Histoire des biens des communautés villageoises, le cas français (fiche1)

Communs

01/       Quelle est la logique observée des communs ? Quel en est le déroulement historique ? Le foisonnement mondial de la recherche sur les communs provoqué par le prix Nobel d’économie d’Élinor OSTROM en 2009 paraît oublier plusieurs fondamentaux : (1) jusqu’au XVIème siècle, la logique des communs domine la production agricole mondiale, disons, depuis une trentaine de siècles : domination strictement économique ; (2) Ostrom rappelle elle-même que ses matériaux empiriques relèvent de sa recherche néo-institutionnelle, donc sur les apparences extérieures des communs ; elle propose que des efforts aussi importants de recherches empiriques se consacrent au fonctionnement des communs ; (3) en ce qui concerne la France, il y existe environ 60 000 occurrences de communs d’un type étudié par Ostrom : les Biens des Communautés Villageoises (BCV) qui dominent l’économie de l’Europe aux alentours de l’année 800 apr. J.-C. ; en 2021, les BCV actuels correspondent à la partie non appropriée du finage d’origine. (4) Nous ne connaissons pas de civilisation robuste qui aurait existé sans être basée au préalable sur une agriculture de très bon aloi technique et comptable.

02/       Nous savons, par certitude raisonnable, que l’existence de biens communs est une réalité de notre Terre, dont la base est, en Occident, la notion de finage. Le finage établit en même temps (1) les droits d’une communauté sur un territoire et ses ressources, (2) la solidarité des membres de la communauté, et (3) l’équité de la relation qu’elle organise. La trajectoire normale d’un finage décrit l’appropriation individuelle du territoire par ses membres vers un équilibre générationnel biens privés/biens communs. L’appropriation individuelle repose bien évidemment sur l’amélioration de la fertilité des sols autour de l’implantation du village où se centralise la récolte des ressources du finage ; pour utiliser une image simple : la proximité du tas de fumier.

03/       La notion juridique d’homme libre (ni esclave, ni femme, ni mineur, ni étrangers), d’abord liée à la citoyenneté romaine qui distingue plusieurs catégories de populations, s’oppose à la logique égalitaire du finage. Au fil des siècles, les hommes libres sont ceux qui n’ont pas été soumis à l’esclavage ou ceux qui en furent affranchis. En pratique, l’Empire romain est d’essence urbaine ; il ne s’intéresse qu’aux villes et les classes sociales organisées sont celles résidentes de ville. À part, les terres qui seront allouées aux vétérans et qui évolueront en villa[1], la conquête romaine laissera les finages mener leur vie et respectera leurs règles coutumières. La lente appropriation dans les finages des terres communes se poursuivra paisiblement sous l’effet du contrepouvoir économique local des bans francs[2] d’hommes libres jusqu’au succès de l’empire carolingien ; un empire administré par des comtes et des marquis au nom de l’empereur. L’écroulement de l’Empire carolingien produira la régression féodale et l’institution du servage aux alentours de l’an mil afin de cultiver les terres dont s’emparèrent les familles des administrateurs au service de l’Empire. Intrusion du principe de seigneurie dans la société occidentale.

04/       À part l’hypothèse que l’institution des bans francs par Clovis aux alentours des années 500 après J.C comme contrepouvoirs économiques locaux aux chefferies politiques fut très favorable à la mise en valeur des finages et de leurs biens communs, l’histoire des biens communs n’est pratiquement pas documentée entre la conquête romaine et le 16ème siècle. Aucune contre-indication ne s’oppose à la trajectoire normale de l’appropriation privée des biens communs des communautés villageoises au pas générationnel au long de ces 16 siècles.

05/       À partir du 16ème siècle, les communs occidentaux prennent place dans l’histoire de manière assez violente sous l’effet de deux mouvements contradictoires : l’éradication des communs en Grande-Bretagne, sa résurgence en France. En Angleterre, le principe de seigneurie aboutit aux chartes d’enclosures qui valent suppression de l’usage en biens communs des biens des communautés villageoises. Cf Thomas MORE L’utopie 1516.

06/       En France, les biens communs sont, comme en Grande-Bretagne tout d’abord menacée par la seigneurie. En effet, l’acquisition d’un titre de noblesse passe par la propriété d’un territoire ; dans un pays où des titres de propriété existent depuis la conquête romaine, seuls les biens communs des communautés villageoises paraissent libres pour établir une nouvelle seigneurie. Les fermiers généraux participent aux transferts de ses biens communs qui deviennent des biens privés donnant droit à des titres de noblesse par voie fiscale. Charles IX (Michel de l’Hôpital, Chancelier de France) met fin à cette spoliation en 1567 (1) en restituant leurs biens aux communautés villageoise ; (2) en leur garantissant la protection royale et l’interdiction de les aliéner ; mesures complétées par (3) une administration rigoureuse par l’État des titres de noblesse ; (4) en limitant la création de chevaliers (l’adoubement), la voie d’entrée en noblesse, en privilège régalien. Henry IV (Maximilien de Sully) confirme la protection royale des biens des communautés villageoises. Louis XIV (Jean-Baptiste Colbert) aussi qui leur confie la fonction stratégique de fournir en bois d’œuvre la marine royale (Ordonnance des Eaux et Forêts de 1669).

07/       La Révolution peut être considérée comme la deuxième bifurcation favorable aux biens des communautés villageoises. Elle est foncièrement opposée au principe de biens communs et tente de les supprimer en les partageant entre ayants droit (Décret du 10 juin 1793) et les nomme « Section de Communes » ; la réforme n’aboutit pas. L’article 542 du Code civil traduit, en 1804, lapidairement cet état de fait. De fait, les biens des communautés villageoises deviennent à partir de 1793 jusqu’en 1946 des objets civils gouvernés librement, plutôt bien, par leurs membres. Le 19ème siècle et jusqu’en 1950 sur son erre participe à leur développement. La loi communale de 1884 met le vers dans le fruit en établissant, par 2 articles, la compétence du Conseil d’État pour connaître les conflits entre commune et section de commune.

08/       Une ordonnance De Gaulle de 1946 met fin à l’autonomie des biens des communautés villageoises en donnant au maire de la commune de rattachement les fonctions de gérant de ses sections de commune, en plus des fonctions d’ordonnateur : encaisser les recettes et régler les dépenses de la section. Une loi de janvier 1985, dite loi Montagne, aggrave la dépendance des sections à la commune au bon vouloir de la municipalité ; en pratique, elles perdent leur autonomie de décision sur la mise en œuvre de leurs ressources propres, leur budget annexe et leur compte administratif. Une loi de mai 2013 met les sections de commune en extinction, avec interdiction d’en créer de nouvelles. En pratique, fin des Biens des Communautés Villageoises en France au moment où le prix Nobel d’économie est décerné à Élinor OSTROM pour ses travaux sur la productivité remarquable des communs et au moment où pointe un nouvel avenir des sections de commune qui disposent de ressources d’énergie renouvelable remarquables.

09/       Éléments empiriques. À  partir d’une expérience de membre de BCV importants : (1) existe tout un corpus de droit prétorien issu des décisions des cours royales avant la Révolution, puis des arrêts du Conseil d’État à partir de 1884 ; (2) la loi actuelle vise et ne départage pas les droits d’usage du droit positif établi par la loi, mais pour le juge administratif, depuis 1985 et la loi Montagne, ses décisions appliquent a priori le droit positif qui privilégie le principe de prérogatives de la puissance publique ; (3) nous pouvons considérer et faire valoir que les droits d’usage constituent un droit coutumier équivalent aux droits contractuels entre parties ; dans la réalité, les règles de fonctionnement local établissent, depuis l’origine, une morale locale qui progresse en fonction des avatars qu’elle intègre. (4) À part les conflits soumis à la justice, il existe peu de traces de l’histoire d’un commun particulier : la situation actuelle résulte de leur histoire implicite ; elle intègre la totalité de leur passé. Ce sont ces résultats mondiaux qu’analysa Ostrom en 1990. (5) Enfin, il existe une mine de données empiriques ténues sous forme de fables, d’histoires merveilleuses ou symboliques, de mythes, de contes, d’adages, etc … qui rendent compte d’une manière d’être culturelle : par exemple la fable biblique des sept vaches maigres et des sept vaches grasses.

À l’heure des conclusions apparaît la difficulté de l’exercice devant un objet d’une extrême complexité. La communauté scientifique accepte qu’un commun traditionnel aujourd’hui soit le bilan de son histoire singulière depuis la nuit des temps ; Ostrom, par ses travaux, montre que l’ensemble de ces histoires singulières reposent sur des lignes de force générale à l’histoire des hommes sur Terre du Japon à l’Andalousie, de la Suisse au Sri Lanka et aux Philippines, des pêcheries canadiennes aux prud’homies méditerranéennes ; lignes de force que l’histoire, récente, des aquifères californiens confirme. La création par la loi des communautés énergétiques locales apparaît comme une résurgence moderne de la logique des communs ostromiens.

[1] Le mot latin villa désigne un domaine foncier comportant des bâtiments d’exploitation et d’habitation
[2]Le ban est une institution politique et territoriale des royaumes francs, qui a trait à la reconnaissance de droits de communautés chrétiennes organisées. En pratique, il s’agit de communauté d’hommes libres financée par le fisc royal (les revenus du domaine royal) comme contrepouvoir économique local aux chefferies politique.