Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens

Démocratie
 
Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens[1],
 
Que devraient nous dire les candidats à l’élection présidentielle de 2022 qu’ils ne nous diront pas, créant ainsi un gouffre béant entre l’offre politique existante et les attentes des Français ? Si je me risque à le formuler à leur place, moi qui n’ai nulle envie de solliciter vos suffrages, c’est parce que, depuis longtemps déjà, je suis atterré de constater à quel point, dans toutes les élections d’importance nationale – les présidentielles, les législatives ou les élections européennes -, aucune des questions les plus importantes n’est posée, de celles que nous nous posons tous sans trop nous le dire. Sans trop pouvoir nous le dire, justement parce que aucun des discours que nous proposent les partis politiques ne les nomme et ne les prend en charge, si bien qu’elles restent largement inconscientes.
Tous, plus ou moins, et plus ou moins bien, se demandent à juste titre: comment augmenter la richesse nationale sans dégrader encore davantage l’environnement? Comment, au contraire, lutter contre le réchauffement climatique? Comment réduire le chômage? Comment enrayer l’accroissement des inégalités? Comment améliorer le fonctionnement des services publics? Comment remédier à la montée des violences, dans la rue ou sur les réseaux sociaux? Quelle politique de l’immigration mener, qui soit à la fois digne et responsable?
Tous ces sujets sont à l’évidence d’une importance capitale. J’essaierai, plus loin, de suggérer quelques pistes de réponse. Mais ce que je voudrais mettre en évidence, c’est que nous n’aurons une chance d’y répondre de manière efficace que si nous osons poser des questions encore plus essentielles, qui viennent en quelque sorte en amont, des questions préalables.
Un candidat à l’élection présidentielle devrait nous expliquer en quoi son programme et le style de présidence qu’il entend assumer pourront contribuer à remédier aux fractures qui minent la société française. Plus profondément encore, il devrait nous fournir les repères qui nous manquent de plus en plus cruellement, et nous dire comment il voit la France et son histoire, avec ses grandeurs, mais aussi ses erreurs, ses faiblesses et ses crimes. Où en est-elle aujourd’hui? Quels pourraient être son rôle et sa place dans le monde de demain? D’où découle une autre question, capitale: quel rôle la France peut-elle et doit-elle jouer en Europe, et, symétriquement, de quelle Union européenne (UE) a-t-elle besoin? Pouvons-nous nous satisfaire de son mode de fonctionnement actuel? Et, sinon, comment tenter d’y remédier? Enfin, autre question préalable, pouvons-nous, devons-nous encore croire en la démocratie et aux valeurs humanistes alors qu’elles sont si fortement menacées et en déclin à peu près partout, sans compter que la numérisation du monde les rend de plus en plus fragiles et hypothétiques?
Toutes questions à poser en lien étroit avec une conscience aiguë de la catastrophe écologique qui nous menace et dont les effets se font déjà largement sentir. A tel point qu’une étude récente menée par l’université de Bath sur 10 000 jeunes (de 16 à 25 ans) de dix pays fait apparaître que 60% d’entre eux souffrent d’éco-anxiété, autrement dit d’un « sentiment de détresse lié aux crises climatiques ». Un projet politique qui ne redonnerait pas à la jeunesse des raisons d’espérer pourrait être électoralement gagnant (les jeunes ne votent pas …), mais il se révélerait vite catastrophique.
Pour finir …
 
Voilà, mes chers concitoyens, ce que je voulais vous dire. Mon sentiment est depuis longtemps qu’il existe un énorme écart entre l’offre politique actuelle et les demandes des Français. C’est de cet écart, sans cesse croissant, que j’ai voulu prendre la mesure, ne serait-ce d’abord que pour mon usage personnel. Si cet éclairage intéresse des femmes ou des hommes politiques d’un parti ou d’un autre, tant mieux. Mais si tel n’est pas le cas, et si, pourtant, mes analyses ne vous ont pas paru dénuées de toute pertinence, la conclusion à en tirer (c’est ma conviction) est qu’il manque dans le champ politique un parti ou une force politique qui se donnerait pour mission de combler ce gouffre qui se creuse entre la politique professionnelle et les citoyens.
 
Les propositions que je vous ai présentées ont été mûries dans le cadre du mouvement convivialiste. Peut-être ce qui nous manque est-il tout simplement un parti convivialiste, ou quelque chose d’équivalent. Un parti qui soit résolument décidé à lutter contre le dérèglement climatique et la destruction de la nature en dessinant les contours d’une société postnéolibérale et post-croissantiste. Mais un parti qui sache en même temps prendre la mesure des contraintes financières, économiques et géostratégiques dont nous ne pouvons faire abstraction et dont nous ne nous affranchirons pas aisément. Un parti, surtout, qui soit particulièrement sensible à l’absolue nécessité de restaurer et d’améliorer la convivance (le« vivre-ensemble»), et de rendre notre vie à tous un tant soit peu plus harmonieuse et coopérative. Sans dresser, systématiquement, donc, une partie de la population contre les autres. En d’autres termes, sans chercher un peu partout des boucs émissaires pour masquer notre impuissance commune face au capitalisme rentier et spéculatif.
Soyons clairs: c’est un peu la quadrature du cercle que nous avons à résoudre. Face aux défis vertigineux qui se dressent devant nous, il nous faut nous montrer les plus proactifs possibles. Tout retard décuple le risque de catastrophes probables.
Un tel parti convivialiste (sous ce nom ou sous un autre) est-il souhaitable? Possible? À de plus jeunes que moi de tester l’hypothèse et de se lancer dans l’aventure. Tout ce que je peux leur dire, c’est que le convivialisme n’appartient à personne, ou alors à tout le monde, à tous ceux qui se reconnaissent dans le constat que le discours politique existant n’est pas à la hauteur des défis de notre temps et qu’il y a urgence. Le convivialisme n’est pas une marque déposée. Sont ou seront convivialistes ceux qui se disent ou se diront tels. Le mot  « convivialisme » ne vous plaît pas? Rassurez-vous, à moi, et à la majorité de mes amis convivialistes, non plus. Mais depuis dix ans qu’il existe, personne n’a encore trouvé mieux. Ou moins mal.
Alors, à vous de jouer, les jeunes. Pendant qu’il en est temps encore, portez-vous candidats à toutes les fonctions, à tous les rôles, à toutes les actions (indignez-vous et redignez-vous) qui permettront aux humains de s’inventer un avenir plus riant que celui qui les menace.
Une forme de regroupement politique possible qui tiendrait compte de votre désaffection croissante envers les partis et le jeu politique classique pourrait être la suivante: non pas créer un parti supplémentaire, fût-il convivialiste, mais rassembler dans une sorte de coopérative citoyenne souple tous ceux qui ont à cœur le souci du bien commun. Cette coopérative ne viserait pas à obtenir des voix à l’occasion d’élections nationales, elle ne tiendrait pas à affirmer à tout prix sa petite différence avec tous les autres partis, mais, au contraire, à rechercher sur quelles mesures essentielles (trois, quatre, cinq?) certains d’entre eux pourraient et devraient absolument se mettre d’accord.
La première d’entre elles pourrait être la mesure 1, « convoquer une assemblée citoyenne constituante», puisqu’elle est la condition de la mesure 2, « réunir une ou deux conventions citoyennes par an», qui elle-même est probablement la condition de l’adoption des autres mesures que j’ai défendues ici. Cette coopérative politique citoyenne pourrait labelliser ceux des candidats présentés par les partis soutenant les mesures qu’elle juge essentielles. L’initiative de la « primaire populaire» qui a réuni de jeunes militants civiques et climatiques refusant de se résoudre à l’absence d’une candidature unique à gauche, et qui a su mobiliser efficacement sur cette idée simple plus de 200 ooo citoyens, pourrait être une bonne rampe de lancement pour une coopérative citoyenne de ce type, et ce, d’autant plus que la mesure 1 est justement l’une des dix mesures qu’elle préconise [2].

Pour finir, pardonnez-moi, je vous prie, le ton un peu grandiloquent que je viens d’adopter. J’essaie simplement de vous dire qu’il ne nous reste que très peu de temps pour éviter les catastrophes et pour inventer autre chose. Quoi ? Comment ? J’ai essayé d’en donner une idée. Si vous en retenez quelque chose, je n’aurai pas perdu mon temps.
 
Alain Caillé
 

[1] Introduction et conclusion du « Manifeste : Alain Caillé. Si j’étais candidat…Pour une politique convivialiste. Ed. Le Pommier, 3,5 euros. 2022 ».
[2] Cette coopérative pourrait ou devrait également être en lien avec
le« Pacte du pouvoir de vivre» qui réunit plus de soixante organisations importantes de la société civile qui se sont mises d’accord sur quatre-vingt-dix propositions.