Déverrouiller la conception urbaine – Vers de nouvelles pratiques d’urbanisme et de gouvernance territoriale

Démocratie
Déverrouiller la conception urbaine (2)
Vers de nouvelles pratiques d’urbanisme et de gouvernance territoriale
 
Richard TRAPITZINE Urbaniste
Auteur de l’ouvrage « Pour un urbanisme humaniste »
Aux Editions l’Harmattan – 2018
 
Notre système représentatif ne parvient pas visiblement, à répondre aux attentes des citoyens notamment en matière de conception urbaine. En ce début de 21ème siècle, la superposition du droit de l’environnement avec celui de l’urbanisme et de la construction, rend de moins en moins compréhensible les décisions en la matière. Ce n’est plus le PROJET, c’est à dire la création architecturale, urbanistique ou paysagère, mais le juridisme qui guide la conception du cadre de vie. Les citoyens finissent par s’en désintéresser comme en témoignent les taux de participation aux réunions de concertation ou durant les enquêtes publiques. Celles-ci ne rassemblent principalement que des personnes ayant un intérêt foncier ou immobilier à préserver. Les taux élevés d’abstention aux élections présidentielles et législatives de 2017 et 2022 témoignent d’un désintérêt croissant de la population pour la défense du bien commun et de l’intérêt général, donc de la démocratie. S’il est un domaine qui se prête à l’analyse de ce phénomène, c’est bien celui de l’urbanisme et de la conception des lieux de vie. 

Il est grand temps de revisiter nos pratiques de planification, de conception et de gouvernance pour les raisons évoquées dans notre article précédent. 

Comment concrètement, sur un territoire, définir un contenu urbain capable de guider son contenant pour la satisfaction toujours meilleure des habitants et des usagers ?
La construction urbaine reste à réinventer.
Imposer par la règle ne suffit pas. Pour relever les défis du changement climatique, celui des économies foncières et d’énergies ou encore ceux liés à l’accueil de nouvelles populations, nous ne devons plus ignorer les êtres vivants, pour qui ces défis doivent être relevés. C’est ce que je me suis efforcé de démontrer dans l’ouvrage « Pour un urbanisme humaniste » paru en 2018 aux Editions l’Harmattan.

Pour redonner aux citoyens le désir de se sentir solidaires et utiles à la société, proposons de refonder nos pratiques de concertation, de conception et de réalisation urbaine et en même temps de gouvernance. 

La démocratie représentative devra dans le futur, accepter de composer avec la démocratie participative et co-élaborative. Cela le plus en amont possible du processus sans cesse inachevé de transformation de l’espace. C’est-à-dire en amont même de la planification puis au cours des six étapes théoriques et indissociables de cette transformation[1].

Le citoyen devra être amené à quitter sa posture de sujet, que lui assigne la démocratie représentative, afin de devenir partie prenante et responsable de son cadre de vie

Projet et gouvernance devront désormais à cet effet rester indissociables.
Dans cette réforme des pratiques, l’anticipation devra en toute transparence guider la construction urbaine. 
Les responsables élus devront exprimer au départ un Projet Politique ou Projet de vie, sous les aspects à la fois matériels et immatériels énoncés dans notre précédent article. Les premiers aspects matériels continueront ensuite à relever de la Règle, les second immatériels de la Gouvernance. Ces mêmes responsables devront par concertation, s’efforcer de les faire partager par le plus grand nombre d’administrés. Cela à chacune des strates de décision institutionnelle, de la Commune à la Région en passant par les territoires de bassins de vie et les Métropoles. Les méthodes de concertation nécessiteront d’être adaptées à chaque strate. Pour garantir les nécessaires cohérences entre territoire, des itérations ascendantes et descendantes s’évèreront nécessaires entre ces niveaux de décisions,
 
Inverser le processus de fabrication du cadre de vie
En exprimant le Projet Politique avant le Projet urbain ou de territoire puis la règle, le processus méthodologique se trouvera inversé. Il incitera ainsi le plus grand nombre de personnes à y participer et à contribuer à sa co-élaboration. La concertation pourra faire appel au volontariat et au tirage au sort à l’image de la fondation citoyenne pour le climat, afin d’éviter des monopolisations de parole. 

Des forums de co-élaboration du Projet pourront être organisés soit en distanciel par visio-conférence et en présentiel dans des Maisons du Projet ou des Maisons de la Citoyenneté.

La légitimité du Politique ne s’en trouvera que renforcée.

Information préalable et partage des diagnostics et des problématiques du territoire seront de règle avant toute expression du projet politique et du projet de territoire.

Ces projets seront par suite concertés et enrichis en permanence, grâce aux moyens audio visuels et numériques.

Leur expression devra être compréhensible par tous. 

Le but final de ces Projets Politiques est de servir aux élus de vigie sur les évolutions sociales, économiques, culturelles et environnementales de leurs territoires de compétence. Ils leur serviront également de guide de référence tout au long du processus sans cesse inachevé de transformation des espaces. Ils guideront ainsi les Projets de territoire ou PADD[2], puis la planification, la programmation et la conception opérationnelle et enfin leur réalisation, leur suivi et leur évaluation. C’est ce qu’avaient compris voilà une trentaine d’années des maires comme Georges FRESCHE à Montpellier, ou Edmond HERVE à Rennes en se dotant de stratégie d’aménagement découlant de leurs projets politiques, afin de pouvoir anticiper, et non plus de subir celles des acteurs privés.

Mon ami Jean Yves CHAPUIS[3] qui fut l’adjoint à l’urbanisme d’Edmond HERVE, constatant les limites de la démocratie représentative, invitait récemment les responsables politiques à chercher à redonner confiance à la population en développement en complément une démocratie de la connaissance et de la reconnaissance. Tel est bien le sens du présent article.

Nous devrons nous garder de rendre ces projets politiques, opposables directement aux tiers au risque de bloquer une nouvelle fois le dispositif.  Ces projets politiques, enrichis en continu, devront restés ouverts aux évolutions de la société et aux attentes des habitants. 

Au début des années 2000 le regretté Professeur François ASCHER avait déjà perçu ces évolutions de l’urbanisme[4] en prévoyant que notre nouvel urbanisme, serait un d’urbanisme :

–       Fait de dispositifs, concertés et négociés 
–       Réflexif plaçant l’analyse avant la règle et le projet, 
–       Précautionneux au regard des exigences d’un développement durable,
–       Concourant par l’intervention d’une multitude d’acteurs
–       Réactif en phase avec les dynamiques de la société
–       Multivarié fait d’éléments hybrides aux solutions multiples
–       Stylistiquement ouvert qui s’émancipe des idéologies urbanistiques du siècle passé
–       Multi-sensoriel, qui s’enrichit de l’urbanité des lieux 

 

Le projet politique aura entre-autre pour finalité d’ouvrir la conception urbaine à ces principes. Il aura également pour but de veiller en toute transparence, au lien de cohérence entre les différents projets publics ou privés de transformation de l’espace. Une démocratie participative et contributive viendra ainsi rééquilibrer l’actuelle démocratie représentative.

Ces nouvelles pratiques nécessiteront surtout en début de mandat, pédagogie, dialogues, échanges, concertations et surtout volonté politique. Ce qui n’est pas gagné par avance, en raison du poids des habitudes et des routines et surtout en général de l’hostilité des hommes politiques et de leurs technostructures à partager leurs connaissances, de crainte de perdre du pouvoir. Les premières personnes à convaincre de l’intérêt d’une réforme des pratiques, seront donc les politiques et les administrations. Pour cela une mobilisation de la société civile et des milieux associatifs sera nécessaire.

Pareille réforme des pratiques de la planification et de sa mise en œuvre opérationnelle devra s’accompagner d’une réforme des modes opératoires au plan institutionnel. 

A cet effet considérons les trois temps dynamiques des acteurs de la transformation du cadre de vie.

–       Le temps du citoyen qui réclame des réponses immédiates à ses besoins
–       Le temps du politique condamné au terme de son mandat à rendre des comptes pour être réélu.
–       Enfin celui du Projet qui dépasse quasiment toujours celui de l’Elu.
 
Seul le second temps celui du Politique est susceptible de modification par la voie législative. Reconnaissons comme Charles LAMBERT dans son récent ouvrage « La France à l’âge des villes »[5] qu’un mandat de six ans est relativement court pour analyser le contexte urbain, concevoir les projets et les réaliser. Un allongement de deux ans du mandat municipal, le portant à huit ans, serait bienvenu. Il permettrait aux acteurs locaux, les deux premières années de mandat, de se doter de projets politiques ou projets de vie pour se laisser le temps de l’action, au cours de six années restantes. 
 
– Faire prendre conscience au public, notamment par médias interposés, des problématiques du territoire, en amont ou en même temps que la conception des projets.

– Simuler et concerter au travers du projet politique, les contenus possibles et les stratégies de gouvernance, permettrait :

–       D’une part aux citoyens, aux milieux associatifs et à la société civile, d’être invités à s’impliquer dans la préservation du bien commun et de l’intérêt général, de se sentir concernés et responsabilisés au regard de l’action publique,
–       D’autre part aux responsables politiques d’acquérir davantage de légitimité et d’agir dans le préventif et non plus dans le curatif. 

Contenu et contenant comme Projet et Gouvernance, deviendraient indissociables.
Une telle réforme des pratiques de conception urbaine placerait désormais le contenant au service du contenu. Elle serait génératrice de plus de transparence dans l’action publique. Elle inciterait les citoyens à s’impliquer et à devenir des acteurs de leur cadre de vie et à leur redonner confiance en la démocratie locale. 

Elle déverrouillerait ainsi le système actuel, bloqué par une démocratie représentative, qui a trop souvent tendance à privilégier ses réseaux au lieu d’un intérêt général au service de la population.

La classe politique est-elle disposée à entreprendre une semblable révolution des pratiques d’urbanisme ? C’est bien là toute la question !

[1] Les six étapes sont : Projet politique – Projet de territoire ou PADD – Projet réglementaire – Conception opérationnelle – Réalisation – Suivi et Evaluation.
[2] PADD, rendons à César ou plutôt à Richard…
Richard TRAPITZINE fut à l’origine de ce terme, lors du vote de la loi SRU du 13 décembre 2000. L’amendement sénatorial qui l’introduisit fut argumenté en référence à l’article publié dans la Revue Foncière n° 80 à l’automne 1998, intitulé « Le projet urbain doit précéder le POS ». Cf : Les rapports du Sénat n°265 – Simplifier et décentraliser : Deux défis pour l’urbanisme 1999 -2000.
[3] Jean Yves CHAPUIS Urbaniste consultant – Ancien adjoint à l’urbanisme de la Ville de Rennes « L’ELU LOCAL comme artisan du changement » aux Editions Les trois Colonnes – 1er trimestre 2021.
[4] François ASCHER – Les nouveaux principes de l’urbanisme – Editions de l’Aube 2004.
[5] Charles LAMBERT Grand prix européen de l’Urbanisme – La France à l’âge des villes – Editions CERF – 2022