N°= 32: Démocratie de l’abstention. Danger ! Quelques défis à relever. 15/07/2020

BanlieueDémocratie

Au second tour des élections municipales, la chute du taux de participation a amené une professeure de science politique à déclarer : « Un cap est franchi dans le basculement vers les démocraties de l’abstention »[1]. Dit autrement, c’est l’avenir de notre démocratie qui est en danger si les citoyens s’en désintéressent [2]. D’autant plus que l’environnement international amènera peut-être la publication prochaine d’un livre « La fin des démocraties », trente après « La fin de l’histoire » de Fukuyama qui prédisait le triomphe des démocraties. Mais quarante ans de néolibéralisme sont passés par là.
Le taux d’abstention augmente d’année en année mais il est plus marqué chez les jeunes et dans les quartiers défavorisés. S’il a été en moyenne de 60% toutes tranches d’âge confondues au second tour des municipales, il a été de 72% selon un sondage pour les jeunes de 18 à 34 ans. Et ce sont les quartiers les plus populaires qui ont connu les taux d’abstention les plus élevés. On a moins voté à la Seine St Denis qu’ailleurs en France. La Seine St Denis le département le plus pauvre de France.
Face aux défis de l’abstention plus marquée dans les quartiers défavorisés et chez les jeunes, nous pouvons évoquer plus spécialement trois défis à relever pour sauver notre démocratie : la situation des quartiers défavorisés, la laïcité, la police.

Pour un plan massif de soutien aux quartiers populaires.

Dans notre lettre N°= 20, nous faisions état du rapport à l’Assemblée Nationale le 31 mai 2018 remis par deux députés (l’un du Parti Républicain, l’autre de la République en marche) « sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes à La Seine St Denis ». Ce rapport impressionnant, consternant et passionnant listait les injustices et les torts causés au département le plus pauvre de France, il comprenait toute une série de propositions. Aujourd’hui c’est le rapport du Conseil National des Villes placé auprès du premier ministre qui plaide pour un plan de soutien massif aux quartiers populaires. Sa vice-présidente Fabienne Keller nous dit : «La crise a agi comme un révélateur des grandes fragilités et de l’urgence d’agir dans les quartiers. Avant la crise, les disparités étaient déjà criantes : un taux de chômage 2,7 fois plus élevé que la moyenne nationale, un tiers des jeunes de 16 à 25 ans sans emploi ni formation, 42 % de la population sous le seuil de pauvreté, indigence des équipements et des services publics… Avec la crise, elles ont explosé. A la pauvreté s’ajoute la pauvreté. Au chômage s’ajoute du chômage. Aux discriminations s’ajoutent des discriminations. Dans ces conditions s’ajoutent le découragement, la colère mais aussi la violence »[3]. Et devant l’abandon dont ils sont victimes, des jeunes et des moins jeunes peuvent être tentés de s’identifier à une conception rassurante de la religion.

La laïcité.

Le 10 juin dernier, un documentaire sur la chaîne LCP permettait à Salman Rushdie de relater son histoire, trente ans après que la fatwa de Khomenei ait appelé tous les musulmans à le tuer. Dans le débat qui a suivi ce documentaire, on ressentait un certain malaise. Il apparaissait que Mohamed Sifaoui ne pouvait plus intervenir à la Sorbonne, comme si ceux qui avaient pris cette décision craignaient simplement d’être traités d’islamophobes. Ce qui fait penser à l’affaire Mila (voir Lettre 22), cette jeune lycéenne qui a dû quitter son lycée suite à des milliers de message qui la menaçaient. Après une intervention d’Usul sur Mediapart, Gil Gosseyn a fait le commentaire suivant le 17 février 2020 : « Mediapart se réveille et de la pire des manières en sous-entendant que seuls les fachos sont indignés par cette affaire » ce qui est selon lui regrettable et révélateur d’une certaine attitude d’une partie de la gauche, qui craint d’être accusée d’islamophobie. Quelqu’un rappelait récemment que les catholiques s’étaient bien ralliés à la laïcité et à la République, et qu’il convenait de reconnaître que si une large majorité de musulmans étaient à l’aise dans la République, il convenait de ne pas s’en laisser compter en craignant d’être accusés d’islamophobie. L’islamisation qui suppose de laisser les lois religieuses empiéter sur les lois de la République n’est pas de mise.[4]

Pour une police de la confiance pour le bien de la police et de la population.

C’est ce que souhaite notamment F.Ruffin. En effet, il n’est pas bon que les policiers aient la peur au ventre dans certains quartiers et que les jeunes soient systématiquement hostiles à leur égard. Pour Jacques Toubon qui vient de quitter sa fonction de défenseur des droits, l’un des moyens de restaurer la confiance serait de relancer une vraie discussion sur la traçabilité des contrôles d’identité, qui avait été promise par François Hollande en 2012 et ne s’était jamais concrétisée. Ces contrôles ne sont pas anodins et sont perçus par les jeunes comme une humiliation. En 2017, une étude avait montré que les jeunes « perçus comme noirs ou arabes » avaient 20 fois plus de chances d’être contrôlés que les autres.
Cette hostilité entre police et jeunes des banlieues n’est pas inéluctable, si l’on en juge par les souvenirs de Ladj Ly, réalisateur des Misérables [5], qui se souvient qu’adolescent il jouait au foot avec des policiers. C’était au temps de la police de proximité créée en 1998 par Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur dans le gouvernement Jospin, qui la définissait ainsi : « c’est une police qui est à la fois préventive, dissuasive et répressive ». Et Ladj Ly témoigne qu’avec ces policiers il y avait des échanges et que l’on pouvait communiquer et discuter. Cette police de proximité a été supprimée par N.Sarkosy, alors Ministre de l’intérieur, qui avait déclaré : « la police n’est pas là pour organiser des tournois sportifs, mais pour arrêter les délinquants, vous n’êtes pas des travailleurs sociaux » et il promettait de nettoyer au karcher la cité des 4000 à La Courneuve et de débarrasser le quartier des canailles. Propos déplacés si l’on veut éviter de mettre de l’huile sur le feu. Il serait important qu’une large concertation entre toutes les parties concernées puisse définir les conditions d’une politique de la confiance entre police et citoyens.

Guy Roustang.

[1] Pages Idées du Monde du 3 juillet 2020.
[2] La dernière lettre n°31 sur la convention citoyenne pour le climat a suscité des réactions diverses. Elle était écrite par les deux responsables actuels de l’eccap, qui n’étaient pas d’accord entre eux. Ce sera l’occasion d’ouvrir un débat sur l’intérêt ou non des conventions citoyennes pour contribuer au renouveau de nos démocraties. Nous ferons état de ce débat prochainement.
[3] Voir le rapport du CNV et Le Monde du 2 juillet 2020.
[4] Voir les débats autour du livre « Inch ’Allah. L’islamisation à visage découvert de G.Davet et F.Lhomme. Enquête sur la Seine St Denis. Ed. Fayard 2018.
[5] Interviewé par Guillaume Erner lors des matins de France Culture le 15 novembre 2019. Nous vous signalons la parution de trois nouveaux articles dans l’EccapDe Genauto Carvalho de França Filho et JL Laville- Economie et vie, un faux dilemme –  Demain, retour à la loi de la jungle ? Nature humaine ou condition humaine D’Augustin Berque – Agriculture ou agribashing