AUTO-RÉHABILITATION ACCOMPAGNÉE DES LOGEMENTS

LogementTransition énergétique

Une réponse pour préserver la planète, une solution pour créer de l’emploi

Le logement et les transports constituent les deux postes principaux de consommation d’énergie et d’énergie fossile en particulier.

C’est donc sur ces deux secteurs d’activités qu’il faut agir en priorité si l’on veut vraiment préserver la planète des gaz à effet de serre et préparer, avec le maximum d’efficacité et d’efficience, la transition vers les énergies renouvelables.

Mais, en matière de transports, cela suppose la création d’infrastructures nouvelles, pour le ferroutage notamment, et prendra du temps.

En revanche, l’isolation des passoires à calories que constituent près de 80% du bâti a des effets immédiats et massifs sur la réduction des consommations dans le secteur d’activités qui crée le plus d’emploi par euro investi.

Cependant, malgré une volonté affirmée et réaffirmée, malgré les mesures prises et les budgets engloutis dans les politiques de rénovation urbaine, le compte n’y est pas et les objectifs affichés ne sont pas au rendez-vous.

Et si on n’avait pas tout essayé ?

Et si on n’avait pas mis toutes les chances de réussir pour que les occupants de ces passoires passent à l’acte ? Quels sont les freins et comment les desserrer ? Quels sont les leviers et comment les actionner ?

Quelques constats tout d’abord.

Premier constat : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

Ainsi, s’exprimait Jacques Chirac à l’assemblée plénière du 4ème sommet de la Terre à Johannesburg, le 02 septembre 2002. 16 ans déjà !

Malgré les climato-sceptiques et autres lobbies liés aux énergies fossiles, nous en connaissons les causes principales, avec la production des GES et de CO2 en particulier, et les remèdes : modifier le « bouquet » énergétique en développant les énergies renouvelables mais aussi, et surtout, car les énergies renouvelables n’y suffiront pas, diminuer notre consommation en ciblant prioritairement, par souci d’efficacité et d’efficience, les secteurs les plus gourmands en énergie, le bâtiment et les transports.

Or, en Europe, le bâtiment représente 40% de la consommation totale et 36% des émissions de GES. Et l’ordre de grandeur est le même pour les transports.

Deuxième constat : Nous sommes tous concernés, mais pas de la même manière.

En effet, en matière de transports, cela nous impacte bien évidemment dans nos modes de vie et nos choix de consommateurs et notamment, dans l’usage que nous faisons de la voiture pour des déplacements individuels. Le changement de comportement a sans doute commencé avec le développement des circuits courts, d’une part et d’autre part, avec la pratique du co-voiturage et une approche plus fonctionnelle et moins personnelle de notre « chère » voiture mais il prendra d’autant plus de temps qu’il sera vécu comme une contrainte à mettre au débit d’une écologie punitive. En outre, l’augmentation des prix du logement dans les centres-villes et les métropoles oblige les moins fortunés à s’éloigner de plus en plus de leur lieu de travail dans des zones moins desservies par les transports en commun. Les déplacements domicile-travail ne sont donc pas près de diminuer ni en temps avec les engorgements quotidiens de toutes les villes ni en distance et, si des élu(e)s, plus visionnaires et plus volontaristes que d’autres, prônent d’ores et déjà l’interdiction de circuler pour véhicules diesel et leur remplacement par des véhicules électriques ou hybrides, gageons que cette transformation prendra quelque temps pour aboutir.

En revanche, il n’en va pas de même en matière de logement car nous vivons, pour la majorité d’entre nous, dans des passoires à calories (¾ du parc immobilier existant est en classe D, E, F ou G)[i]. Nous en payons donc directement les conséquences, en termes financiers bien sûr, au point qu’un ménage sur 5 est désormais en situation de précarité énergétique. Mais les pénalités ne sont pas que financières, car l’insalubrité liée à l’absence de chauffage entraîne également une dégradation de la santé des occupants des logements concernés (affections pulmonaires notamment) et le délabrement du bâti lui-même. Il y a donc urgence pour mettre en œuvre des mesures qui permettent à chacun d’accéder, dans un des pays les plus riches de la planète, à un droit aussi fondamental que celui d’avoir un toit et de vivre dans un logement décent.

Troisième constat : une opportunité à saisir

Plutôt que de regarder l’état du bâti comme un écueil et une charge insurmontables, nous pouvons aussi, en changeant de lunettes, regarder le verre à moitié plein et constater alors que la rénovation et la réhabilitation des bâtiments a des effets immédiats sur l’emploi. C’est même le secteur d’activité qui utilise le plus de main d’œuvre par euro investi (3 euros sur 4 sont des dépenses de main d’œuvre). Cette création d’activités et de richesses nouvelles est au bénéfice direct de nos territoires de vie, d’une économie réelle, de proximité, non délocalisable et des entreprises implantées sur ces territoires et en particulier de nos artisans, la majorité des travaux étant à leur portée dans des logements en majorité individuels. En outre, la rénovation a aussi des effets sur la valeur du patrimoine bâti et l’image du territoire, et, last but not least, sur la qualité de l’air que nous respirons.

Bref, de quelque côté que nous nous tournons, nous ne sommes plus ici dans l’écologie punitive mais dans une situation de gagnant-gagnant pour nous, pour nos territoires et pour la planète que nos enfants et petits-enfants nous ont prêtée.

Et pourtant, ce gigantesque marché de la rénovation (24 MDS € dans l’ex région Nord pas de Calais pour le seul parc privé individuel) reste encore, pour l’essentiel, à l’état de potentiel et les politiques publiques et les différentes réponses mises en œuvre par les Etats membres ne suffisent pas pour atteindre les objectifs fixés et pour que les maîtres d’ouvrage privés « passent à l’acte ».

Et si on n’avait pas tout essayé ?

Toutes les mesures qui ont été mises en œuvre reposent jusqu’alors sur deux des trois piliers de l’économie, le marché, d’une part et la redistribution, d’autre part avec une intervention massive des politiques publiques sous différents formes, dans le parc privé comme dans le parc social mais elles font l’impasse sur la citoyenneté économique et l’apport en industrie des ménages qui certes, n’apparaît pas dans le PIB mais peut cependant constituer une réponse pour préserver la planète et une solution pour créer de l’emploi.

Ainsi, tous les travaux qui ont été entrepris l’ont été pour les gens mais rarement, beaucoup trop rarement, avec eux.

Pour ce faire, l’Etat intervient soit directement par des subventions versées aux maîtres d’ouvrage soit par des exonérations fiscales sur les matériaux utilisés et les travaux effectués. On peut ici citer sans prétendre à l’exhaustivité la TVA à taux réduit à 10 % « pour relancer l’emploi » et pour tous les travaux de réhabilitation, à 5,5% pour ceux ayant trait à l’isolation (quand bien même cela concerne surtout les portes et les fenêtres alors que les pertes en calories concernent d’abord la toiture), des aides de l’ANAH (Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat) pour les propriétaires occupants, sous condition de ressources ou pour les propriétaires bailleurs qui conventionnent avec l’Etat ou encore des moyens déployés sur les quartiers dégradés dans le cadre de la Rénovation Urbaine. Les territoires ont aussi été mis à contribution et, in fine, beaucoup d’argent public a été englouti dans des opérations dont le Conseil d’Etat dit lui-même, dans son rapport sur le droit au logement, qu’elles ont une durée de vie limitée. En outre, les moyens publics étant de plus en plus limités, il est clair que la procédure retenue ne pourra répondre à l’ensemble des besoins exprimés.

Et si on faisait autrement en intégrant les habitants au processus de rénovation, en faisant avec eux, en les considérant non pas seulement comme des consommateurs mais comme des producteurs, comme des ressources qui permettent de faire ensemble, entreprises, territoires et citoyens, plus que ce que chacun peut apporter séparément ?

C’est le pari que nous prenons : en associant tout au long du processus propriétaires comme locataires, en les impliquant concrètement dans les choix et la mise en œuvre des matériaux, en les accompagnant physiquement jusqu’au pied du mur par des professionnels qui garantissent la réalisation des travaux dans les règles de l’art, on crée les conditions d’un passage à l’acte et du déclenchement de travaux qui n’auraient pas vu le jour, on crée aussi les conditions d’un usage pérenne et de la maintenance d’un habitat approprié par ses occupants. Nous appelons cela l’auto-réhabilitation accompagnée (ARA).

L’idée n’est pas nouvelle et après la deuxième guerre mondiale, les Programmes d’Action Contre les Taudis (PACT) qui associaient étudiants et occupants dans des chantiers solidaires pour rénover des logements passablement dégradés procédaient de cette démarche du « faire avec ». Mais depuis lors et jusqu’à présent, les expérimentations qui ont été conduites dans le cadre de l’ARA se sont adressées, pour l’essentiel, à des publics défavorisés[ii]. De ce fait, l’ARA est connotée avec la précarité énergétique de ces publics et considérée comme une réponse sociale aux besoins de ces personnes. Cantonnée au champ du social, l’ARA apparaît d’abord comme une dépense (et non comme un investissement) et une dépense prise en charge essentiellement par la puissance publique dans la mesure où l’objectif premier est de limiter au maximum le « reste à charge » des personnes concernées. Compte tenu du contexte de contrainte budgétaire forte pour l’Etat comme pour les collectivités locales, le développement de cette forme d’ARA sociale, qui se traduira par une augmentation de dépenses sur des budgets en réduction, est donc voué à l’échec s’il se limite à ces seuls publics. Dit autrement, si l’ARA, par ses effets directs en termes de baisse de consommation d’énergie et de transition, peut être une solution pour préserver la planète, elle ne peut se cantonner à cette seule approche sociale.

En revanche, en intégrant l’ARA pour tous les publics dans les politiques publiques co-construites sur les territoires qui le décident, ces territoires se dotent, en leur qualité de maître d’ouvrage, d’un levier supplémentaire pour permettre à tous les habitants de passer à l’acte en étant associés aux mesures prises pour améliorer leur cadre de vie. Ce faisant, ils ouvrent de nouveaux marchés aux entreprises implantées sur ces territoires et aux artisans en particulier[iii].

Les ressources des habitants, leurs compétences et le temps consacré à la réalisation de leur projet constituent alors, non pas une concurrence déloyale pour les entreprises mais au contraire, de nouveaux marchés, créateurs de richesses et d’emplois non délocalisables sur les territoires qui le décident.

Certains l’ont déjà bien compris comme en témoignent les progressions rapides des grandes surfaces de bricolage mais, malgré les conseils prodigués, gratuitement, l’accompagnement du client consommateur s’arrête le plus souvent à la porte du magasin sans garantie de la bonne mise en œuvre des matériaux acquis… avec 20 % de TVA.

Mais la démarche concerne aussi, et de plus en plus, des artisans qui ont compris que la réalisation, avec leur client, de chantiers « hybrides » leur permettait d’avoir accès à de nouveaux marchés et de développer ainsi leur chiffre d’affaires[iv].

Cela étant, « faire » et « faire faire » ne relèvent pas des mêmes compétences et la transmission d’un savoir ne va pas de soi pour tous ces professionnels. C’est pourquoi nous pensons nécessaire de les qualifier et de certifier cet accompagnement des maîtres d’ouvrage privés (AMOP). C’est le sens de la formation qui a été développée par les universités de Valenciennes et du Littoral et qui a vocation à être diffusée par la FedAc pour essaimer sur l’ensemble du territoire national.

Il ne s’agit pas pour nous de prétendre que l’on pourra tout résoudre par l’auto-réhabilitation accompagnée mais, en considérant les habitants comme autant de ressources et de compétences disponibles, on dispose là d’une contribution largement sous-utilisée pour faire levier sur les politiques de rénovation des logements qui sont mises en œuvre et créer sur les territoires qui s’y engagent, les richesses et les emplois qui s’y rattachent.

La planète ne s’en portera que mieux.

Gérard Dechy.