Donner aux jeunes Marseillais un pouvoir d’agir sur la société

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L’Association Régionale pour le Développement Local (ARDL PACA) conduit une étude sur la jeunesse, ou plutôt les jeunesses à Marseille, notamment celles qui habitent un quartier prioritaire de la politique de la ville.
Souvent stigmatisée, en butte à de nombreux problèmes, cette jeunesse n’a pas l’impression d’être entendue ou simplement écoutée par les pouvoirs publics. Elle cumule de nombreuses difficultés : manque de qualification, conditions de vie précaires, pauvreté monétaire, accès difficile à un emploi ou à un logement autonome. L’écart se creuse entre une jeunesse en voie d’intégration et une jeunesse souffrante, en cours de précarisation et même d’exclusion. Une partie de cette jeunesse est d’origine immigrée, même si elle est pleinement française. De nombreux travaux ont montré que la première génération de migrants s’était intégrée plus facilement que la seconde.
C’est dans le cadre d’ateliers ouverts à tous les professionnels qui déclarent s’occuper de cette jeunesse que le dialogue a été instauré. Il apparait que si les pouvoirs publics, au-delà des grandes déclarations de principe, ne sont pas considérés comme des partenaires par la jeunesse marseillaise, le secteur associatif offre de réelles opportunités aux 16-25 ans, trop souvent sans emploi, sortis trop tôt du système scolaire, exclus des minima sociaux et condamnés à l’inactivité et à l’errance. De nombreux mouvements sportifs, culturels, éducatifs animent ces quartiers et facilitent l’accès à l’emploi qui passe tout d’abord par l’accès à la dignité et à la reconnaissance de soi.
Des rencontres ont été conduites auprès de nombreux acteurs : services publics, centres sociaux, écoles d’ingénieurs, collectivités territoriales, associations, organismes de solidarité. Elles ont montré que chaque structure a tendance à s’occuper de « ses » jeunes et que les réponses apportées, souvent surprenantes et positives, ne concernent qu’une minorité d’entre eux. Isolées, difficiles à se maintenir dans la durée, elles relèvent de l’expérimental. Elles ne font pas système. Le laboratoire de ces initiatives reste cloisonné, fortement dépendant de fonds publics de plus en plus rares et de l’engagement de bénévoles qui font un travail remarquable et méconnu dans des environnements difficiles.
C’est pour faciliter leur pouvoir d’agir qu’un Parlement Libre des Jeunes a été organisé en avril 2017, permettant à une cinquantaine d’entre eux, venus de tous les milieux, de vivre et d’échanger ensemble sur deux journées dans un lieu éloigné de leur quotidien. Leur parole a pu se libérer et leurs attentes s’exprimer. D’autres, en préparation, seront organisés par les jeunes eux mêmes.
Il ressort de ces initiatives qu’une partie de la jeunesse marseillaise se considère comme abandonnée au cœur d’une expérience commune inédite de déni. Elle souhaite être reconnue et non pas seulement réparée. Elle ignore les différentes mesures prises à son endroit. Elle ne fréquente pas Pôle Emploi. Elle n’est pas partenaire de la Politique de la Ville. Elle a quitté l’école le jour de ses 16 ans. Elle ne connait que la police comme service public.
Cette situation est intolérable. La place qu’une société accorde à ses jeunes est un indicateur pertinent de sa volonté de construire du commun. Il ne fait aucun doute que la jeunesse est une richesse, une solution et pas un problème, un formidable défi sur l’avenir et non pas un handicap pour le présent.
Cette étude- action a été conduite avec la participation effective d’une jeunesse cloisonnée, peu mobile, installée dans des quartiers dégradés, la plupart sans commerces ni services… une jeunesse reléguée, qui s’ennuie et s’écarte de plus en plus de la réalisation de soi. Nous avons clarifié un certain nombre d’enjeux qui sont autant de défis à relever pour que la jeunesse exprime son pouvoir d’agir sur la « res publica ».
 Décloisonner les mouvements trop souvent cantonnés sur une activité précise et une jeunesse bien délimitée est d’autant plus nécessaire que si la jeunesse est un tout, sortir de son quartier pour s’ouvrir au monde est une nécessité.
 Décloisonner les institutions publiques qui travaillent peu entre elles pour le même public est indispensable.
 Décloisonner enfin la jeunesse elle-même pour l’inviter à sortir de schémas préétablis et de discours tout faits sur la fatalité de leur condition.
 Clarifier et rendre visible le système d’acteurs est nécessaire.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils sont nombreux dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville mais s’ignorent superbement. C’est vrai pour les services de l’Etat, c’est encore plus vrai pour le secteur associatif qui reste émietté. La rareté des aides publiques, aussi bien de la part de l’Etat que des collectivités territoriales, les met en concurrence entre elles alors que la généralisation de la procédure des appels d’offre interdit toute mobilisation dans la durée.
Considérer les jeunes comme une ressource, c’est ne pas les infantiliser en leur offrant des produits ou des activités conçus par des adultes à l’abri du besoin et peu au fait de leur véritable demande. Chaque jeune, quel que soit son capital social, son niveau de formation ou la couleur de sa peau est une immense ressource de vitalité, d’innovation, de mobilisation. Co-construire un projet avec les jeunes exige de savoir les entendre et ne pas leur imposer quelque chose dont ils ne veulent pas.
Plusieurs leviers ont été définis pour améliorer les pratiques professionnelles des acteurs de la politique de la jeunesse. Ils tournent autour de la maîtrise du temps, de l’ouverture des équipements en soirée, de la nécessité de proposer des espaces ouverts, des lieux d’échanges et de dialogue pour dépasser les pressions et les urgences d’interventions ponctuelles sans lendemain. Ils sont aussi dans la nécessité de repérer des lieux d’activité librement gérés par la jeunesse elle-même. Une mention particulière concerne les espaces publics dont beaucoup ont perdu leur fonction de sociabilité. Sans doute partout, mais certainement à Marseille, les lieux publics ont été abandonnés et soumis à toute sorte de dégradation. Le mobilier urbain est quasiment absent dans les quartiers prioritaires. L’espace public est sur occupé par les voitures. Les voies de circulation ne sont plus accessibles aux piétons. Les pieds d’immeuble sont davantage les lieux de liaisons dangereuses que des espaces de dialogues.

Ce travail a été bien reçu par ses commanditaires : le service Politique de la Ville de la Métropole d’Aix-Marseille Provence et la Direction régionale de la jeunesse et des sports (DRDJSCS). Ces constats n’ont pas été remis en cause. Nos propositions les ont interpellés. Nous souhaitons poursuivre cette mission avec les jeunes. C’est pourquoi, dans le cadre des appels à projet lancés par la Politique de la Ville pour 2018, nous avons proposé d’approfondir cette ouverture sur quatre territoires spécifiques de Marseille, deux dans les quartiers nord et deux dans les quartiers sud. Nous sommes persuadés en effet des vertus de la connaissance réciproque des nombreuses jeunesses de notre cité, de tout l’intérêt de faciliter toutes sortes de mobilité pour sortir les jeunes de leur quartier, voire de leur ensemble HLM et faciliter les échanges entre eux.
Toutefois, nous ne sommes pas naïfs. Nous savons bien qu’une partie de cette jeunesse s’enfonce dans le trafic de drogue qui rend certains ensembles de logements sociaux impossible à vivre, sans compter les violences et les règlements de compte mortifères. Elle n’est heureusement pas majoritaire. Le travail des médiateurs de rue, des centres sociaux, des associations spécialisées doit être souligné. Mais nous portons l’espoir de permettre à toute la jeunesse de s’exprimer, de se mobiliser et de développer son pouvoir d’agir. Notre laboratoire restera décloisonné.

Pour approfondir le dialogue
Association Régionale pour le Développement Local
(ARDL PACA)
18 Boulevard Camille Flammarion
13001 Marseille
Tel : 04-84-26-27-40
e-mail : ardl@orange.fr

9 février 2018