N°= 24: Deux sujets d’actualité : Coronavirus et Elections municipales. 16/03/2020

CapitalismeDémocratie
I – Nos politiques au pouvoir sont-ils « convertis » par le Coronavirus ???

Invité le 9 mars à France Inter, Bruno Le Maire notre ministre des finances a déclaré : “Il y aura dans l’histoire de l’économie mondiale un avant et un après coronavirus”. Selon lui, cela nécessitera de repenser notre système économique mondial. “Je pense qu’il faut que nous tirions sur le long terme toutes les conséquences de cette épidémie sur l’organisation de la mondialisation. Il faut réduire notre dépendance vis à vis de certaines grandes puissances comme la Chine. On ne peut pas avoir aujourd’hui 80 % des principes actifs d’un médicament produits à l’étranger.”
 Quant à notre Président il va plus loin en déclarant le 9 mars : « il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties ». E.Macron qui, par ses choix économiques, est fidèle au néo-libéralisme initié par R.Reagan et Mme Tatcher en 1981, annonce-t-il ainsi une « conversion » ? On pourrait l’espérer quand depuis plus de cinquante ans, on tire la sonnette d’alarme en critiquant le modèle de développement dans lequel notre monde s’est engagé, avant même la révolution néo-libérale du début des années quatre-vingt [1] .
 Malheureusement, il faut probablement plutôt s’inquiéter une fois de plus du fossé entre de belles paroles et les choix politiques effectifs. Bien sûr, il est émouvant d’entendre les déclarations vibrantes de notre président rendant hommage au dévouement des personnels soignants. On peut aussi s’étonner d’assister à une reconnaissance des bienfaits de l’Etat-Providence et des services publics par le Président. En effet il a déclaré « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans conditions de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-Providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors du marché ». Mais alors quel contraste entre ces belles paroles et le manque d’écoute de ceux qui, depuis des années, et plus spécialement ces derniers mois, tirent la sonnette d’alarme en constatant que nos services publics de santé sont en danger, que les hôpitaux qui en sont le cœur sont à bout de souffle[2] et que la pandémie du coronavirus les ébranle dangereusement. Comment aussi ne pas être étonné d’avoir vu E.Macron demander à Madame Buzins, ministre de la Santé, d’abandonner un chantier prioritaire pour se porter à la candidature de la mairie de Paris et tenter de sauver La République en Marche à la suite de l’abandon de Mr Griveaux ?
 
 II – Elections municipales. Espoirs et craintes.

C’est en 1790 qu’ont été organisées les premières élections municipales françaises et c’est à ce niveau que s’imposent progressivement les idées républicaines [3] . Que dire des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 ? Ce sont les mairies qui, à la base de notre démocratie, peuvent jouer un rôle essentiel pour repenser « le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour » pour reprendre les termes d’E.Macron. Dans un très grand nombre de petites communes, le maire pour une indemnité dérisoire, consacre beaucoup de temps à régler mille petits problèmes et joue le rôle de première assistante sociale de la commune. Comme le dit Jo Spiegel, le maire est un « ouvrier du vivre ensemble ». Lui qui a été maire de Kingersheim (Voir dans l’ECCAP: Démocratie locale à Kingersheim; voir aussi Démocratie locale à Saillans) et qui est actuellement président de Place publique espère que ces élections municipales pourront poser les bases d’un renouveau politique, d’une éthique nouvelle de l’agir public.
Des associations ont compris que l’échelon local était primordial pour la transition écologique, sociale et démocratique. Le Collectif pour une transition citoyenne qui regroupe une quarantaine d’associations a demandé dans certaines communes aux listes de candidats, dans quelle mesure elles prévoyaient dans leur programme d’appliquer 35 mesures (dont la protection des ressources en eau, l’approvisionnement local pour la restauration collective, le développement des transports en commun, la préservation du foncier agricole etc, etc.) En fonction des réponses ils ont établi un classement des listes, mais il ne semble pas qu’il y ait eu en temps voulu une information suffisante pour éclairer les électeurs. Il n’empêche que c’est une nouvelle forme de renouveau démocratique.Mais il y a aussi de sérieuses raisons d’être inquiets si l’on écoute l’interview de Didier Daeninckx à France Inter le dimanche 16 février 2020. Il était interviewé suite à la parution de son texte « Municipales. Banlieue naufragée »[4] lui qui a vécu 70 ans dans la banlieue rouge. Le contraste est pour lui saisissant entre la période ancienne où tous les aspects de la vie sociale étaient pris en charge par des associations dépendantes peu ou prou du parti communiste. Il se souvient de l’époque où à 15 ans en 1965 il vendait avec ses copains des billets au porte à porte pour aller au théâtre voir des pièces de Bertolt Brecht. Maintenant où peu de gens sont inscrits sur les listes électorales et où il y a 70% d’abstention, le maire élu représente une part infime de la population. Et dans le pire des cas que Didier Daeninckx connaît bien et qu’il décrit précisément certains politiques sont dépendants des trafiquants ou de courants salafistes dans des territoires ghettoïsés. A la question posée par l’interviewer : vous pensez que nous n’échapperons pas en France au communautarisme ? Daeninckx répond que la pression est de plus en plus forte dans certaines communes.
Les écrits et l’expérience personnelle de Didier Daeninckx méritent d’être pris en compte pour éviter les oppositions simplistes ou les accusations trop faciles d’islamophobie quand on reconnaît que le danger communautariste est bien réel. Quand le journaliste de France Inter demande si une reconquête républicaine des territoires ghettoïsés ne serait pas importante, Daeninckx répond que l’Etat a une responsabilité en effet, mais que s’il a laissé faire c’est que « les situations sont tellement fragiles. Le film Les Misérables le montrent vraiment » (5).

Guy Roustang

[1] « La seconde société industrielle » Etudes coordonnées par Guy Roustang. Ed. Economie et Humanisme.1967. Les articles de ce livre montraient « comment le raisonnement économique ne suffit pas à éclairer l’ensemble des problèmes du bien-être social » p.65.
[2] Parlant des centres hospitaliers universitaires Stephane Velut écrit : « Le mal est profond ». Et il dénonce : « le dessein de faire de l’hôpital une nouvelle industrie, au mépris de son humaine justification. Un dessein indicible, qui rêve de fondre le soin dans la technicité abstraite et gestionnaire de notre société ».
[3] Voir l’article « La révolution municipale » dans la revue Projet février/ mars 2020 p.34.
[4] Tracts Gallimard, février 2020.(5) Voir à ce propos la lettre de l’eccap n°= 20