Dépenses publiques : les Français ne dépensent pas plus que les autres

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8 février 2017 – Comparer le niveau des dépenses publiques selon les pays n’a aucun sens si l’on ne prend pas en compte ce qu’elles financent. Au final, les contribuables français ne paient pas plus que les autres. Un point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Extrait du quotidien Le Monde.

L’affaire est entendue : il faut tailler dans les dépenses publiques car la France est « la championne du monde des dépenses », refrain ressassé à droite comme à gauche. Si l’on rassemble l’ensemble des dépenses publiques du pays, la France est en tête en Europe avec 57,5 % du PIB en 2014, 8,3 points de plus que la moyenne de la zone euro, selon Eurostat. Ce chiffre n’a pas de signification économique. La France occupe le premier rang parce qu’elle a fait le choix de répondre collectivement à une partie des besoins de notre société quand d’autres passent par le privé. Au final, le citoyen ne paie pas plus cher.

Rares sont ceux qui cherchent à comprendre d’où vient l’écart entre la France et ses voisins, alors que les données d’Eurostat, libres d’accès, sont riches d’enseignements. Sur nos 8,3 points de différence, plus de la moitié provient de la protection sociale et, dans ce domaine, presque exclusivement des retraites. Pourtant, si l’on prend en compte l’ensemble des régimes, volontaires (comme les fonds de pension) ou non, les retraites ne sont pas plus élevées en France qu’ailleurs. Nous passons par des cotisations sociales alors que nos voisins britanniques ou allemands mettent la main au porte-monnaie. Tout le monde finit par payer.

Le reste de l’écart provient de plusieurs sources. La France dispose d’un service de santé que le monde lui envie encore, rémunère plutôt bien une partie des professionnels du secteur et consomme beaucoup de médicaments : un surcoût de 0,9 point de PIB. La France a connu au milieu des années 1990 un regain démographique que d’autres n’ont pas enregistré, elle a donc davantage d’élèves au secondaire. Elle accueille les enfants gratuitement dès trois ans et a choisi un enseignement diversifié au lycée quand d’autres pays ont beaucoup moins de matières. Résultat, + 0,7 point de PIB. La France soutient le logement et la construction de routes : + 0,7 point de PIB. Elle aide ses entreprises, encore + 0,7 point. Enfin, elle était dans le camp des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et entretient une force armée importante : + 0,5 point. En revanche, les « services généraux », le coût de l’administration des services publics, coûte 0,3 point de PIB de moins que la moyenne de la zone euro.

Retraite, école, santé… : si l’on prend en compte l’ensemble des coûts, les Français ne dépensent guère plus que les autres. Notre pays a choisi un modèle social qui tient mieux compte des niveaux de vie. Ceux qui veulent tailler dans les dépenses doivent dire aux électeurs que demain, ils devront payer de leur poche ces services aujourd’hui publics. L’écart vient essentiellement des retraites, il faudra donc les diminuer et développer les fonds de pension : les catégories aisées y seront gagnantes si elles acceptent de jouer leurs retraites en bourse, et l’addition sera payée par les couches populaires et moyennes.

L’argent public est rare. Si l’on cherche les économies, il faut se poser la question de l’intérêt général avant celle de la tuyauterie. On peut réduire les dépenses, si on agit au bon endroit. Songez aux 40 milliards par an du pacte de responsabilité (presque l’ensemble du budget de l’Education nationale) dont l’effet est plus que limité sur l’emploi (il revient au minimum à 75 000 euros le poste créé…). Aux niches fiscales sans impact, aux commandes publiques incontrôlées qui nourrissent le secteur privé indûment, à certains professionnels de santé et aux entreprises du médicament qui vivent des largesses de la collectivité, en passant par l’implantation de forces de sécurité là où personne n’en a besoin.

En contrepartie, cela impose de réfléchir aux besoins. Des places de crèches au logement social en passant par les prisons, la justice, la dépendance, l’école ou la sécurité des quartiers, nombreux sont les domaines où une intervention publique est nécessaire et largement reconnue, bien au-delà des clivages politiques. Tous les candidats à la présidentielle commencent à en faire la liste ! Plutôt que de mentir en prétextant que l’on en fait plus que les autres, il faut expliquer là où l’on veut moins d’Etat et là où il en faut davantage. Au final, les économies ne seront pas aussi importantes que cela.

Louis Maurin

Cet article a été publié à l’origine par Le Monde le 27 janvier 2017.