Éducation citoyenne et création artistique

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Par Marie-Véronique Raynaud, membre de l’association Terre de Chansons
 
Un livre disque, « On n’arrête pas les oiseaux » produit et coordonné par L’association Terre de Chansons, met en relation création artistique et éducation humaine et citoyenne[1]. L’œuvre musicale, créée pour chœurs d’enfants par Daniel Beaume, auteur-compositeur, ouvre la réflexion sur la question des migrations et sur ces valeurs humaines que sont l’empathie, la tolérance et le respect.
« Pourquoi prendre la route de l’exil quand on n’est encore qu’un enfant ? Tout quitter, franchir le désert, traverser la mer, être agressé, blessé, avoir faim, avoir froid, croiser la mort à chaque instant, vivre l’enfer…
Et pourquoi connaitre l’humiliation, le rejet, le jugement moral, être montré du doigt et traité d’indésirable, lorsqu’on arrive enfin de ce côté-ci de la mer ?
Pourquoi ? »
Tibo, le jeune héros de cette épopée des temps modernes, va vivre tous les épisodes de cette réalité brutale. 
Fort heureusement, il rencontrera aussi la bienveillance et l’accompagnement de personnes amies.
En mars 2020, cinq chorales d’établissements scolaires, qui rassemblaient deux cents collégiens, ont commencé à travailler cette œuvre pour la donner en concert. La pandémie et le confinement sont venus interrompre cette réalisation. 
Plus de travail possible, toutes les représentations ont été annulées. 

Il faut continuer, mais comment ? 

A la rentrée scolaire de 2020, un projet d’enregistrement se fait jour. Les élèves ont appris une partie des chansons, ils souhaitent les chanter toutes. Nait alors l’idée d’un disque. Afin que les voix des oiseaux dépassent les lignes des frontières de notre territoire confiné…
Cela pourra se réaliser avec la chorale du collège de Fuveau, sa professeure de musique et cheffe de cœur, le compositeur, le principal du collège et une équipe d’enseignants.
A travers l’apprentissage des chansons, les élèves ont découvert des horizons inconnus. Ils souhaitent aller voir du côté de ces jeunes qui quittent leur pays pour un ailleurs.

Un travail de « fourmis » masquées, pandémie oblige, se met en place, avec une classe de quatrième particulièrement motivée et avec une partie de la chorale. 

Enregistrer un disque, glisser ce disque dans un livre, un « vrai livre » qui va raconter les chansons, dire ce que les élèves ont découvert tout au long de l’année et comment. 

Les collégiens vont se transformer en reporter, en journalistes : en chantant ces chansons, ils se sont demandé : «et nous ? qui sommes-nous ? d’où venons-nous ? » Ils ont mené l’enquête dans leurs familles … Ils vont raconter les parcours de leurs parents, de leurs grands-parents venus de loin. 
Ils préparent un « plateau télé », pour interviewer les personnes qu’ils souhaitent questionner : 
Une première rencontre a lieu en décembre avec SOS Méditerranée, la classe d’une des 4° du collège, le compositeur, la professeure de musique et Terre de Chansons. Sont aussi présents un professeur d’histoire, un professeur d’anglais, et un professeur d’arts plastiques.

Suivront des rencontres et des interviews avec le collectif Agir, d’Aix en Provence, qui accueille des personnes migrantes, et aussi avec des personnes migrantes. 
 

Quatre musiciens, pianiste, flutiste, percussionniste, contrebassiste, enregistrent en studio toutes les musiques. La chorale enregistre les chansons, dans la salle de musique du collège transformée en studio pour l’occasion. Les élèves chantent masqués. Et les cinéastes filment la séance d’enregistrement.

En septembre 2021, le travail aboutit à un livre-disque conçu en 3 parties : l’œuvre (texte intégral), une réflexion autour de sa création (démarche du compositeur, travail des collégiens) des outils pour le futur. Un CD (œuvre complète chantée par la chorale de collégiens de Fuveau), vient compléter le livre, ainsi que des liens donnant libre accès à toutes les partitions. 
 
Qu’est-ce que ce projet a mis en jeu ? 

L’un des grands objectifs de l’association Terre de Chansons, depuis sa création en 2009, est d’ouvrir à une réflexion citoyenne à travers de nombreux projets artistiques en direction des enfants, associant Art et Citoyenneté. Ces projets privilégient 3 axes majeurs :
–       La rencontre d’une œuvre et d’un artiste, dans le cadre de problématiques citoyennes solidaires touchant directement la jeunesse,
–       La pratique artistique, et plus particulièrement le chant choral, pratique éminemment collective, prenant appui sur l’intelligence sensible, basée sur l’écoute et la voix, qui sont justement les deux principaux organes de la communication humaine,
–       La réflexion citoyenne autour des thématiques abordées, incluant la rencontre avec certains de leurs acteurs majeurs.

Ces trois axes vont participer à la formation de jeunes citoyens du Monde. Pour autant, art et éducation civique ne s’instrumentalisent pas l’un l’autre ! Chacun d’entre eux doit exister pour lui-même, mais il existe une vraie complémentarité entre les deux :
–       Écouter, donc entendre, c’est comprendre l’autre, c’est-à-dire celui qui n’est pas soi, qui est « différent ». Une vraie culture artistique est une école de tolérance.
–       Transcender ses émotions négatives (la violence par exemple), les mettre à distance, les « mettre en jeu » (comme au théâtre), c’est se confronter à elles à travers le prisme de l’œuvre, pour servir un message.
–       Apprendre de manière sensible la coopération (à travers la pratique collective chorale), le respect de l’autre, l’altérité, c’est s’engager en solidarité, c’est apprendre à devenir adulte et citoyen. 

Les enfants qui ont participé à ce projet ont été touchés, chacun d’entre eux a vécu une expérience esthétique intime. Ils ont aussi compris que la chanson est souvent le témoin de l’histoire et des parcours des hommes et qu’elle peut faire tomber les barrières et les murs …
 
Voici le point de vue de la cheffe de chœur, Claire‑Annie Maizières : du chant à l’engagement :
« Lorsque je pense au travail mené avec les enfants pour monter le spectacle choral « On n’arrête pas les oiseaux ! » ou l’odyssée de Tibo, mon premier sentiment demeurera toujours la motivation si vive des enfants, le dépassement de soi dont ils firent preuve et que je ne soupçonnais pas, du moins à un tel niveau. Autonomie, entraide, fin de l’individualisme… il semblait que les qualités humaines de ces collégiens pour accompagner Tibo et comprendre le témoignage de tous ceux qui évoquent les épisodes migratoires, soient métaphoriquement les mêmes que celles motivant tous les acteurs de terrain.
Tout d’un coup le « vivre ensemble » dont le terme un peu galvaudé ne relève parfois que de l’aspiration, prenait tout son sens. Les liens qui se sont créés entre les enfants pour cette aventure ont aplani toutes les différences qui jusqu’alors pouvaient les diviser. Ils étaient là, soudés, les uns pour les autres comme jamais, et leurs remerciements, leur gratitude, révélaient aussi la joie intense qu’ils éprouvaient. D’ailleurs la qualité de leur chant signifiait bien le dépassement de chacun.
Il n’était plus là question de les intéresser avec des thèmes musicaux allant dans le sens ordinaire de leurs goûts pour la variété, mais bien de proposer des chants polyphoniques inédits sur un thème grave.
A eux de faire la démarche d’aller vers l’inconnu, tout comme Tibo.
Ce projet choral, probablement le plus beau de ma carrière, s’inscrit dans un registre purement émotionnel ; en tant qu’enseignante en éducation musicale et cheffe de chœur, observer que chacun y trouvait immanquablement ses marques, même lors des plus ardues répétitions, fut une indicible satisfaction, l’un des plus précieux moments de mon parcours pédagogique, démontrant une fois de plus que la musique ne peut que nous réunir à partir de ce projet, les expériences familiales individuelles des enfants leur revenaient : celui qui vient d’ailleurs est riche, ils en ont bien conscience, et notre propre histoire façonne salutairement toute notre vie.
Encore merci aux associations pour leur indéfectible action, ainsi qu’à Philippe Benoit-Lizon, Principal du collège, qui a tant adhéré au projet et facilité nos rencontres et nos répétitions. Enfin, toute notre gratitude envers Terre de Chansons, qui par son engagement et son dévouement nous a permis une si belle création, pleine de la promesse de ces enfants qui, croyant si fort dans la vie, deviennent la ressource même de notre futur. »
 
 
 
 
 
 
 
 

[1] Il est possible de commander ce livre-disque « On n’arrête pas les oiseaux » à terredechansons@gmail.com ou dans n’importe quelle librairie.