À propos de « L’homme nu » de M. DUGAIN et C. Labbé
Dictature du numérique, ou nouvel impérialisme américain ?
Tout béotien, désireux de s’informer aussi précisément que possible, sur le numérique et ses perspectives, risque fort de se voir aiguiller sur un livre à succés, aux conclusions radicales et affirmées, qui décrit sans complaisance un univers étouffant, dominé par l’emprise grandissante des GAFAS, (Google,Apple, Face book et Amazone, ) ces quatre multinationales américaines du web qui en quelques années ont acquis une position quasi monopolistique dans ce secteur. Les deux auteurs de « l’homme nu, la dictature invisible du numérique » vous révéleront en prime, l’active complicité qui lie les gouvernants américains successifs à ces géants du web.
Les deux enquêteurs qui ont commis ce livre aux allures de brulot , ne sont pas des premiers venus, qui verseraient dans la théorie du complot, ou des pamphlétaires professionnels à sensation. Marc Dugain, notamment, énarque atypique, écrivain éclectique, essayiste, romancier à ses heures, enquêteur confirmé, et talentueux, passe pour un homme suffisamment crédible, par son parcours universitaire, et son expérience professionnelle, pour être lu avec attention sur ces sujets d’ un intérêt majeur. Christophe Labbé, journaliste d’investigation au Point, est un professionnel non moins reconnu.
Si nous ne sommes pas suffisamment armés techniquement pour confirmer ou infirmer les graves accusations contenues dans ce livre au vitriole, en revanche, nous n’hésitons pas à déplorer une lacune évidente : délibérément, les auteurs n’ont pas cru concéder la moindre place à une analyse des avantages, progrès ou bienfaits que pourrait apporter le numérique, S’il était régulé, c’est à dire, utilisé dans les conditions éthiques et déontologiques appropriées d’une démocratie moderne. Cet « oubli » en fait un livre uniquement à charge, donc non contradictoire, ce qui risque d’amoindrir sa force de percussion, et va même jusqu’à semer un doute sur la réalité de pratiques certes détestables et dûment dénoncées, mais dont le caractère scandaleux se devrait d’ être avéré au terme d’une contre- enquête approfondie et contradictoire.
Qu’ on ne compte donc pas sur nous pour démêler dans cette simple note de lecture, le vrai du faux, et orienter le lecteur sur nos certitudes, et nos seules impressions. Conseillons pourtant délibérément la lecture d’un tel livre, car il porte sur un sujet potentiellement inquiétant, voire terrifiant pour notre pauvre monde. Pas moins ! Lançons donc ici un appel à débat autour du numérique, à l’occasion des pratiques dénoncées par Dugain et Labbé.
Puissent ceux qui ont du sujet, une connaissance suffisamment fine, entrer dans ce débat et nous apporter leur contribution sur le degré de véracité d’un tel constat. Plutôt que de résumer nous-mêmes l’essentiel de l’ouvrage, au risque d’en déformer quelque peu les propos, nous avons préféré citer textuellement, les quelques passages qui nous ont paru essentiels :
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La quatrième de couverture est éclairante : la thèse de Dugain et Labbé y est ainsi résumée, par ses éditeurs (Plon): « On les appelle les big data. Google, Apple, Facebook et Amazone, ces géants du numérique, aspirent à travers internet, smartphones et objets connectés des milliards se données sur nos vies. Derrière cet ESPIONNAGE, on découvre qu’il existe un pacte secret scellé par ces big data avec l’appareil de renseignements le plus puissant de la planète. Cet accouplement entre les agences américaines et les conglomérats du numérique est entrain d’enfanter une identité d’un genre nouveau : une puissance mutante, ensemencée par la mondialisation, qui ambitionne ni plus ni moins de reformater l’humanité. …
…Pour les big data , la démocratie est obsolète, tout comme ses valeurs
universelles. C’est une dictature inédite qui nous menace : une big
mother, bien plus terrifiante encore que big brother. » …
Du livre lui même, extrayons, sans les commenter, les passages suivants :
Sur l’ enjeu économique : « … Au cours du premier trimestre 2015, Apple
a battu le record mondial de bénéfices jamais engrangées sur trois mois par
une entreprise, soit 18 milliards de dollars. La quantité de cash actuellement
disponible dans ses caisses bat aussi tous les records, avec 216 milliards de
dollars. » (Page 95)
S’agissant du contenu des informations traitées par les GAFAS :
« …Moulinées par les algorithmes, les métadonnées révèlent d’autres
secrets que le contenu des courriers électroniques, des messages ou des
conversations enregistrées. Qu’il s’agisse de transactions bancaires, de de
données de géolocalisation, de séquences génétiques, de fichiers d’électeurs
ou de loueurs de vidéos en ligne, ces silos de données remplis de copeaux
de vie anonymes trahissent, une fois traités, toutes les identités qui s’y
entassent. Jamais l’homme n’avait été aussi nu… (Page 66)
….Dans un univers où 95% de l’information émise par l’homme et les
machines deviendra disponible, on ne raisonnera plus sur des échantillons
représentatifs mais sur une connaissance intégrale…. (Page 9 )
… De nos jours la NSA (Agence de renseignements américaine) dispose de
plus d’informations sur les citoyens allemands que la Stasi du temps de l’ex-
RDA…. (Page 59 )
Sur la collusion entre big datas et gouvernants U. S. : Dugain et Labbé
n’ hésitent pas à citer deux exemples qui accablent l’Administration Obama :
« Ce 17 février 2011, les 14 géants du Net sont conviés par le Président des
États-unis pour un diner en leur honneur à la maison blanche….Grace à un
programme élaboré par un spécialiste de l’analyse prédictive, les firmes d la
Silicon Valley seront les artisans de la victoire D’Obama. …Pensant plusieurs
mois, une cinquantaine d’informaticiens s’enferment dans une salle secrète,
baptisée la grotte. Leur travail ? traiter des milliards de Métadonnées
collectées sur la toile, …afin de repérer les internautes susceptibles de voter
pour le candidat démocrate… Ce porte-à porte optimisé et personnalisé
aura fait la différence….
Cinq ans plutôt, Obama, déjà aidé par la technologie du big data, …avait
gagné au point contre son adversaire républicain. »( Pages 87 et 88)
L’ÉCOLE est aussi en danger : « …L’humain, source de créativité et de
confrontation intellectuelle, est …remplacé par un gavage et un contrôle
automatisé des connaissances. L’école ne forme plus des citoyens mais des
individus optimisés pour l’économie numérique, dans le meilleur des cas,
des consommateurs critiques… »(page 107)
le livre papier reste un rempart… C’ est une des seules notations
positives de l’ouvrage « Plus que jamais, le livre papier, dans sa linéarité et
sa finitude, constitue un espace silencieux qui met en échec le culte de la
vitesse, permet de maintenir une cohérence au milieu du chaos. « (citation
empruntée à Cédric Biagini , auteur de l « ’emprise numérique » ) (page
105 )
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« Si nous laissons faire, nous serons demain des hommes nus, sans
mémoire, programmés, sous surveillance. Il est temps d’agir », avertit
l’éditeur »
Propos excessifs ?, craintes inutiles ? Pessimisme hors de propos ?
Plutôt que de compter sur l’incertain Donald Trump pour effacer les
pratiques présumées douteuses et abusives se son prédécesseur, ou
de laisser un certain Wladimir Poutine agir techniquement sur les
résultats des dernières élections présidentielles américaines, ( simple
rumeur ? ), mieux vaut éclaircir ces faits, les vérifier dans toute la
mesure du possible, et de toute manière rester vigilants face à ces
GAFAS, le temps de construire et de faire adopter, à l’instar de ce
qui a été fait pour l’écologie, l’indispensable charte déontologique
qui régirait, à l’échelon mondial, les bonnes pratiques de l’ère
numérique.