De retour de l’Université d’Utopia : se relier manifestement ! (Episode 1)

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Cet article est le premier épisode d’une longue série qui va documenter les moments grands et petits, les petites choses captées, les regards croisés de 4 journées riches en rencontres et au service d’une dynamique de confluence où l’équipe de l’Eccap en Commun a été motrices et facilitatrices. 

Du 26 au 29 octobre à Sète, la seconde Université du mouvement Utopia coconstruite avec le mouvement des convivialistes et l’Archipel des confluences a rassemblé plus de 300 personnes.

Sur le thème, des colères à l’émancipation, nous avons pu croiser de nombreux acteurs et questionner les conditions des alliances à construire. En effet, le constat partagé a été conforté par des regards experts sur les enjeux climatiques, et ses premiers dérèglements.

La première journée a permis de reprendre le fil de nos actions…

Celles d’Utopia autour du livre collectif : « culture de la paix, idées reçues et propositions » comme celles de l’Archipel des Confluences après une première année de tissages.

Le premier croisement doit-il se faire à partir des Manifestes, celui d’Utopia vient de paraître dans sa 3ème édition et après le second manifeste convivialiste, un prochain est en préparation. Après des échanges, il a été convenu que nous devions conserver « l’identité racine » de chaque mouvement mais développer des formes de diffusion plus accessible. La Maison d’édition d’Utopia produira sur le modèle des « tracts Gallimard » des petites productions permettant de porter ensemble des analyses et propositions.

L’enjeu est bien de produire une dynamique collective. Mais qu’est ce qui nous met en mouvement ensemble ? Sur cette question, il a été convenu que les écrits, livres et manifestes ne suffisent plus. Comment mobiliser les émotions pour avancer ? Ce sujet a permis de questionner les enjeux des rencontres, qui seules, peuvent créer ces liens et relations de confiance.

Notre approche longtemps trop intellectuelle ne mobilise que la raison. Il faut savoir aussi dépasser le discours raisonnable, entrer en résonnance comme l’exprime si bien Harmut Rosa.

« Ce qui est intéressant, c’est de construire nos désaccords d’abord entre nous ». Dans la même démarche, le question des conflits n’est pas travaillée et notamment les points aveugles.

Assumer nos désaccords est aussi un préalable à notre capacité de se relier et de tisser des liens de confiance entre nous.

Se relier, d’abord, manifestement !

La première étape a été de revenir vers l’ensemble des initiatives qui favorisent ces liens et qui nourrissent aujourd’hui les Confluences. Il est important de partir de ce qui existe déjà et qu’il faut renforcer. Nous avons pu ainsi revenir sur les retours d’expériences autour Terra, la pirogue initiée au sein des confluences, le projet du Transiscope[1] qui va se déployer bientôt dans une version 2 avec des agendas partagés, le Collectif de la transition citoyenne[2] (CTC) qui est la plateforme la plus utile au tissage de plus d’une trentaine d’organisations. Nous avons partagé aussi l’actualité de l’Eccap en Communs et Julie Chabaud a pu partager l’expérience du labo furtif[3] comme Marin Maufrais, le projet des arbres de l’imaginaire[4].

Se relier passe par nous renforcer en s’appuyant sur nos espaces et actions. Mais se relier passe aussi par s’ouvrir et ne pas hésiter à aller vers celles et ceux qui ne pensent ou n’agissent pas comme nous.

Aller vers des personnes pour coconstruire nos savoirs partagés.

Pour cela, nous devons favoriser les espaces où les expériences s’expriment et se croisent. Ces savoirs chauds sont aussi des analyses et pas uniquement des témoignages que l’on pourrait retenir comme n’étant pas « légitimes » au regard d’un savoir scientifique surplombant.

C’est autour de cet enjeu de la coproduction des savoirs et du lien à tisser entre sciences et société qu’une des deux séances du vendredi après-midi s’est organisée. Autour du dernier livre de Jean-Louis Laville « la fabrique de l’émancipation », nous avons pu démontrer que la praxis est tout aussi importante que le savoir académique. Cette praxis contribue à la transformation de la société à partir de ce qu’elle est, la réalité qui se vit dans l’instant à la condition d’ouvrir des espaces réflexifs pour coproduire ces retours d’expériences. Ils deviennent alors des savoirs et leur expression nous rendent puissants !

L’expression de nos fabriques de l’émancipation croisant économie solidaire et écologie sociale tant dans nos villages que dans les quartiers populaires de nos villes.

A partir de nos histoires

En partant de l’associationnisme et des premiers collectifs auto-organisés au milieu du XIXème siècle, Jean-Louis Laville a rappelé la puissance du collectif et des luttes, puis Patrick Farbiaz a évoqué des grands moments de cette histoire oubliée et des premières luttes écologiques croisant habitants et travailleurs, ouvriers ou paysans, en Espagne ou à Détroit, au Brésil ou en Afrique. Malheureusement, il n’y a eu que peu de traduction politique malgré l’existence de nombreuses confédérations paysannes partout dans le monde. En France, le mouvement des gilets jaunes a permis d’imaginer de nouvelles alliances à partir des pratiques et des premiers besoins vitaux : des logement décents, de l’eau potable, des transports contraints dans la ruralité et des enjeux de précarité énergétique partout. L’entraide et le droit à une vie bonne et digne sont devenus des pratiques et des expressions collectives. Le RIC est la continuité de cette réalité comme un nouveau droit à décider par nous-mêmes : face au mépris des classes dominantes, il y a l’expression d’un respect et d’une dignité, comme le préalable à tout espace de délibération collective.

Fathi Bouaroua, qui contribue au projet de l’Après-M[5] à Marseille, a partagé aussi son expérience depuis ces premiers engagements sur les questions du mal logement. Il a contribué à la création de la Fondation Abbé Pierre et de nombreuses associations d’entraide à Marseille, mais aujourd’hui, avec le projet de l’Après-M, il croise les enjeux historiques de l’économie solidaire comme elle a pu se produire à ses origines. A partir d’un espace de travail et de luttes sur leurs conditions de travail au sein du MacDo de Saint Marthe, avec une intervention importante de la puissance publique dès l’origine avec la zone Franche, les salariés ont pu conquérir des droits et ont gagné aussi leur réputation de leurs collègues (CDI pour tous, 13ème mois, le retour en taxi après minuit…). Aujourd’hui, ce LIEU (lieu d’initiatives et d’entraide urbaine) est devenu une plateforme alimentaire permettant à près de 100 000 habitants de manger lors du Covid.

La lutte de Kamel Guemari et de ses collègues, par leur occupation avec les habitants a permis de renforcer ce lien entre eux, avec leurs voisins, et d’entrer en résonance avec d’autres combats menés à Marseille et ailleurs. La personnalité de Kamel comme de Fathi ont permis aussi une incarnation du mouvement qu’ils ont su habilement organiser. Aujourd’hui, il existe une réelle volonté de transformation sociale par la création d’une SCIC croisant un restaurant, la distribution de colis, une entreprise d’insertion et deux entités porteuses : une association “la part du peuple” et une société civique immobilière (SCI) pour bénéficier d’un auto-financement et d’une ressources publique et de donations.

Leur objectif est de consolider le projet qui donnera une cohérence au site et une perspective politique : le projet de VIE, village des initiatives d’entraide. Le frein demeure aujourd’hui son modèle économique : comment inventer notre modèle à partir d’une organisation de MacDo qui avait le soutien de fonds publics en investissement sur les travaux et la zone franche pour l’aide au contrat. Aujourd’hui, avec le contournement par la L2 en plus, le modèle économique ne fonctionne pas. Il est à coconstruire avec les institutions.

Des histoires ancrées et incarnées

Après ces deux parcours où l’histoire des luttes a été ancrée et incarnée, Assia Zouane et Magida Bel Abbès ont pu partager leur engagement plus récent. Assia à Noailles, quartier populaire de Marseille, venant du Maroc, de Rennes, et des collines du Var et Magida à Encagnane, quartier populaire d’Aix, venant d’Algérie puis de Gap dans les Alpes.

Toutes deux ont incarnée aussi par leur pratique les liens entre l’écologie populaire et les enjeux sociaux où la question des inégalités est une réalité quotidienne.

Chacune a choisi un chemin, Assia avec des mamans d’une école en créant l’Université populaire des parents et Magida en ouvrant des espaces d’expression avec le Théâtre Forum aux habitants et notamment aux jeunes du quartier. Ces expériences d’auto-organisation permettent de questionner le regard des institutions sur les parents et les jeunes, et inversement bien sûr.

Et pour l’ensemble des participants de cet après-midi, la richesse et la diversité de ces expériences partagées ont permis de rendre visible une puissance d’agir, une énergie et une dynamique qui nous engage à tisser et à se renforcer.

A bientôt au prochain épisode avec Samir Akacha, jeune activiste et globe trotter, un micro et une caméra en main !

Pierre-Alain CARDONA


[1] https://transiscope.org/

[2] https://transition-citoyenne.org/

[3] https://labofurtif.xyz/?PagePrincipale

[4] https://larbredesimaginaires.fr/

[5] https://www.apresm.org/