« Comprendre pourquoi on ne se comprend pas »

TechnocapitalismeVivre ensemble

Cet article est une recension du livre d’Eric Dacheux[1] intitulé Comprendre pourquoi on ne se comprend pas.

La communication entre personnes ne va-t-elle pas de soi ? Pourquoi se compliquer la vie et faire appel aux « sciences de l’information et de la communication » comme le fait Eric Dacheux dans ce 260ème petit volume de la collection Biblis du Centre National de la Recherche Scientifique[2] ?

Est-il bien nécessaire de se « compliquer la vie » en utilisant des termes abscons comme « communication phatique » qui obligent à consulter le dictionnaire ? ou en ergotant pour confronter la communication à d’autre formes de mises en lien : persuasion, diffusion, transmission etc.

Ce livre de vulgarisation demande un effort. Mais le jeu en vaut la chandelle si l’on reconnait l’ambition qui est derrière. Ni plus, ni moins que « refaire la démocratie » pour reprendre une partie du titre d’un autre livre d’Eric Dacheux et Daniel Goujon : « Défaire le capitalisme, refaire la démocratie – les enjeux du délibéralisme »[3]. Dans cet autre texte, le délibéralisme est défini comme nouvelle conception du vivre ensemble. Autrement dit : « nous serons véritablement en démocratie quand les personnes concernées par un problème auront la possibilité de le résoudre elles-mêmes[4] ». Ce qui est le point commun des initiatives d’économie solidaire : « ce sont toutes des organisations démocratiques qui agissent suite à une délibération interne ».[5]

Pour « Comprendre pourquoi on ne se comprend pas » il est alors fructueux d’entrer dans les distinctions subtiles auxquelles nous engage ce petit livre. Alors que la communication est « une mise en lien qui vise la co-construction de sens entre altérités libres et égales » (p.46), elle n’est jamais à l’abri de l’ambivalence avec d’autres manières de mettre en lien les humains : la persuasion, la transmission de connaissances etc. Alors que la communication est « le fruit incertain d’une élaboration humaine complexe qui sera interprétée de manière différente d’un individu à l’autre », elle « est aussi  une danse relationnelle, la recherche de la bonne distance entre le même et l’autre…régie par des règles culturelles et sociales qui offrent un cadre sécurisant permettant aux danseurs de rentrer en contact sans se heurter violemment »(p. 148).

Le dernier chapitre explique pourquoi les outils numériques sont « un remède pire que le mal ». Les outils numériques « sont de formidables machines permettant de nous connecter à distance, d’accéder à un potentiel quasi infini d’informations…ce ne sont pas des machines à communiquer. Communiquer en effet, nous l’avons montré tout au long de cet ouvrage, réclame du temps et de l’espace » (p.179).

« Les outils numériques que nous utilisons appartiennent à des multinationales regroupées sous le titre de GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) » (p.180). Ces outils, « loin de tenir les promesses d’une compréhension plus forte entre les hommes, représentent un danger pour nos sociétés démocratiques ». Les GAFAM plus puissantes que bien des Etats utilisent nos données personnelles et nous incitent à rester dans notre bulle de confort. « Or, … communiquer ce n’est pas rester chacun dans sa bulle, c’est prendre le risque de bâtir une bulle commune. De même construire une démocratie, ce n’est pas simplement laisser chacun explorer sa manière de voir le monde, c’est construire à partir des singularités, une vision commune, un intérêt général qui n’est pas réductible à la somme des intérêts particuliers » (p.184).


[1] Eric Dacheux. Comprendre pourquoi on ne se comprend pas. CNRS Editions. Coll. « Biblis ». Paris 2023. Avec en exergue la citation suivante de Dominique Wolton : « Royaume du malentendu, des quiproquos, des mélancolies, la communication n’est jamais assurée d’être efficace. Impossible de s’en passer ; difficile d’en être heureux ! »

[2] Cette petite collection de vulgarisation aborde tous les sujets.

[3] Eric Dacheux, Daniel Goujon. Défaire le capitalisme, refaire la démocratie. Les enjeux du délibéralisme. Ed. Erès, février 2020.

[4] E.Dacheux se réfère au philosophe John Dewey

[5] Sous la direction de Josette Combes, Bruno Lasnier, Jean-Louis Laville. L’économie solidaire en mouvement. Ed. Erès. Nov. 2022, p.64.