saute pas aux yeux. Face à une fronde vaccinale scandaleusement irresponsable – des enfants gâtés qui crient que l’on s’en prend à leur liberté sans être conscients de ce qui se passe ailleurs, et des contraintes bien plus grandes qu’ils vont très vite devoir accepter pour des raisons écologiques -, on aurait pu s’attendre à davantage de cohésion de la classe politique. Tout cela ne donne pas vraiment confiance dans la capacité des candidats au pouvoir de tenir courageusement le gouvernail du bateau au milieu des tempêtes qui s’annoncent. Je n’ai guère de sympathie pour la vision de la société qu’incarne Emmanuel Macron, mais je le crédite au moins d’être conscient des servitudes particulières de sa fonction et des contraintes de l’action politique. J’attends d’abord des prétendants au pouvoir qu’ils me convainquent de leur volonté et de leur capacité à se mettre à la hauteur des événements. 

3)    Les primaires et le rôle des partis
 
L’organisation de primaires est une fausse bonne idée. Le résultat est de redoubler les défauts de la démocratie représentative, en faisant passer, malgré toutes les déclarations contraites, les débats de fond derrière les rivalités de personne. Il ne faut jamais oublier que les joutes électorales sont l’une des formes de compétition régulées (comme d’ailleurs la concurrence marchande, le sport, etc.) inventées au cours de l’histoire pour canaliser la violence inhérente aux rapports sociaux dans une société qui se veut égalitaire. La raison d’être de ces compétitions ouvertes, c’est de renforcer le consentement à être gouverné : chacun peut considérer qu’il a eu son mot à dire dans le choix des dirigeants. Mais personne ne peut croire qu’un débat électoral est susceptible de faire émerger des idées rationnelles. Même si peu de gens pensent comme moi, je reste persuadé que le socle de toute entreprise politique de transformation de la société est la constitution d’une organisation partisane structurée, au sein de laquelle les débats internes permettent une réelle maturation des idées et des projets, et l’émergence de leaders susceptibles d’entraîner une majorité derrière eux. Considérer la déshérence des partis comme une fatalité est une grave erreur.