Géopolitique et changement de cap

Geopolitique
Géopolitique et changement de cap.
Parler de géopolitique peut paraître étrange à ceux qui pensent que le changement de cap concerne plutôt les initiatives de groupes qui font preuve de créativité au niveau local. Pourtant lorsque dans notre dernière lettre nous mettions en valeur le travail réalisé par des enseignants pour réfléchir avec les élèves à la question des migrants, cela concernait la question internationale des mouvements de population. De même quand nous évoquons notre volonté d’éducation populaire à partir notamment du réseau des cafés culturels et cantines associatifs (RECCCA) en France, nous avons en arrière-plan la question des solidarités internationales (1).
Aujourd’hui nous sommes profondément bouleversés par l’attaque de Poutine contre l’Ukraine avec les bombardements des villes, qui visent souvent des hôpitaux et des écoles. Quelle réaction avoir sans mettre de l’huile sur le feu ? Comment les démocraties en France et en Europe peuvent-elles se situer par rapport aux dictatures russe et chinoise ? Quel renouveau s’impose en espérant que nos démocraties ne soient pas submergées par les dictatures ?
1 – Les visées de Poutine et les réactions appropriées.
Poutine est un pur produit du régime soviétique, formé à l’école du KGB, il considère que l’effondrement de l’empire soviétique a été une catastrophe et il rêve de le reconstruire. Son annexion de la Crimée en 2014 en violation du droit international en est l’illustration. Son attaque de l’Ukraine en est une autre. Il est dit aussi que Poutine est très religieux. C’est vrai en un sens très particulier, celui de ses liens étroits avec le patriarche de l’église orthodoxe de Moscou. Dimanche 6 mars le patriarche Cyrille de l’église orthodoxe de Moscou faisait un sermon stupéfiant qui justifiait la guerre contre l’Ukraine par la nécessité de défendre la « sainte Russie » face à un occident décadent. Il donnait comme exemple du rejet des valeurs fondamentales par l’occident, la tolérance à l’égard des parades gays. Cela n’avait pas empêché 233 prêtres et diacres de cette église orthodoxe russe de déclarer auparavant : « Nous déplorons l’épreuve à laquelle nos frères et sœurs d’Ukraine ont été soumis de manière imméritée ». Ces prêtres et diacres souhaitaient un cessez le feu immédiat et que le peuple ukrainien soit libre de faire ses propres choix.
Aujourd’hui, compte tenu de la menace nucléaire brandie par Poutine, la position défendue par A.Caillé à la suite d’échanges entre membres du club des convivialistes semble judicieuse : « Il faut être et se montrer à la fois le plus fort et le plus souple possible. D’une force qui ne pousse pas l’adversaire à la folie furieuse, d’une souplesse qui ne soit pas de la mollesse. Concrètement, cela veut dire : Accélérer et renforcer les livraisons d’armes à l’Ukraine ainsi que toutes les représailles économiques et financières, mais ne pas en rajouter sur le sentiment d’humiliation de la Russie (qui est le moteur de son agression) en proposant immédiatement l’intégration de l’Ukraine dans l’Europe ou dans l’OTAN »
2- Le réveil de l’Europe. Dans une tribune au journal Le Monde, la chercheuse allemande Daniela
Schwarzer considère que la guerre en Ukraine transformera l’Europe, qui ne sera plus seulement une puissance économique mais qui pourrait devenir une puissance politique prenant en compte les problèmes de défense, alors qu’elle se contentait jusqu’à présent du parapluie américain et d’être un nain dans les rapports de force mondiaux. La décision de l’Europe de contribuer collectivement à aider militairement l’Ukraine est un premier pas en ce sens et on assiste à un renversement complet de l’attitude de l’Allemagne qui engage maintenant une forte augmentation des dépenses de défense. « Il s’agit en réalité d’une bataille pour l’âme et pour les valeurs fondamentales de l’Europe, la démocratie et la liberté » nous dit Daniela Schwarzer. « Dans le monde tel qu’il est, il n’y a pas de paix sans ordre, et pas d’ordre qui ne repose sur un rapport de force » (2)
3- Balayer devant notre porte et sortir du néocolonialisme (4)
Poutine a envahi l’Ukraine parce qu’il ne pouvait pas supporter cet Etat voisin qui avait fait sa révolution démocratique sur la place Maïden de Kiev en 2014. Son rêve est de reconstituer ce qu’a été l’Union Soviétique. La Chine de Xi Jinping veut remplacer l’hégémonie américaine et étend son pouvoir dans tous les continents. Si la France et l’Europe, interlocuteurs des Etats-Unis, en tant que pays qui défendent les valeurs démocratiques veulent peser face à la Russie et à la Chine, encore faudrait-il en finir avec le néo-colonialisme, qui caractérise les rapports économiques mondiaux. (3) T.Piketty parle de « l’hypocrisie extrême qui entoure la notion même d’aide internationale » puisque l’aide publique au développement représente au total moins de 0,2% du PIB mondial alors que « les dommages climatiques causés aux pays pauvres par les émissions des pays riches représentent à eux seuls plusieurs points de PIB mondial ». Si la France et l’Europe sont à l’heure actuelle relativement peu concernés par le réchauffement climatique, ce sont des populations entières des pays du Sud qui voient leurs conditions de vie dégradées par exemple par la sécheresse ou par les inondations. 
Autrement dit, en tant que citoyen du monde, impossible de prôner un changement de cap là où nous sommes sans avoir en tête la géopolitique.
Guy Roustang
1 Le livre de Florine Garlot qui a pour sous-titre : « (Re)penser la communication solidaire » a pour titre
« Panser les solidarités internationales ». Ed. L’Harmattan, 2022.
2 Selon la formule de B.Perret au cours du débat entre convivialistes.
3 Voir le chapitre 9, de Thomas Piketty. Une brève histoire de l’égalité. Seuil, 2021.
4 Dans un précédent article, en réaction à une autre actualité, nous étions revenus sur les questions de décolonialité : https://eccap.fr/article/decolonialitetoutajeter/5fdb0a32af90670015d3c022