Lors de la journée de l’archipel des Confluences le 27 janvier dernier, nous avons pu confronter des cultures de mobilisation et de transformation sociale différentes.
D’un côté, une approche plus institutionnelle, issue des collectivités, à partir de savoirs techniques portés par des élus ou des agents, c’est la Fabrique des Transitions[1] et d’autres réseaux comme l’UNADEL[2] ou l’IRDSU[3]. Ces deux derniers réseaux mobilisent ensemble de nombreux professionnels dans le Carrefour des métiers, des métiers de l’ingénierie territoriale, si utile aujourd’hui pour appuyer les initiatives de transition.[4]
De l’autre, une approche activiste, souvent plus jeune, plus « agile » et utilisant tous les codes des mobilisations, gestion de base de données et organisation structurée tout en maîtrisant les enjeux institutionnels pour créer des stratégies et faire levier.
Cette approche activiste prend différentes formes. De la plus « efficace et ciblée » du collectif Riposte alimentaire, anciennement Dernière rénovation[5], à celle ancrée sur un parcours inspirant comme Camille Etienne par exemple[6], ou alors croisant avec la sphère électorale avec l’équipe de La Primaire populaire en 2021-2022. Benjamin Ball[7] est l’un des pionniers et il contribue aujourd’hui aux dynamiques de confluences pour tisser des liens entre ces cultures militantes et les croiser enfin ! Sa prochaine initiative est l’appel à des marches de l’alimentation le 16 octobre 2024.[8]
Il y a un enjeu de stratégie qui vont traverser toutes nos rencontres durant cette année 2024. Nos retours d’expériences, les « retex » comme beaucoup les appellent dorénavant, deviennent des réflexes et c’est une très bonne chose. C’est pourquoi, lors de la rencontre du 27 janvier à Paris dans les locaux de la Fondation pour le progrès de l’Homme, nous avions invité Mathilde Imer et Floraine Jullian, issues de la Primaire populaire, et dans un autre domaine, plus institutionnel, Jean-François Caron, initiateur de la Fabrique des transitions. Leur présentation a été riche et des perspectives concrètes ont pu se dessiner.
Un Retex de la Primaire populaire pour de nouvelles victoires populaires ?
Floraine Jullian, issue du mouvement Coexister, a animé la dernière étape de la Primaire populaire et est devenue depuis l’une des initiatrices de leur nécessaire retour d’expérience[9]. Ce mouvement a mobilisé en janvier 2022 plus de 500 000 personnes pour choisir un candidat aux élections présidentielles d’avril 2022. Le choix de Christine Taubira puis leur soutien à Jean-Luc Mélenchon, a provoqué beaucoup de réactions. Avec courage et persévérance, ils ont pris le temps de l’analyse et du partage de ces expériences, 19000 personnes y ont contribué, 3 séminaires mobilisant le cœur des organisateurs de 20 à 40 personnes (sources, salariés, volontaires) et bientôt un livre paraîtra pour donner envie à d’autres de reprendre le flambeau. Un appel pour sa publication sera bientôt diffusé.
La grande lucidité de cette équipe a résonné avec notre propre intention : il est indispensable que nos expériences, et nos échecs, ne renforcent pas notre impuissance mais bien une étape pour questionner notre capacité de faire autrement alliance, dynamique, coalition, mouvement, bascule ?
Un labo des partis pour imaginer d’autres formes ?
Mathilde Imer, à l’initiative de la Primaire populaire avec un collectif de jeunes activistes issus d’un premier mouvement « La rencontre des justices », est investie aujourd’hui dans un projet appelé « le labo des partis »[10]. Se présentant comme « un centre d’étude et de transformation des partis politiques », elle contribue à une étude dont l’objectif est de publier au printemps 2024, plusieurs modèles du « parti du futur ». Cette expérience de recherche-action mixant savoirs citoyens et militants, savoirs techniques et académiques, doit contribuer à éclairer un des points aveugles de notre démocratie : comment les partis peuvent imaginer un fonctionnement permettant de renouer des relations respectueuses avec les acteurs de la société civique.
Il y a urgence en effet, dans un champ des partis, de plus en plus étroit, de passer du « je t’aime moi, moi non plus » ou du « fais-moi mal, Johnny, Johnny, fais-moi mal » à un rapport consentant et conscient, équilibré et respectueux, où la domination des mâles alpha doit laisser place à de réels espace de délibération et de coproduction de la transformation sociale.
Que chaque acteur, chacun à la place qu’il trouve utile et opportun, contribue à la transformation politique de la société, du local, au planétaire, qu’il soit élu, technicien, salarié ou bénévole, jeunes ou vieux, associatifs et retraités, mais aussi « blanc » ou « racisé ».
Faire mouvement, c’est savoir se dépasser et faire alliance ?
Souvent, la nécessité de faire alliance est partagée mais les actes et les postures ne le sont pas encore totalement, car la conscience est souvent de façade.
Il y a une nécessité que tous ces acteurs, autant de la société civique, activistes ou plus institutionnels, que les responsables des appareils politiques se questionnent et produisent un autre imaginaire institutionnel. C’est un des enjeux du travail aujourd’hui de Mathilde Imer au sein du Labo des partis, et leur travail peut nourrir les prochaines étapes d’une stratégie nécessairement coconstruites pour « faire gagner la justice sociale environnementale et la démocratie », objectif partagé.
C’est aussi la volonté de Jean-François Caron quand il a créé la Fabrique des transitions suite à son expérience de maire de Loos-en-Gohelle.
Les fondamentaux de la Fabrique sont de 3 ordres : une entrée par les territoires, une entrée par le désir de faire ensemble, et une posture de leadership de service en appui à un processus qui doit nous dépasser toutes et tous. Ils ont analysé les « 4 fantastiques » de la Transition des territoires comme 4 acteurs qui font levier : Les élus, les agents des collectivités, les acteurs de terrain et les services déconcentrés de l’Etat.
Leur objet commun est de transformer le cadre de pensée des politiques publiques locales à partir de leur impensé et de les mettre en travail avec de l’idéation et du design de services. Mais cette approche nécessairement « auto-centrée » sur les enjeux institutionnels rencontre aujourd’hui l’enjeu d’une alliance bien plus large avec des acteurs plus activistes, plus jeunes notamment sur ces questions.
Lors de cette rencontre des Confluences, nous avons pu réaliser l’une de nos premières ambitions, créer des liens et des ponts entre ces réseaux. Ainsi Jean-Baptiste du Collectif des associations citoyennes[11] a proposé à la Fabrique des Transitions de rejoindre l’Observatoire des libertés associatives et la Coalition[12] car la place des institutions locales est primordiale dans l’appui aux associations.
J’ai pu évoquer l’enjeu de leur présence lors de la prochaine réunion organisée par le Collectif pour la Transition citoyenne le 14 mars prochain sur les questions d’animation de l’espace public et politique par les acteurs d’une société civique qui s’autoriseraient enfin à faire de la « Politique » ou pas ?
Des 4 Fantastiques au 5ème élément.
Même si ces références cinématographiques ne sont pas d’aujourd’hui et ancrent nos générations dans une époque, j’ai pu partager à Jean-François Caron la nécessité d’imaginer comment mobiliser un Tiers Espace associant les 4 fantastiques au 5ème élément. Ce 5ème élément incarne « le peuple », celles et ceux pour qui toutes ces politiques publiques sont pensées et produites, c’est un électorat pour certains, des usagers, bénéficiaires, publics pour d’autres, ce sont nos voisins, les petits et les précaires comme évoqués par un intervenant depuis les Comores en visio. Il nous a rappelés aussi qu’ils étaient présents dans les quartiers populaires, urbains et ruraux, mais aussi dans les territoires d’outre-mer.
L’enjeu est donc bien là aussi, faire mouvement c’est aussi mobiliser le plus grand nombre. Cela ne se fera pas en un jour, en un point de bascule, mais dans un processus qui doit être bien rythmé, bien articulé, mais en situation de toucher au-delà de nos cercles.
Nous avons besoin de consolider notre cartographie des tisserands, celles et ceux qui font ces liens nécessaires ; notre agenda « politique » partagé pour ouvrir et animer ces espaces publics qui nous manquent tant et catalyser ces liens, et initier un appel à contributions le plus large possible pour initier un mouvement qui puisse dessiner ensemble un avenir en communs[13]. En ce sens, la rencontre des Confluences du 27 janvier a été un point d’étape utile. Vous pouvez y retrouver ma prise de note en format heuristique !
[1] https://fabriquedestransitions.net/index_fr.html
[2] https://unadel.org/ – Depuis 30 ans l’unadel rassemble et met en réseau les personnes, les collectivités et les organisations qui, dans les territoires, pays, communes et intercommunalités, œuvrent à la construction d’un “autre” développement local, plus ouvert, plus respectueux de l’humain et de la planète
[3] http://www.irdsu.net/ – Inter-Réseaux des professionnels du Développement Social et Urbain, le réseau des professionnels de la politique de la ville
[4] https://unadel.org/actions-chantiers/le-carrefour-des-metiers-du-developpement-territorial/
[5] https://www.nouvelobs.com/ecologie/20240128.OBS83817/huit-choses-a-savoir-sur-riposte-alimentaire-le-collectif-ecolo-qui-a-asperge-la-joconde.html
[6] https://www.linkedin.com/posts/camille-etienne-activiste-climatique_apr%C3%A8s-tant-de-rebondissements-le-parlement-activity-7161641522575171584-pF2F/?originalSubdomain=fr – un exemple de sa dernière mobilisation entre mobilisation populaire massive et une stratégie institutionnelle contre les lobbys à Bruxelles.
[7] https://www.streetpress.com/sujet/1448648139-benjamin-ball-militant-jedi-indignes
[8] https://www.bioconsomacteurs.org/agir/se-mobiliser/vers-des-marches-de-l-alimentation-le-16-octobre-2024
[9] https://www.primairepopulaire.fr/
[10] https://www.lelabodespartis.fr/
[11] https://www.associations-citoyennes.net/
[12] https://www.lacoalition.fr/
[13] https://www.archipel-confluences.org/WikiAdC/?PirogueRefaireSocieteDocs