N°= 34: Changement de cap et effondrement 15/08/2020

AvenirCapitalisme

« Encyclopédie du changement de cap » signifie bien que nous plaidons pour un changement fondamental d’orientation si l’on veut vraiment relever les défis énoncés dans notre avant-propos et notre Lettre n°1. Mais la notion d’effondrement donne une tonalité plus tragique au changement. C’est ce que l’on ressent en lisant le livre : « L’effondrement de l’empire humain ». Les auteurs des dix interviews[1] écrivent que « la réalité de grands bouleversements actuels et à venir s’est imposée dans nos esprits. Et pourtant, la classe politique et le monde économique continuent très majoritairement de s’en remettre aux dieux de la croissance, ignorant les limites physiques de notre planète et les lois naturelles qui garantissent la prospérité du vivant. Il y a urgence à comprendre ce qui se prépare ».

La pandémie de la Covid 19 met à mal le monde entier et donne un avant-goût de ce qui s’annonce. Depuis des décennies, les prévisions des scientifiques concernant le réchauffement climatique se sont avérées justes et de plus en plus précises, sans pour autant que l’on puisse prévoir des dates ni les enchaînements des évènements.
Impossible de se rassurer en pensant que nous savons ce dont il s’agit en observant les canicules actuelles. Jean Jouzel[2] nous dit « Nous sommes dans une trajectoire de réchauffement de 3% d’ici la fin du siècle même si l’Accord de Paris de 2015 est respecté…Les gens ne se rendent pas compte. Ils pensent que le réchauffement climatique correspond à ce qu’ils sont en train de vivre. Mais ce dont nous parlons, avec les + 3°C ou + 4°C, n’a absolument rien à voir avec la situation actuelle » (p.39). Une augmentation de 3°C pour l’ensemble de la terre entraînera des bouleversements sans commune mesure dans divers domaines : mouvements migratoires, effondrement de la biodiversité, fonte des glaciers et montée des océans, risques sanitaires venant du dégel du permafrost.
Les 10 personnes interviewées dans le livre sont d’accord pour penser que sans changement radical de nos modes de vie, de notre façon de produire, de consommer et d’habiter nous courons à la catastrophe.
Les responsables des interviews de 10 spécialistes écrivent : « De nos rencontres et nos échanges avec dix penseurs éclectiques aux perceptions variées émergent une véritable polyphonie de l’effondrement qui nous éclaire…Toutes et toutes ont su nous apporter matière à réflexion…Notre souhait est qu’il en soit de même pour vous ».
Yves Cochet dit ce qu’il entend par effondrement « j’entends un phénomène qui, en matière démographique, verrait environ la moitié de la population mondiale disparaître en moins de dix ans…et dans tous les autres domaines de la vie individuelle et collective, l’ampleur du bouleversement serait du même ordre. En d’autres termes un effondrement comme jamais l’espèce humaine n’en a connu, jusqu’à être confrontée à sa disparition ». (p. 90). Il considère que la survie de l’espèce humaine est en jeu (p.93). Et selon lui, le seul combat qui vaille consiste à « minimiser le nombre de morts ». Selon lui certains de ses amis collapsologues se font des illusions quand ils pensent qu’en informant on va pouvoir mobiliser et éviter le pire. Et il en veut pour preuve que dans le passé, les mises en garde de plus en plus précises n’ont pas entraîné des décisions à la hauteur des défis à relever.
N.Hulot est de ceux qui se réservent une marge d’erreur et pensent que rien n’est inéluctable. Il explique pourquoi il n’exprime guère ses inquiétudes personnelles depuis sa démission du gouvernement, car « il est sonné… Et je suis sonné parce que j’ai vu les verrous. Je pourrais lister pendant une demi- heure tout ce qui empêche la société de passer à l’acte » (P.117).
A l’avenir, il y a bien sûr le risque de guerres, à propos par ex. de l’accès à l’eau, le risque que les gens s’entretuent pour accéder au nécessaire. Mais il y a aussi la conviction de certains que cela pourrait être une incitation à plus d’entraide et de bienveillance. C’est le cas de Pablo Servigne[3]. Quand on lui pose la question « Auriez-vous un conseil à donner à ceux qui prennent conscience de la perspective de l’effondrement ? ». Il répond : « La clé c’est l’amour. Il y a un livre magnifique de Carolyn Baker qui s’intitule « Love in the Age of Ecological Apocalypse ». Sagesse et compassion, l’une avec l’autre ensemble…Et l’amour est le ciment de tout. Si nous le perdons, nous perdons tout ». Caroline Baker est une des 10 personnes interviewées. Elle nous dit : « Tout comme les empires ont colonisé des populations, nous avons été colonisés par la civilisation industrielle. Nous avons intériorisé l’avidité, le profit, la guerre. Nous devons travailler à nous décoloniser nous-mêmes et à devenir des êtres humains à part entière… nous devons essayer de nous soigner collectivement. Une grande partie de mon travail porte sur ce processus de reconstruction ».
L’eccap fait le pari qu’il est encore possible d’éviter le pire, mais le déni des menaces auquel on se heurte est redoutable. L’eccap pour sa modeste part s’efforcera de contribuer à suivre les conseils donnés par Arthur Keller « Créez des groupes de conversation, de réflexion et d’action là où vous vivez, organisez-vous collectivement, unissez-vous, rejoignez des collectifs, réseaux et mouvements s’il y en a » (p.71). Arthur Keller donne un conseil aux dirigeants politiques et économiques : « Plutôt que de vouloir tout décider, donnez aux gens les moyens de redevenir citoyens et de s’organiser, faites jouer l’intelligence collective… ».
 
Pour répondre à cet objectif d’éducation populaire, l’espace numérique qu’est l’eccap doit pouvoir s’adosser à des espaces physiques d’échanges, de débats et d’actions collectives (en particulier, les cafés associatifs). De cette manière, les connaissances majoritairement universitaires collectées par l’eccap pourront être mises en débats, expérimentées et donc alimentées par des citoyens déjà militants ou non. Ici, le parti pris est que c’est par la participation citoyenne que tout un chacun peut développer sa capacité à former des jugements sur des problèmes publics (Dewey, 1927). Cette collaboration entre l’eccap et des cafés associatifs s’effectuent dans un contexte où ces derniers tentent de formaliser les connaissances partagées dans ou hors leurs murs[ [4] De façon à articuler ces espaces (numériques et physiques) en vue d’une éducation civique, Florine Garlot, chercheuse en sciences de l’information et de la communication dans le milieu associatif, conduira à partir d’octobre une recherche-action collective visant à proposer des méthodologies et outils.
Guy Roustang et Florine Garlot.
[1] Manon Commaret et Pierrot Pantel. L’effondrement de l’empire humain. Ed. Rue de l’échiquier. 2020.
[2] Jean Jouzel a été Vice-président scientifique du groupe d’experts intergouvernemental su l’évolution du climat (Giec) de 2002 à 2015 avec lequel il obtient le prix Nobel de la paix en 2007, il est le principal auteur des 2ème et 3ème rapports.
[3] P.Servigne dit notamment qu’il s’interroge sur la question du féminin et nous avons reproduit ses réflexions dans la rubrique féminisme de l’eccap.
[4] Exemple du café associatif grin et de ses podcasts : https://legrin.fr/nos-podcast