N°= 36: Justice sociale et justice climatique 01/10/2020

ClimatInégalités

Les inégalités de revenu et de patrimoine. L’observatoire des inégalités, organisme indépendant fondé en 2003 vient de faire paraître en juin la première édition de son « Rapport sur les riches en France », grâce à plus de mille personnes qui ont contribué à son financement[1]. Le rapport a été largement repris dans la presse. Le président de l’Observatoire des inégalités note qu’il y a beaucoup plus d’études sur les pauvres que sur les riches. Il écrit : « Pour vivre heureux, vivons cachés ». Il faut bien dire que les riches ont avantage à ce qu’un brouillard soit maintenu pour éclipser leurs privilèges… Favorables à la concurrence et à la liberté économique en paroles, ils libèrent très difficilement l’information sur leur situation. ».
L’Observatoire des inégalités ne prétend pas détenir la vérité, il veut ouvrir le débat. Certes, il constate « une distribution des richesses souvent trop inégale pour être juste. La pauvreté est le résultat de cette situation. On ne peut pas à la fois déplorer le dénuement des uns sans mettre en cause les privilèges dont jouissent les autres. Et en matière de privilèges, chacun doit balayer devant sa porte plutôt que de pointer du doigt ceux qui sont encore plus riches que lui ». (souligné par nous).
En vingt ans entre 1996 et 2017, en France, les 10% les plus riches ont vu augmenter leurs revenus et leur patrimoine par rapport aux classes moyennes.[2] Et depuis l’arrivée au pouvoir d’E.Macron « Les mesures prises par la nouvelle majorité ont été très favorables aux plus aisés »[3].
Les inégalités concernant les atteintes à l’environnement.
Les chiffres publiés tout récemment (le 21 septembre 2020) par Oxfam et l’Institut de l’environnement de Stockholm[4] sont bouleversants : en 25 ans, entre 1990 et 2015, le 1% le plus riche de la population mondiale ( 63 millions de personnes) est responsable de 15% de la pollution par le carbone, alors que la moitié la plus pauvre de l’humanité (3,1 milliard de personnes) n’est responsable que de 7% de cette pollution.
En France, les inégalités sont aussi très marquées. De 1990 à 2015, les 10% les plus riches ont été responsables de plus d’un quart des émissions de CO2 soit presque autant que la moitié la plus pauvre de la population.
Pour une conception élargie de la justice : des quota d’émission de CO2 par individu.
Aux Etats-Unis, c’est le 3 février 1913 que le vote du 16ème amendement à la constitution a permis la création d’un impôt progressif sur le revenu, après des décennies d’échec. Depuis lors, tout Etat moderne dans le monde y a recours.
Aujourd’hui, un siècle plus tard, face à l’urgence écologique et climatique la proposition d’attribuer à chacun des quota d’émission de gaz à effets de serre mérite toute notre attention. « Pour respecter nos engagements internationaux vis-à-vis du changement climatique, il faut que l’empreinte carbone totale associée à notre mode de vie soit plafonnée et que ce plafond s’abaisse de 6 à 7 %par an…La seule manière équitable de le faire en laissant à chacun la responsabilité de ses choix de vie est d’allouer des quotas d’émission de dioxyde de carbone égaux pour tous, diminuant de 6 à 7% par an ».[5]
Dans leurs propositions pour « Un retour sur terre » après le Covid-19, Dominique Bourg et ses collègues (dont Pablo Servigne fait partie) ont aussi une proposition n°4 qui concerne des quotas par individu[6]. Quand Pierre Calame tente de répondre à la question : Comment ça marchera ? voilà ce qu’il écrit : « La mise en place effective de quotas alloués annuellement à tous les citoyens supposera de nombreux calages nécessitant une délibération démocratique mais on peut se faire une idée assez précise du mécanisme : le « compte carbone », enregistré sur une carte magnétique à la manière d’un porte-monnaie électronique et correspondant en début d’année à l’allocation annuelle, sera débité à chaque achat, comparable au « compte sucre » d’un diabétique libre de ses choix de consommation mais dont chaque achat se traduit par une réduction de son compte restant »[7] .
De nombreuses questions se posent : comment ces quotas seront – ils fixés ? Seront-ils échangeables ? Quel impact sur les échanges internationaux ? Le chantier est immense et devra donner lieu à des débats démocratiques, mais il faut relever le défi.
Les quotas individuels attirent l’attention sur les responsabilités personnelles ; en parallèle il est essentiel de souligner la dimension collective, comme le fait la « Fabrique des transitions » dans une tribune signée par plus de cent organisations et réseaux et publiée le 7 avril dans le journal « La Croix »[8]. « Face à la nécessité de faire évoluer de façon radicale nos systèmes de pensée, nos modèles économiques, nos institutions, nos trajectoires de développement, les territoires au sens de communautés humaines tissées de relation, sont appelés à devenir des acteurs décisifs de la transition à conduire ».

Guy Roustang

[1] Rapport sur les riches en France. Observatoire des inégalités. 104 pages. En vente sur inégalités.fr : 10 euros.
[2] Pour les revenus : en 1996, l’écart entre le niveau de vie médian de la population et le niveau de vie moyen des plus riches était de 27.800 euros annuels. En 2017 il était de 36.000 euros. Pour ce qui est du patrimoine, le seuil d’entrée dans les 10% les plus fortunés a plus que doublé : il est passé de 533.000 euros à 1,2 million entre 1998 et 2010 hors endettement.
[3] Voir dans l’eccap.fr : Quel nouveau cap pour la politique fiscale ? Guy Roustang, 16-10-2017
[4] Rapport de l’ONG Oxfam et du think tank Stockholm Environment Institute.
[5] Voir la pétition signée notamment par Pierre Calame, Dominique Méda, Michèle Rivasi députée européenne Europe-Ecologie-Les Verts dans Le Monde du 13 août 2020,
[6] Dominique Bourg et alii. Retour sur terre.
[7] Reçu de Pierre Calame à propos de notre débat sur La convention citoyenne pour le climat.
[8] La Fabrique des transitions. La Croix du 7 avril 2020.