Christiane Taubira présidente de style 6e République ?

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Christine Taubira a lancé le 17 décembre dernier une vidéo dont les autres candidats de gauche n’ont retenu qu’un élément : son éventuelle candidature à l’élection présidentielle. Ils lui reprochent de ne pas avoir de programme et de vouloir l’union en introduisant un peu plus de désunion. Or, avant d’annoncer qu’elle envisage une candidature, elle a donné en quelques minutes un discours très travaillé, avec une insistance orale sur « Ce qui compte » c’est à dire la fragilité du quotidien, les incertitudes de l’avenir, les urgences non résolues, mais avec une insistance sur la justice sociale et le « volontarisme écologique ». Ce n’est pas un programme de gouvernement et c’est ce que lui opposent ses détracteurs mais il faut se poser la question de savoir si le rôle d’une personne qui envisage la présidence est de proposer un programme de chef de gouvernement ? 

Distinguons la constitution de la Ve République et sa pratique : l’article 5 dit que le président « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » alors que l’article 20, consacré au Gouvernement, note que « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Chacun sait qu’aujourd’hui, ce qui est recherché par les candidats c’est le rôle de Président parce que le gouvernement lui est subordonné et que c’est le président qui, depuis le Général de Gaulle, a toujours eu ce rôle. Toujours ? Non, car en période de cohabitation, ce furent Chirac et Balladur qui conduiront la politique de la nation Mitterrand président, puis Jospin sous la présidence de Chirac. 

La cohabitation a toujours paru une horreur pour tous les personnels politiques et la synchronisation des élections législatives et présidentielle leur parut une mesure qui devait l’éviter pour toujours. Si pendant la cohabitation, du fait des conflits qu’elle entrainait entre président et premier ministre, un sentiment d’anormalité s’est fait jour, la constitution a cependant fonctionné. On peut penser qu’elle fonctionnerait encore mieux si les deux rôles étaient assumés : d’un côté un arbitre qui rappelle les grands principes et qui est élu comme tel, de l’autre un gouvernement issu d’élections législatives qui dégagent une majorité. 

Prenons le cas de Christine Taubira précisément : on pourrait très bien concevoir que par sa rigueur morale, par sa parole qui prend en compte les soucis principaux de notre société (mais il faut lire son texte pour le comprendre), elle puisse être une candidate sans programme qui rallierait toutes les forces progressistes, écologistes compris. Ce n’est d’ailleurs qu’à cette condition qu’auparavant, elle pourrait être acceptée comme candidate unique de la gauche. Une fois élue elle choisirait le chef du parti qui serait le plus à même d’animer une coalition regroupant désormais socialistes et écologistes qui pourraient chacun affirmer leur rôle de leader selon leur réussite aux élections qui suivront la présidentielle. 

On objectera la pratique du domaine réservé : comment peut-on envisager de confier le bouton nucléaire à une personne pour qui la politique extérieure ne constitue pas le cœur de ses préoccupations et de ses compétences ? On répondra qu’il ne s’agit que d’une pratique et non d’une obligation constitutionnelle : l’article 21 précise bien que c’est le premier ministre qui est responsable de la Défense Nationale. Si l’article 15 donne au président le titre de chef des armées, il s’inscrit dans la tradition républicaine : sous la IVe République, ce titre de « chef des armées » lui était déjà donné par l’article 33 de la précédente constitution. C’est bien le premier ministre qui aujourd’hui « exerce la direction générale et la direction militaire de la défense » (selon le code de la défense1 ). 

1 Cité par Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, 15e ed. 2019, §154 

On a souvent envisagé de lutter contre la dérive présidentielle par l’introduction d’une Vie République, entreprise jusqu’à présent impossible : on a maintenant la possibilité de faire évoluer la pratique et il faut saisir cette occasion. 

Philippe Cibois, 27/12/21 

Annexe pour information : le texte de l’annonce de Christine Taubira 

Bonjour à vous, J’ai fait le compte de ce qui compte. Vous ! Vos interrogations, vos attentes, parce qu’elles sont sérieuses et fondées. Elles sont enthousiastes aussi, pleines d’énergies à partager. Ce qui compte c’est la fragilité du quotidien pour des millions d’entre vous. Les incertitudes de l’avenir, les fragmentations qui sont à l’œuvre dans la société française. Les atermoiements de l’Union européenne face aux urgences. Les défaillances de la communauté internationale devant tant de dérèglement du monde. Ce qui compte aussi c’est notre capacité de renforcer la cohésion sociale, partout sans exclusive ni exclusion. Ce sont les garanties que nous vous devons pour votre pouvoir de vivre. Ce sont les conditions dans lesquelles nous devons apporter sureté et sécurité au quotidien et dans vos trajectoires de vie. Ce sont ces services publics que nous devons ajuster selon vos besoins, notamment dans l’éducation, la santé, les transports. Ce qui compte c’est la détermination à cesser de tergiverser face aux bouleversements climatiques, et aux dangers qui menacent la biodiversité. Ce sont ces efforts d’une diplomatie active et clairvoyante afin de rendre le monde moins brutal, plus sûr. Ce sont aussi des réponses claires et stables à apporter à ces sujets difficiles que sont les sources d’énergie ou l’armement. Ce qui compte surtout, ce sont nos savoirs, non connaissances, nos capacités innovatrices qui sont un précieux atout. Ce patrimoine de recherche, d’artisanat, d’industrie, de culture, de dévouement civique, qui nous permet d’être aussi inventifs, aussi dynamiques. Ce qui compte c’est cette belle ambition d’égalité, de justice sociale, de volontarisme écologique. Il s’agit de vous représenter, parce que l’essentiel, c’est quand même le sens de ce que nous sommes. C’est la volonté d’empoigner nos vies et d’ouvrir un chemin commun. C’est la joie qui résultera d’agir sur notre présent et d’inventer l’avenir. C’est la lumière que nos combats et nos succès allumeront dans les yeux de nos enfants. Il y a des candidatures de personnes de grande valeur pour qui j’ai de l’estime et de l’amitié. Mais je constate l’impasse. J’ai toujours dit que je prendrai mes responsabilités. Pour cela, j’envisage d’être candidate à l’élection présidentielle de la République française. Je ne serai pas une candidate de plus. Je mettrai toutes mes forces dans les dernières chances de l’union. Je vous souhaite de bien finir l’année. Je vous invite à prendre soin de vous de celles et de ceux que vous aimez. Et je vous donne rendez-vous à la mi-janvier.