Adresse aux amis convivialistes

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Adresse aux amis convivialistes[1]
Suite à la réunion du 17 décembre à Paris, j’ai souhaité diffuser une adresse à mes amis convivialistes qui peuvent contribuer aux dynamiques de confluences. 

Voilà quelques axes à partager ensemble et plus largement.  Merci de vos retours[2]
Notre raison d’être. Rendre crédible un autre avenir possible

« La désinformation et les fantasmes prospèrent dans des sociétés en crise… Ils créent des mythes précisément où nous aurions besoin de dessiner un futur désirable et atteignable collectivement ».[3] C’est sans doute une condition nécessaire si nous voulons éviter que des électeurs qui votaient autrefois pour les communistes ou les socialistes et votent aujourd’hui Rassemblement National, votent à nouveau « à gauche »[4]. Condition nécessaire aussi pour persuader les abstentionnistes que cela vaut la peine d’aller voter à gauche. 

Pour ce faire il est souhaitable de travailler sur les « mesures basculantes » proposées par A. Caillé dans son texte « Si j’étais candidat » et de les comparer aux 10 propositions de Paul Magnette [5], de les comparer aussi au « Manifeste juste, ouvert et féministe » d’Oxfam France du 9 déc. 2021, pour une autre législation concernant les droits d’héritage[6] , de reprendre les propositions qui permettent de ne pas laisser à 10 milliardaires français la main mise sur les médias etc.

La préparation d’un programme rendant crédible un autre avenir possible supposerait de ne pas avoir peur de mettre sur la table et de débattre des questions qui divisent la gauche : le nucléaire, l’immigration, le revenu universel, les ventes d’armes. Ces questions pourraient donner lieu à des débats entre nous. Les questions géostratégiques sont d’autant plus importantes qu’elles obligent à affronter le Rassemblement National qui est aux portes du pouvoir et à discuter sur l’idée que l’on se fait de l’Europe avec la France Insoumise par exemple.  

Il y a donc tout un travail à envisager pour élaborer des documents adaptés à divers publics qui tous auraient pour objectif de « rendre crédible un autre avenir possible » et qui serviraient à de futurs candidats aux élections. Autrement dit, sans nous engager directement dans les échéances politiques qui relèvent des partis, nous pourrions contribuer efficacement à orienter leurs programmes. 

C’est l’un des enjeux exprimés le 17 décembre : comment organiser des temps de rencontres autour de ces sujets, points aveugles ou impensés, avec la plus grande diversité de points de vue et des polarités en conditions intelligibles d’expression : les principes d’action des convivialistes en actes.

1 – Etablir une cartographie des mouvements s’orientant vers un changement de cap
C’est une des actions importantes partagées depuis quelques mois. Un groupe s’est engagé le 17 décembre. La première étape entreprise est de relier déjà les initiatives similaires et donc les énergies et les expériences. Avec cette cartographie, nous pourrions rendre visible et lisible leurs moyens, leurs forces, leurs objectifs et ce qui leur manque pour progresser (moyens financiers et humains, règlementation etc.). Quels champs couvrent-ils ? Dans quelle mesure s’orientent-ils vers un changement de cap ? Une telle cartographie représente un travail considérable, à vrai dire si gigantesque que l’on a peine à imaginer ce qu’il pourrait être. Il n’y a pas de « livrable final », cela restera un processus en cours, et d’abord un excellent prétexte pour créer du lien, utile dès les premiers instants et le plus longtemps que nos ressources le permettront. 

2 – Définir des cibles. Pour qui et avec qui, nous nous mobilisons ?
Nous avons déjà noté : ceux qui autrefois votaient socialistes ou communistes et qui votent aujourd’hui Rassemblement National ; ainsi que les abstentionnistes. Il faudrait aller beaucoup plus loin dans la définition de cibles. Comment toucher par exemple les jeunes ou moins jeunes tentés par l’islamisme en leur montrant tout l’intérêt de la conception de la laïcité en France ? Comment concerner les enseignants ? Sur certains sujets, tenir compte du fait que les clivages politiques ne jouent pas ou sont secondaires. Voir par exemple le rapport sur la pornographie signé par quatre sénatrices d’horizons politiques opposés, ou un ancien rapport sur la Seine St Denis qui dénonçait les inégalités dont souffrait la population dans l’accès aux services publics.

Il est probable que nos formations actuelles ne permettent pas de toucher un public populaire. Et pourtant cette cible est indispensable car au-delà de nous sortir de nos zones de confort, ce sont les premiers concernés par les inégalités sociales et territoriales. Des expériences nombreuses existent, comme la coordination Pas Sans Nous, les projets d’Ulysse Rabaté, le Bondy Blog, le RECCA (Réseau des Cafés Culturel et Cantines Associatifs), des initiatives comme les Tables de quartiers à Marseille… Quelles alliances pourrait-on alors envisager ?

3 – Définir les moyens financiers et moyens de diffusion 
Si nous nous engageons dans un processus, nous devons alors imaginer les moyens de le documenter pour le diffuser et pour qu’il puisse être un objet constant de partage d’expérience : quels moyens écrits ou audio-visuels, des films, bandes dessinées, des plateformes numériques comme le projet de l’ECCAP en communs, des tribunes dans des quotidiens : Le Monde, Libération, La Croix, dans des hebdomadaires et revues.  Envisage-t-on de diffuser dans les réseaux sociaux, et dans quelle mesure ose-t-on affronter la question des influenceurs ? Quelles sont les formations ou lieux de débat qui existent dans nos réseaux ? Peut-on envisager un ou des programmes de formation au service de notre ambition ? Quels publics touchent les formations dans nos réseaux ? 

Nous ne pouvons pas sur chaque thème réunir une convention citoyenne, ce serait trop coûteux, mais pourquoi ne pas passer commande à des chercheurs ou leur demander de faire la synthèse de leurs travaux ? La force des convivialistes est son réseau universitaire, comment réfléchir à en optimiser son potentiel de relais, d’influence et de leviers ?

4 – Sur la place des convivialistes 
Depuis quelques mois, nous partageons un même constat sur la place des convivialistes dans le débat public et leur capacité d’influer sur les décisions politiques et les politiques publiques. Nous regrettons de rester dans une forme d’entre soi d’intellectuels alors que notre volonté est bien de développer nos idées au-delà de nos cercles et de diffuser les principes convivialistes.

Les diffuser à qui, pourquoi et comment ? Il me semble que nous commençons à y répondre en partageant cette exigence avec d’autres et l’initiative initiée avant Sète, puis le texte issu de cette rencontre de l’Université d’été d’Utopia comme les suites définies le 17 décembre à Paris vont dans le bon sens. 

Pour reprendre l’imaginaire d’Edouard Glissant, il y a la nécessité de conserver notre identité racine de convivialistes au regard de notre Second Manifeste mais il y a aussi une urgence à déployer nos identités relations. Et là-dessus, bien plus que tous les autres réseaux réunis, nous avons un réseau relationnnel riche, dense et j’imagine aussi, très différent en fonction autant des disciplines dans lesquelles nous exerçons que sur les territoires dans lesquels nous vivons et nous nous engageons. Le label convivialiste répond d’abord à notre identité racine, il me semble que nos savoirs et nos expertises sont reconnues. Affirmer que chacune et chacun agit et pense dans une inspiration convivialiste est utile mais à la condition de la mettre au service de quelque chose de plus grand que nous.

Nous l’avons exprimé et écrit : nous devons être au service des plus jeunes générations. Nous devons maintenant réfléchir aux conditions concrètes de cette transmission. Il me semble qu’elle peut être triple :

– Une transmission de savoirs et d’expériences, et le travail engagé depuis Sète doit se poursuivre autour des retours d’expériences alimentées par des savoirs plus théoriques dont nous pouvons imaginer des formes de diffusion moins académiques et plus dans un esprit d’éducation populaire et dans des codes accessibles aux plus jeunes, un sacré défi !
 
– Une transmission de notre capital relationnel et d’influence. Nous avons tous un carnet d’adresse, certes il se croise pour beaucoup mais si nous commencions par cartographier nos propres réseaux, nous serions agréablement surpris. Et ce capital est aujourd’hui dense mais sa richesse se perd jour après jour, c’est la loi de la vie et du grand remplacement ! Comment, pour qui, à quelles conditions, sur quel objet concret de coopération, nous devons nous mettre à disposition des initiatives émergentes qui ne demandent qu’à se renforcer. Nous pouvons avancer là-dessus très vite. Mais comment ? C’est l’enjeu de la troisième transmission. 
 
– Une transmission d’un capital économique, un patrimoine plus classique dirait certains. Au-delà des deux premiers patrimoines immatériels, de savoirs et relationnel, nous avons aussi les moyens de lancer une campagne pour mobiliser du patrimoine matériel, ce que nous appelons plus prosaïquement, des sous ! Mathidle Imer l’a bien exprimé à Sète, la Primaire populaire s’est déployée aussi en mesurant bien cet enjeu. Il ne doit pas avoir de sujet tabou sur cette question. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui que de nouvelles générations pensent autrement leurs conditions d’existence et leur rapport à leurs besoins. Beaucoup s’engagent en inventant leur métier, et leur modèle économique. Ils mettent en œuvre ce que nous avons défendu depuis des années autour de la pensée de Karl Polanyi. Une économie plurielle croisant, moyens financiers, moyens relationnels, solidarité, don contre don…

Au sein de l’Eccap, j’ai pris l’initiative avec Florine et Pierre-Alain, de créer un fonds de dotation afin de rendre concret la possibilité de recueillir des moyens financiers pour organiser le développement de notre projet. Depuis Sète, l’Eccap est devenu une pirogue, et nous l’avons appelé « l’Eccap en communs » pour mettre ce projet au service des confluences et nous allier avec d’autres réseaux qui agissent déjà et souhaitent partager nos réflexions et nos actions pour expérimenter ensemble.

Ce fonds peut être un outil avec d’autres pour imaginer l’organisation et l’animation des futurs temps de rencontres à organiser ensemble. Les propositions et les pistes de travail exprimées depuis quelques mois dans le cadre de l’archipel des confluences me paraissent suffisamment intéressantes, coproduites avec épreuves et nombre d’étapes dont la dernière le 17 décembre. Elles pourraient suffire à remplir notre année 2023 et permettre aux convivialistes de trouver des perspectives collectives, concrètes et utiles.

Nous avons un engagement avec les autres réseaux mobilisés me semble-t-il depuis quelques mois, et dont le 17 décembre a été une étape. Le lien tissé avec les Colibris, le réseau des Licoornes, et d’autres initiatives doit se poursuivre car nous devons être utile au renforcement de ces nombreuses initiatives locales de transition qui expérimentent déjà une société que nous désirons pour nos enfants. 

Nous mesurons leur force dans leur nombre, leur richesse et leur dynamique mais aussi leur faiblesse dans un risque d’épuisement si cette multitude ne produit pas un changement plus systémique. Un changement radical indispensable aussi pour les premiers concernés par les inégalités et la pauvreté, au sein de nos quartiers populaires urbains comme dans nos campagnes isolées.

En tant que convivialistes, nous devons aujourd’hui plus qu’hier se mettre « au service de » : mettre en acte le don contre don comme nos principes d’actions du Second Manifeste.

Ce sont mes vœux partagés pour cette année 2023, une année utile à nos combats.

Convivialement,
Guy Roustang.

[1] https://convivialisme.org/
[2] Alain Caillé, leader des convivialistes a répondu : « Merci cher Guy, tes propositions me paraissent totalement judicieuses et bienvenues ».
[3] Constat de A. Mansuy, in AOC, 30 nov.2022
[4] Voir les analyses de F.Ruffin : « Je vous écris du front de la Somme » Ed. Les liens qui libèrent, sept. 2022, et Paul Magnette : « La vie large », Ed. La Decouverte, oct.2022, p.167. 
[5] Voir les dix propositions « qui n’ont d’autre ambition que d’ouvrir le dialogue » de Paul Magnette, p.253.
[6] Voir Clément Dherbecourt : Comment réformer la fiscalité des successions, in France-Stratégie.Janvier 2017.