Identité française et universalisme

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L’universalisme fait partie de l’identité française

Un débat manichéen perturbe la conscience nationale française. L’identité est devenue un sujet miné. D’un côté, les déconstructeurs jettent le soupçon sur la moindre revendication d’identité soupçonnée de nationalisme, si ce n’est de racisme. D’un autre, une droite chauvine refuse de regarder en face les errements de la France sous la colonisation et pendant l’Occupation. Nous savons pourtant que seule la vision binoculaire permet la sensation du relief. Nous savons aussi qu’un minimum de fierté et de confiance en soi est indispensable à toute action.

La discussion autour de l’identité française est mal partie du fait même de l’usage du singulier. Il existe en réalité deux identités françaises qui se combattent depuis 5 siècles. L’histoire de la France moderne peut se résumer comme un long arrachement à l’ordre théologique et féodal médiéval. La Renaissance, la Réforme, la Révolution, la République, la Résistance, sont les principales étapes d’un processus d’arrachement à l’ordre ancien. La Liberté et l’Égalité sont les inspiratrices des 5 R. L’idéal organique qui fut celui de l’Ancien régime et de l’Action française nourrit encore des nostalgies anti-individualistes, en particulier aux plans ethnique et familial. La moindre des choses serait donc de clarifier de laquelle des deux traditions françaises on se réclame et de ne pas tout embrouiller.

La Révolution et la République ont supprimé races, castes et tribus, et proclamé l’égalité de tous, blancs, noirs, juifs, protestants, catholiques, nobles, roturiers, bretons, provençaux, aînés, cadets. La Déclaration des Droits ne fait pas de différence entre les droits de l’homme et ceux du citoyens. Le cri Vive la Nation ignore superbement l’étymologie de nascor = naître. On dirait presque que l’esprit républicain français n’est pas français puisqu’il est d’abord arrachement à la tradition, à la religion catholique de l’époque, à l’esprit local, régional, folklorique, ce qui faisait dire à Thomas Jefferson : Tout homme a deux patries la sienne et la France.

Les auteurs canoniques de notre enseignement secondaire sont bien des promoteurs de la liberté et de l’égalité : Rabelais et Montaigne, Molière et La Fontaine, Voltaire et Rousseau, Stendhal et Hugo, etc. La tradition était dans la religion, dans la Province, dans la vie rurale, Chateaubriand, les romantiques, Barrès l’illustrent. Pour Hugo, Paris était la capitale du monde parce qu’elle était la capitale de la liberté.

La réalité ne fut pas toujours à la hauteur des principes. Napoléon entreprit d’exporter la Révolution à coup de canon. Il fut accueilli comme un libérateur en Italie mais se fit détester en Espagne, en Prusse, en Russie. Après avoir par deux fois aboli l’esclavage, la République entreprit de civiliser le monde. Tel était l’état d’esprit de Jules Ferry dont la silhouette restera ambivalente : Ferry et l’école obligatoire / Ferry-Tonkin, comme on le surnommait.

On peut faire du colonialisme un bilan en partie double et faire valoir à l’actif les écoles, les hôpitaux, les routes, les chemins de fer, etc., il restera toujours un vice de principe : on n’entre pas dans la maison des gens sans frapper, surtout pour y faire la loi sur un ton autoritaire et méprisant ! Raymond Aron disait à propos de l’Algérie : « Un empire édifié par un pays qui se réclame de la démocratie est à notre époque déchiré par une contradiction à laquelle il ne résistera pas longtemps. »

 

Ces constats indispensables n’enlèvent rien aux principes. Ce n’est pas moins mais davantage d’esprit républicain qu’il faut, tout simplement parce qu’il n’y en a pas de meilleurs. De quelque façon qu’on les formule, les trois termes de la triade républicaine sont les guides qui doivent inspirer la transition à laquelle l’humanité est sommée de procéder à l’heure de la mondialisation. Une réalité anthropologique est en effet contenue dans la triade puisque c’est toute relation humaine qui est par nature exposée à cheminer entre les deux bornes opposées de l’égalité uniformisante et de la liberté différentiatrice et que seul un esprit de fraternité permet de surmonter ce dilemme.

Bruno Viard