Conventions citoyennes; recension d’un livre de Jacques Testart

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Comment les citoyens peuvent décider du bien commun ? C’est l’objet du livre de Jacques Testart (biologiste de la procréation) intitulé : « L’humanitude au pouvoir- Comment les citoyens peuvent décider du bien commun » Ed. du Seuil 2015. Son livre repose sur l’expérience et non sur de bons sentiments. « Il est des situations privilégiées, hélas fort peu fréquentes où les personnes impliquées dans une action de groupe particulièrement exaltantes semblent subir une mutation intellectuelle, affective et comportementale que je propose de nommer humanitude (37) ». « Il est  extraordinaire de constater qu’une poignée de personnes, prises au hasard mais volontaires pour être instruites, peut contredire ce que croient et votent les mêmes personnes tant qu’on essaie de les confiner à l’état de consommateurs des idées dominantes » « ce que proposent les gens, libérés des marchands d’illusions et placés en situation de responsabilité, comme il arrive dans les conférences/conventions de citoyens, c’est la solidarité plutôt que la compétitivité, la communauté de l’espèce humaine plutôt que le chauvinisme, le souci de l’environnement plutôt que la croissance, l’épanouissement durable plutôt que le productivisme »(60).

Dans son livre J.Testart définit avec une rigueur toute scientifique la méthodologie qui doit permettre à une convention de porter ses fruits. Il ne s’agit pas de n’importe quelle procédure dite participative.

« Loin des complicités de cuisine entre marchés, communicants et dirigeants, les conventions de citoyens sont capables de produire les choix qui contribuent le plus au bien commun. Elargies à l’international, ces mêmes procédures confrontant les avis des citoyens du monde pourraient aussi amener tous les pays à s’engager fermement dans le sauvetage de la planète, dans la coopération effective entre les peuples, dans la construction de modèles économiques et conviviaux, et siffler la fin du match stupide pour la compétitivité qui ne conduit qu’à la ruine de tous et du monde »(15).

Les conférences citoyennes. Le professeur Jean Claude Ameisen médecin et immunologiste a présidé pendant 4 ans le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Interviewé par Le Monde 7 janvier 2017, il déclare : « Le rôle du comité à mes yeux, n’est pas tant de faire des recommandations que d’aider la société à réfléchir collectivement : « lorsqu’on leur donne le temps et les moyens, les gens deviennent très intelligents collectivement ».

« Lors de la révision de la loi relative à la bioéthique, en 2011, le législateur a complété les missions du CCNE en précisant ceci : sur tout projet de réforme déposé au Parlement soulevant des questions de société dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, le comité doit organiser un débat public sous forme d’états généraux, puis établir un rapport sur ce débat. C’est ce que nous avons fait en 2013, en organisant « une conférence de citoyens » sur la fin de vie.

A partir de novembre 2013, 18 français tirés au sort par l’IFOP ont commencé à se réunir à huis clos. Ils se sont mobilisés de manière bénévole pendant quatre week-ends : deux pour auditionner une dizaine de personnalités retenues par le CCNE, un pour qu’ils entendent des personnes de leur choix (Robert Badinter par exemple), le dernier pour qu’ils rédigent leur avis, qu’ils ont rendu public à la mi-décembre 2013. Ces citoyens ont prôné le développement général des soins palliatifs (qui devaient à leurs yeux devenir une Grande Cause nationale) et se sont prononcés en majorité pour le droit de la personne en fin de vie à l’assistance au suicide. Tous ont dit par la suite avoir vécu une expérience extraordinaire, qui avait changé leur vie…c’était assez bouleversant. » D’autres réunions avaient été organisées par la commission Sicard dans plusieurs villes et « c’est l’ensemble de ces démarches qui a constitué les états généraux sur la fin de vie ». Sur un sujet qui aurait pu être très clivant, deux années de débat ont permis d’atteindre une certaine sérénité. « Le CCNE a conclu qu’il semblait y avoir un consensus dans la société française sur deux points : les directives anticipées (refus d’acharnement thérapeutique) doivent s’imposer au médecin, et les personnes qui le demandent ont droit à une sédation continue jusqu’au décès. Ce sont les deux points qui ont été repris dans la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, définitivement adoptée en janvier 2016. » J.C.Ameisen nous dit « Si une vingtaine de citoyens tirés au sort peuvent réfléchir et proposer une réflexion originale sur un sujet tel que  la fin de vie, cela veut dire que n’importe quel groupe de citoyens …sur n’importe quel thème peut contribuer à l’élaboration de notre futur commun. La délibération est une des façons de décliner une démocratie vivante… »