n°= 3 Justice fiscale 14/04/2019

Finances publiques
 
Justice fiscale
Les idées défendues dans l’article qui suit font l’objet d’un large consensus et vont malheureusement à l’encontre des positions exprimées par M. Macron (aujourd’hui mais pas hier [1]) . Dans les jours qui viennent nous saurons si le grand débat national a fait bouger les positions du gouvernement.

Le large consensus concerne la demande de plus de justice sociale portée notamment par le Pacte civique et sociale co-signé par 19 organisations et appuyées par Nicolas Hulot et Laurent Berger longuement interviewés à cette occasion par Le Monde. Ce pacte comporte une partie « Engager une réforme de la fiscalité ». Des demandes provenant de députés macronistes de la majorité sont allés dans le même sens mais elles ont été rejetées par E.Macron. Cette demande de plus de justice sociale était très présente dans les différentes manifestations des gilets jaunes.

J’ai eu l’occasion de participer à une des nombreuses séances du débat national. Elle était organisée par des membres LRM qui mettaient sur la table de nombreuses données chiffrées pour préparer le débat. Il était rappelé que notre système était redistributif et permettait aux plus aisés d’aider ceux qui l’étaient moins, que le taux de prélèvement obligatoire de la France était plus élevé que dans les autres pays, qu’il convenait de réduire la dette publique, que le gouvernement souhaitait réduire l’impôt sur les sociétés en le ramenant à 25% pour réduire la différence avec d’autres pays et améliorer notre compétitivité internationale. Tous ces éléments aboutissaient à suggérer soit une baisse des impôts, soit une baisse des dépenses publiques, soit les deux. Le participant aux discussions était amené à choisir dans une perspective comptable, celle que déplorait E.Macron avant de chercher à prendre le pouvoir (voir la note [1]).  Il me semblait que les dés étaient pipés car les choix politiques, qui permettraient de retrouver des marges de liberté et de sortir d’une certaine perspective comptable n’étaient pas envisagés. Ces choix politiques pour plus de justice sociale devraient porter notamment sur les questions suivantes :

1 – Lutter contre la fraude fiscale. 
Dans le numéro de la revue très officielle Gestion et finances publiques de mai-juin 2018, l’ancien directeur des impôts André Barilari estime que la fraude fiscale est de l’ordre de 80 à 100 milliards d’euros. Comme le dit Christian Chavagneux « Une lutte sans merci contre ces pratiques remplirait les caisses et renforcerait le consentement à l’impôt » [2]. Ce sont les particuliers les plus fortunés et les grandes entreprises qui recourent aux conseils de cabinets spécialisés pour échapper à l’impôt. En février 2019, la sanction de 4,5 milliards d’euros infligée par le tribunal correctionnel de Paris à l’Union des Banques Suisses qui démarchait systématiquement de grandes fortunes françaises pour les inciter à la fraude (par exemple à recourir aux paradis fiscaux) a fait sensation. Mais cette heureuse décision ne doit pas pour autant cacher une réalité : le parquet national financier créé après le scandale Cahuzac et les huit juridictions inter régionales spécialisées chargées notamment des infractions financières ne peuvent se charger que d’une infime partie des dossiers. La Cour des comptes a attiré l’attention du gouvernement sur la faiblesse des moyens consacrés à la lutte contre la délinquance financière. Autrement dit, il n’y a pas à l’heure actuelle de véritable volonté politique de lutter contre la fraude fiscale.

 2 – Augmenter le caractère redistributif des impôts.  

La part du revenu des 1% les plus riches est passée de 7,7% en 1983 à 11% en 2014, donc avant l’arrivée au pouvoir d’E.Macron. Et depuis, la tendance à favoriser les hauts revenus s’est accentuée (voir mon article dans l’eccap Quel nouveau cap pour la politique fiscale). Pour lutter contre les inégalités croissantes des revenus, il serait donc nécessaire d’augmenter les impôts sur les tranches de revenus les plus élevés et donc de rendre les impôts sur le revenu plus progressifs pour assurer une meilleure redistribution.

Gerald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics propose lui-même de revenir sur les niches fiscales qui ont coûté 100 milliards d’euros à l’Etat en 2018. Pour que ces niches fiscales ne nuisent pas à la progressivité de l’impôt, il s’agirait non seulement de les plafonner (c’est le cas actuellement puisqu’un ménage ne peut bénéficier que de 10 000 euros d’avantages fiscaux par an) mais de les accorder sous condition de ressources. C’est ainsi que madame Cariou, députée LRM notait que « sur les 4 milliards de niches fiscales de service à la personne, plus de un milliard bénéficie à des contribuables qui perçoivent plus de 100 000 euros par an ». Est-ce bien nécessaire ?

3- Revoir les droits de succession.
Dans son livre « Révolution » p.87,  E.Macron  déclarait qu’il préférait une fiscalité qui récompense la prise de risques plutôt que la rente. Et pourtant, lorsque Christophe Castaner délégué général de LRM, avant de devenir ministre de l’intérieur, avait voulu « une réflexion sans tabou » pour « lutter contre les inégalités de naissance », cela lui avait valu « un sérieux retour de bâton de l’Elysée qui ne souhaitait pas alimenter le « ras-le-bol fiscal » (Le Monde 9 mars 2019).

Alors que le pouvoir en place magnifie la méritocratie et le travail, les inégalités de patrimoine s’accentuent depuis 1980, si bien que les « revenus qu’on peut tirer du patrimoine deviennent plus élevés que ceux qu’on peut tirer du travail » [3]  et la formule de Beaumarchais en 1778 : « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus » retrouve tout son sel. Les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus importantes que les inégalités de revenus. Si l’on compare la situation des français les 10% les plus riches aux 10 % les moins riches, en 2015, les écarts de revenus vont de 1 à 6,8, et de 1 à 627 pour le patrimoine.

Le think tank Terra nova propose de réformer l’impôt sur les successions et de revoir les tranches d’imposition qui rapporterait 3 milliards de recettes fiscales supplémentaires tout en réduisant la contribution des héritiers qui recevraient 150 000 euros en héritage. De quoi peut-être rassurer l’écrasante majorité des français qui sont opposés à une augmentation des droits de succession, mais qui sont en même temps très mal informés, car quand on les interroge, ils surestiment les droits de succession à payer à l’heure actuelle. 

4- Les Etats-unis nous donneront-ils l’exemple ? 
Les États-Unis ont été les premiers à   instaurer un impôt progressif sur les personnes physiques en 1913. Si un président démocrate succède à Trump en 2020, il se peut que les E.U. nous montrent la voie d’une fiscalité favorable à la justice sociale. Le futur président ne sera pas Alexandria Ocasio-Cortez, appelée AOC et élue au Congrès, car elle a 29 ans alors qu’il en faut 35 pour se présenter.  Mais c’est elle qui a proposé de taxer à 70% les revenus des 16 000 américains les plus riches ceux qui gagnent plus de 13 millions de dollars, soit 8,2 millions d’euros par an. AOC est diplômée d’économie et a le soutien du prix Nobel d’économie Paul Krugman. Elisabeth Warren sénatrice du Massachusetts et candidate aux primaires démocrates a proposé un impôt de 2%   sur les patrimoines supérieurs à  50 millions et de 3%  sur les patrimoines supérieurs à 1 milliard de dollars. Quant à Bernie Sanders, lui aussi candidat, il souhaite un impôt sur les successions de 45% à partir de 3,5 millions et de 77% au-delà de 1 milliard. 

Il semble qu’il y ait dans l’électorat américain une réelle aspiration à plus de justice sociale. C’est ainsi que la proposition de E.Warren « recueille globalement 61% d’approbation et même 51% auprès de l’électorat républicain selon un sondage réalisé en février par SurveyMonkey pour le New York Times…tandis que 62% des américains  pensent que le gouvernement doit s’attaquer à la réduction des inégalités[4] ».

Guy Roustang 

 [1]  « La fiscalité est – et doit être – un sujet idéologique au sens propre et noble du terme. Cela ne peut se réduire à un débat technique, quelles qu’en soient les délices intellectuels. Savoir s’il faut prendre le risque de taxer les hauts patrimoines qui pourraient être tentés de quitter le territoire national revient à se demander si la finalité du système fiscal est de préserver la compétitivité du pays, son attractivité pour les investisseurs ou les grandes fortunes, ou d’assurer une redistribution stricte et consacrer un pacte républicain dans les faits  (les plus riches acceptant de payer plus, les possédants acceptant d’être taxés parce que leur adhésion au pacte social, à la collectivité le justifie). Faire du débat fiscal un débat technique, d’analyse purement rationnel et mathématique, c’est déjà prendre un biais idéologique en décidant que l’impôt n’est pas politique et n’a rien à voir avec un contrat social, une volonté d’être dans la cité ». Ce texte est d’E.Macron dans la revue Esprit de mars 2011 à une époque où il allait se placer dans le sillage du candidat François Hollande.
[2] Alternatives économiques janvier 2019
[3] Alternatives économiques, février 2019.
[4] Le Monde 26 02 2019.