Assemblée nationale des communs à Marseille du 12 au 14 novembre 2021 : du soin aux relations ?

Communs
Assemblée nationale des communs à Marseille du 12 au 14 novembre 2021 : du soin aux relations ?
 
Près de 200 personnes se sont réunies le week end dernier à Marseille, autour d’une accroche : Rendez-vous avec nos imaginaires ! Et ils sont nombreux les imaginaires autour des Communs. Certains se nomment « Communers », d’autres sont porteurs d’initiatives et animateurs de dynamiques locales dans des champs très variés, alimentation, médias, juridique, économie, numérique ou culturel. Beaucoup ont conscience de contribuer à un mouvement plus profond qui questionne la transformation de notre société et son organisation autour de la polarité public/privé. Tous se reconnaissent dans ce besoin de faire, d’agir sur des chemins de traverse, d’occuper des espaces ou des objets qu’ils ne leur appartiennent pas mais tant pis. Et si l’usage devenait producteur de normes ?
 
Communs, de quoi parle-ton ?
Mais avant de pouvoir présenter les principaux chantiers ouverts par l’Assemblée des communs de Marseille, de quoi parle-t-on ? 
Cette notion est encore très vaste et assemble des pratiques et théories quelques fois contradictoires, en fonction de son regard et de sa pratique. Pour poser un premier cadre, nous allons nous appuyer sur une définition produite par l’une des premières communautés autour d’un Commun planétaire et immaterielle : Wikipedia.[1]
 
« Les communs sont des ressources partagées, gérées et maintenues collectivement par une communauté ; celle-ci établit des règles dans le but de préserver et pérenniser ces ressources tout en fournissant aux membres de cette communauté la possibilité et le droit de les utiliser, voire, si la communauté le décide, en octroyant ce droit à tous. Ces ressources peuvent être naturelles (une forêt, une rivière), matérielles (une machine-outil, une maison, une centrale électrique) ou immatérielles (une connaissance, un logiciel). 
Les communs impliquent que la propriété n’est pas conçue comme une appropriation ou une privatisation mais comme un usage. » Comment ces pratiques peuvent, peu à peu, questionner l’organisation de notre société et la manière de vivre ensemble ?
 
Des racines profondes
Ce mouvement, s’il est récent, s’appuie sur une culture séculaire. Olivier nous l’a rappelé chaque jour, les sections de communes[2] existent depuis des siècles et notamment pour la gestion et l’usage de nos terres dans une France rurale et féodale. Et encore aujourd’hui même si une loi de 2013 en France interdit d’en créer de nouvelles.[3] 
Elinor Ostrom en travaillant la théorie de l’action collective et la gestion des biens communs et des biens publics a mis en valeur cette réalité : depuis la préhistoire et par le monde, les groupes humains ont réussi à développer des systèmes de gestion collective de ressources (terres cultivables, ressources en gibier, en poissons, en bois, et en eau potable ou d’irrigation notamment) sans le besoin d’un Etat ou de puissances normatives publiques. Elinor Ostrom a été en 2009, la première femme à recevoir le « prix Nobel » d’économie (avec Oliver Williamson) « pour son analyse de la gouvernance économique, et en particulier, des biens communs ».
 
Une nouvelle dynamique
Ce mouvement est apparu depuis une trentaine d’années à partir d’usages : des artistes ocucupent des friches pour en faire leur espace de travail et souvent leur espace de vie, croisant squat et création. Les pratiques numériques ont permis de développer un milieu d’acteurs qui développent des projets « non propriétaires », les logiciels libres deviennent ainsi des éclaireurs d’autres manières de penser ce droit de propriété qui structure nos vies. Les licences libres avancent sur les enjeux de la propriété intellectuelle. Les paysans reprennent le contrôle de leurs semences. Des riverains protègent des terres pour qu’elles conservent leur biodiversité et leur usage familiale face à la prédation de promoteurs spéculateurs. Ce mouvement est multiple et tous ne parlent pas de Communs. Pourtant, il est nécessaire de visibiliser ces liens, cette histoire commune comme ces histoires singulières pour commencer à prendre conscience et faire communauté, pour se renforcer et croiser expériences et ressources. La particularité de ce mouvement est une attention à la documentation constante du processus. Il y a donc un certain nombre de sites de références qui permettront aux lecteurs de cheminer dans la richesse des références, tant théoriques que pratiques. Commençons par le site de l’Eccap avec l’apport de Jean-Benoît Zimmerman[4] qui retrace les principaux enjeux des Communs. La première plateforme multimedia ouverte et collaborative sur les communs est portée par l’association RemixTheCommons[5] qui a été l’une des organisatrices de l’Assemblée des communs à Marseille. L’autre site de référence est le wiki des communs[6] : une porte d’entrée vers de nombreux sites et ressources à l’échelle internationale.
 
Les communs, des communes ?
Les premières assemblées des communs[7] se constituent à l’échelle locale par des « porteurs de communs » : tiers lieux, lieux intermédiaires, foncière comme terre de liens, jardins partagés, développeur de logiciels libres, monnaies complémentaires, régie de quartier, université populaire…Le premier besoin est de répertorier et de diffuser les expériences afin de favoriser les liens entre elles et vers de nouveaux acteurs. A partir d’événements, Brest en communs en 2013 puis le temps des communs en 2015, cette communauté se rencontre, des liens se nouent entre des pratiques et des premiers auteurs qui tentent d’apporter un outillage conceptuel. A Marseille, c’est en novembre 2015 que les premières pierres sont posées. Mais si beaucoup sont dans cette culture de la marge, de l’expérimentation, de l’occupation d’espaces sans normes ni conventions, peu le revendiquent comme des communs, peu sont en relations les uns avec les autres, la plupart sont fragiles et peuvent disparaître à la première difficulté, interne, ou externe quand l’institution se réveille et souhaite « normaliser ». Cet enjeu de solidarité commence à consolider des relations entre des acteurs qui ne font pas la même chose, qui ne sont pas issus du même milieu, qui ne partagent pas la même histoire à l’engagement, à la politique, à la transformation de la société…même si peu à peu, cela prend sens et devient même une évidence. 
 
Questionner les institutions et s’appuyer sur la norme
Les liens entre « commoners » permet de construire des stratégies et des actions de plaidoyer face à des institutions qui, souvent, restent dans une logique gestionnaire avec leur seul outil : la norme juridique. Or, même sur cette question du droit, l’assemblée commence à travailler.
C’est d’ailleurs la colonne vertébrale de cette Assemblée des communs à Marseille, une nouvelle approche de l’usage du droit pour faire levier et penser autrement nos stratégies. 
Depuis le Commons Camp en janvier 2019 à Marseille, un laboratoire d’entraide juridique pour les communs[8] a vu le jour. Et des alliés dans les institutions démontrent que les lignes bougent, et les imaginaires aussi. L’expérience coordonnée par la 27ème Région, labo d’innovation publique, autour d’un programme « les juristes embarqués » commencent à porter ses fruits.[9]
 
D’un territoire subi au territoire sensible : ressentir Marseille.
Aujourd’hui, la communauté reste d’une grande diversité mais l’enjeu politique de la transition vers une autre organisation de nos sociétés et notre rapport au vivant est un socle. Durant cette assemblée, les grands réseaux autour des enjeux alimentaires, agriculture et biodiversité (Terres de liens, Semences paysannes…) se sont croisés avec des réseaux plus urbains, des acteurs de communs « immatériels » (Framasoft,…). Nous avons souhaité permettre des rencontres entre les participants et des initiatives marseillaises. Ainsi le vendredi, de très beaux moments ont pu se vivre à l’Auberge des femmes à Bonneveine autour des enjeux de l’hospitalité[10], les enjeux de la santé dans les quartiers populaires à partir de l’expérience d’Air Bel et de l’association « Il fait bon vivre dans ma cité » avec Jamila Haouache ou les enjeux d’auto-organsiation des services de soins avec l’expérience de la maison régionale de la santé à Malpassé où l’association SEPT (Santé Environnement pour tous) nous a reçu avec Yazid Attalah qui a partagé son expérience des dernières années. La santé comme bien commun devient un combat dans ces quartiers populaires malgré un système de soin réputé exemplaire. Autre expérience d’un commun marseillais en construction : l’expérience de l’association Noailles Debout au Musée d’histoire de Marseille avec le soutien d’Hôtel du Nord pour conserver les traces de l’histoire de ce quartier et notamment de mettre des mots sur les traumatismes de ces habitants depuis le 5 novembre 2018[11]. Le patrimoine vivant a sa place au Musée qui doit redevenir une vitrine de nos modes de vie, de ces cultures qui fabriquent Marseille. Ce commun partagé est un long processus que l’institution a décidé d’accompagner pour que les habitants de Marseille y prennent place. 
Une découverte de Marseille dans le sens de la pente.
Le rapport au territoire devient central et au-delà de ce mot, c’est l’expérience du territoire que nous avons voulu faire vivre. Au côté d’ateliers de production juridique le samedi, nous avons construit une balade atelier allant de l’Estaque chez Thalasanté [12], 21 ans de convention temporaire avec le port autonome de Marseille qui leur demande en trois mois de quitter les lieux ; à Miramar, espace vert racheté par un industriel qui veut y entreposer des conteners alors que c’est le seul poumon vert du quartier, au terrain d’aventure aménagé par des mamans de la Cite de la Castellane pour leurs enfants et finir à Foresta, parc urbain où les usages depuis 3 ans permettent d’imaginer une suite possible même si le foncier appartient à un promoteur. Toutes ces initiatives questionnent la place des usages face à des propriétaires publics ou privés. Elles interrogent de nouvelles manières d’imaginer les normes, les gouvernances et les formes de « gestion » de ces lieux pour en faire des formes de « vie » en communauté ouverte et partagée.
De cette balade atelier, que nous avons nommé « le sens de la pente », il en est resté une lecture de Marseille qui a marqué chacun, entre mer et colline, entre chemin et autoroute, entre village et cité, entre artisanat et Grand Littoral, le plus grand centre commercial de la région…Ce concentré de Marseille a donné à chacun une énergie et un désir de se retrouver le lendemain pour instituer une assemblée nationale des Communs. 
Une assemblée instituante pour prendre soin d’un processus de transformation 
Cette rencontre à la Friche Belle de mai a permis de lancer des chantiers ouverts autour d’expérimentations sur les enjeux alimentaires, la poursuite du labo juridique, la question foncière, et le « comment des communs », quelle forme doit prendre cette assemblée pour conserver une dimension instituante et rester un espace structurant de liens et non un espace de liens structurés. 
Beaucoup de questions sont posées mais c’est aussi la meilleure énergie pour se dire à bientôt pour contribuer à y répondre et de conserver une attention aux liens, un soin aux relations.
 

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Communs – Article très complet sur cette notion.
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Section_de_commune_(France)
[3] http://sectiondecommune.free.fr/position.htm
[4] https://eccap.fr/article/lescommunsdesjardinspartagesawidipedia/5fc20afa4da2390015b14e80
[5] https://www.remixthecommons.org/fr/
[6] https://wiki.lescommuns.org/wiki/Accueil
[7] https://assemblee.lescommuns.org/
[8] https://wiki.remixthecommons.org/index.php/Laboratoire_d%27entraide_juridique_pour_les_communs
[9] https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/juristes-embarques-la-creativite-reglementaire-pour-les-tiers-lieux-createurs-de-communs-510
[10] https://marcelle.media/2021/03/08/hebergement-femmes-vulnerables/
[11] https://www.hoteldunord.coop/rue-des-musees-musee-de-la-rue-prendre-place-acte-i/
[12] https://marseille.love-spots.com/adresses/sport-detente-coworking/coworking-marseille/111096-thalassante.html