Accompagnement scolaire

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J’ai été responsable pendant 20 ans du plus important secteur d’accompagnement scolaire du département des Bouches du Rhône, au Jas de Bouffan à Aix-en-Provence. Cette activité d’accompagnement à la scolarité a été lancée en 1981  après le constat suivant : parmi les jeunes 16 à plus de 20 ans qui fréquentaient le centre social, un seul suivait un « cursus normal » et préparait le BEPC. A cette époque, tous les autres étaient scolarisés en classe CES, CPPN, CPA et les plus de 16 ans disaient n’avoir pas mis le réveil matin le jour de leurs 16 ans, et dit : « ouf ! L’école ». Beaucoup revendiquaient « avoir fait un séjour à l’ombre », dans la case prison. Pour rompre ce cercle infernal, il fallait prendre en charge les petits.

En vingt ans, nous avons accueilli plus de 900 enfants et adolescents. Tous appartenaient à des familles souvent illettrées ou analphabètes qui ne pouvaient pas les aider dans leur scolarité. Si l’entrée au CP est une joie pour la famille, un espoir pour les parents, le découragement s’installe souvent dès fin septembre chez un enfant qui n’est pas aidé chez lui pour faire sa lecture. La réflexion d’une maman illustre ce constat « Je suis bête d’y avoir cru, mon aîné n’a pas réussi, mon second n’a pas réussi, mon troisième, mes neveux et voisins n’ont pas réussi et j’ai cru que celui-ci y arriverait ». Mais en définitive, cet enfant une fois aidé y est bien arrivé.

J’ai pu constater que parmi les enfants que nous avons aidés :

  • Trois seulement à ma connaissance, ont fait un court séjour en prison ce qui n’était pas le cas de leurs aînés, cousins, voisins.
  • Parmi eux peu de chômeurs.
  • Au moins ¼ d’entre eux a suivi des études très longues, plus d’un autre quart des études longues et les autres ont passé un CAP, un BEP, un BTS. Seuls quelques-uns ayant de réelles difficultés de compréhension ont suivi un enseignement spécialisé. Devenus adolescents ou adultes, ils n’ont pas eu besoin d’être délinquant car à leurs yeux ils ont de la valeur, ils se sont battus et ont obtenu un diplôme. Ils peuvent utiliser les mots plus que les poings pour confronter leur pensée à d’autres.

Une mère parlant de son aîné sorti de l’école à 16 ans sans qualification, qui ne trouvait que de petits contrats disait « Il n’a pas eu de chance il est né trop tôt », alors que les suivants avaient pu bénéficier d’un accompagnement scolaire. Et en effet la seconde a fait un master de macro économie et un DESS banque, la troisième est médecin spécialiste, le quatrième est ingénieur et a encore poussé ses études.

 

Justifications par les enfants de leur échec scolaire, puis de leur réussite.

  • Si je questionnais des grands, qui ont maintenant bien réussi, sur leur ressenti lorsqu’ils étaient en échec en classe, tous échafaudaient une justification :

–  Mon grand-père ne savait pas lire, mes parents ne savaient pas lire, c’était normal que je n’y arrive pas, mes enfants n’y arriveront pas, c’est de famille ».

– « Je croyais que je n’y arrivais pas parce que lorsque j’étais petit, je suis tombé sur la tête ».

– « Pour les autres je voyais que c’était facile et moi je ne comprenais pas, je n’étais pas intelligent. A 11 ans B connaissait 6 lettres et 4 chiffres. Après avoir découvert la raison du blocage il a rapidement progressé.

Tous parlent aussi de leur souffrance, des blessures reçues dans ce domaine, à l’école et hors de l’école.

 

  • Quand j’ai demandé à des anciens : « qu’est-ce qui vous permis de vous mettre à travailler en classe» ? Ils m’ont alors dit :

–       « Un jour quelqu’un a cru en moi » (dans ou hors de l’école)

–       « Vous m’avez persuadé que moi aussi j’étais capable d’y arriver »

–       « Vous m’avez consacré du temps ».

 

Nous avons constaté qu’à mesure que ces enfants et adolescents en échec retrouvent confiance en eux, à mesure qu’ils progressent dans leurs savoirs, les troubles caractériels, leur instabilité… diminuent et ils cessent de perturber les classes.

En évitant l’échec scolaire et la perte de confiance en soi, nous favorisons aussi une insertion professionnelle (difficile sans habitudes de travail…) et favorisons une meilleure prise en charge de leurs enfants.

 

Attitude de ces enfants et jeunes face aux tâches scolaires :

–       Ils acceptent de ne pas comprendre ce qu’ils lisent, ce que l’enseignant dit… Un pas est franchi lorsqu’ils ne l’acceptent plus et osent questionner l’adulte.

–       Ils ne sont pas curieux d’où l’importance d’aménager aussi des temps de découverte (auxquels les parents sont invités) sur n’importe quel sujet, de les sortir du quartier et de la ville, de leur faire découvrir le plaisir de lire, de côtoyer l’art… d’apprendre à bien utiliser la télévision et dans ce domaine encore, il faut travailler avec les parents qui sont prêts à beaucoup pour leurs enfants. Même s’ils sont analphabètes ou illettrés, ils peuvent les aider, en les sortant, en gérant leur face à face avec la télévision, en parlant avec eux…

–       Leurs connaissances sont morcelées, il faut les aider à refaire un lien entre les mathématiques, un événement historique, la géographie…

–       Ils ne savent pas qu’ils peuvent réfléchir par eux-mêmes. Par exemple : au début, les rédactions sont souvent plus courtes que les sujets. En leur demandant de préciser une phrase, une remarque… ils sont étonnés de voir le texte s’allonger et prennent alors plaisir à ce travail.

–       Ils essaient de deviner pour arriver eux aussi à donner une bonne réponse. Il faut alors les inviter à se mettre dans la peau d’un détective, comprendre l’énoncé d’un problème et cerner l’énigme à résoudre, répertorier les éléments connus et trouver comment s’en servir pour y parvenir. Entre autres, les fascicules de Nicole Picard et le merveilleux livre des « 100 problèmes du petit poucet  (livre épuisé)» qu’un enfant de maternelle peut résoudre nous ont bien servi pour faire tomber les blocages face à un énoncé. Et cela, même pour des collégiens de 6ème. Ces enfants peuvent ensuite constater qu’à leur niveau l’énoncé est plus long…

–       En français aussi il faut les pousser à se questionner. Quel est l’article, le pronom qui m’aide à trouver la terminaison. Est-ce qu’un autre mot de la même famille me donne des indications sur la terminaison… (Nous avons créé pour cela un logiciel qui a aidé bien des « allergiques » à l’orthographe. Grands et petits, jeunes sortis de l’école sans qualification et adultes l’utilisaient avec plaisir. Il faudrait reprogrammer ce logiciel pour les systèmes informatiques actuels, celui-ci et même d’autres qu’ils utilisaient volontiers et conçus pour leur faire gagner temps et s’adapter au niveau de chacun.

(ces logiciels sont à reprogrammer pour les ordi actuels, si quelqu’un est prêt à le faire, nous donnons tous les éléments nécessaires)

 

Si les premières années, matériel, cartes bleues, vestes de bénévoles, dictionnaires… disparaissaient à l’accompagnement scolaire, ce n’était plus le cas au bout d’un certain temps.

Le premier enfant accueilli était au CP, volait partout de petits objets. Je n’ai pas laissé passer le 1er vol chez nous. J’ai longuement échangé avec lui puis avec sa maman, je l’ai exclu une semaine avec un retour possible dont nous serions ravis mais avec l’engagement de ne plus voler.

Cet enfant a vite progressé dans ses acquisitions, est devenu très régulier, puis autonome, a obtenu un bac C et je l’ai retrouvé en médecine avec ma fille qui me l’a dépeint comme un jeune extraordinaire. Une année, pour aider à l’animation de la fête de la musique, ce jeune adulte est venu avec sa guitare et a échangé avec le nouveau directeur lui disant « Je dois bien cela au centre social. Il m’a sauvé de la délinquance, de l’échec scolaire et m’a permis d’être digne ».

 

Développement d’autres secteurs que l’accompagnement scolaire des enfants.

–       Les parents ont demandé que l’on s’occupe aussi d’eux et le secteur alphabétisation est né.

–       120 enfants étaient en liste d’attente. Pour ne pas laisser ces familles complètement démunies, nous avons mené 2 actions

  • une pour tous les parents car même sans avoir été scolarisés, tout parent peut contribuer à aider son enfant dans ce domaine. Le pousser à se prendre en charge à la maison aussi, à gérer le choix des programmes de télévisions, le temps de sommeil, à l’obliger à déjeuner avant de partir à l’école, à parler avec lui, le sortir…
  • L’autre pour les parents qui avaient été un peu scolarisés mais ne savaient comment s’y prendre pour aider leurs enfants à faire leur travail scolaire. Une maman aidée m’a dit : « avec les grands c’était une corvée et je devais les gronder sans cesse, je perdais patience, avec celui-ci c’est un plaisir ».

 

Les actions d’accompagnement scolaire et des familles n’ont pas toujours été simples avec les 11 établissements concernés mais souvent en étroite collaboration avec des établissements et enseignants. Un accompagnement des parents vers la rencontre des enseignants a été bénéfique pour tous.

 

Les  dernières années de ma carrière, nous avions pu accueillir jusqu’à 175 enfants et ado, élèves du CP à la terminale. En fonction de leurs besoins et de nos capacités d’accueil, nous les recevions 1 à 5 fois par semaine. L’encadrement était assuré par des bénévoles et surtout par des personnes embauchées en contrat aidé – souvent des jeunes qui préparaient un concours d’enseignant. Malheureusement, l’effectif est à ce jour réduit à quelques dizaines d’enfants et jeunes accueillis car il n’est plus possible de rémunérer le complément des contrats aidés. Sur cet immense quartier du Jas de Bouffan, nous avions 3 lieux d’accueil et avons dû en fermer 2.  En effet la droite, lors de son arrivée au pouvoir en (2002 a coupé les subventions (comme celles d’autres associations du quartier) et n’a pas compris que des dépenses à court terme représentent de sérieuses économies à long terme.

 

 Ces actions valorisent les enfants, les jeunes, les familles, réduisent la délinquance, les problèmes liés à la drogue, les troubles de la personnalité. Devenus adultes, ils prennent en charge l’éducation et la scolarité de leurs enfants… Le dire et le redire, chiffres à l’appui n’a servi à rien et le terrain a été laissé libre pour l’action des islamistes et autres intégristes. La délinquance a remonté dans le quartier alors que, grâce aux différentes actions, elle baissait régulièrement.

 

Nous avons régressé de 20 ans et n’avons pas permis l’intégration sociale de nombreux enfants dont certains, devenus adultes seront très difficiles « à récupérer ».

La marche en avant n’a pas recommencé.

Mireille Batlle