« La fraude des plus puissants est impardonnable »

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Ce n’est pas moi qui le dis, mais un ministre, Gabriel Attal, ministre délégué aux comptes publics. Un vrai projet de lutte pour la justice sociale et plus d’égalité est-il en cours qui permettrait à Emmanuel Macron de sortir de son impopularité ? Quoi qu’il en soit, goûtons notre plaisir de voir une question importante mise sur le devant de la scène.

Le Président de la République a donc demandé à son ministre Gabriel Attal de présenter un plan de lutte contre la fraude fiscale. Il s’agit « de faire payer ce qu’ils doivent aux ultrariches et aux multinationales qui fraudent »[1]. Comme l’indique le ministre : « chaque fraude est grave, mais celle des plus puissants est impardonnable ». Quelle est l’ampleur de cette fraude ? « Certains parlent de 30 milliards, d’autres de 100 milliards ». Les 4000 emplois qui ont été supprimés au cours des dix dernières années dans les services de contrôle n’aident pas à clarifier la situation. Mais le gouvernement envisage de recruter 1500 emplois en faveur du contrôle fiscal d’ici à 2027. Gabriel Attal veut aussi renforcer les sanctions pour les fautes les plus graves « par exemple lorsqu’il y a dissimulation d’avoirs à l’étranger…Nous travaillons avec Eric Dupont-Moretti à une sanction d’indignité fiscale et civique ». Si bien qu’un fraudeur pourrait être même condamné à des travaux d’intérêt général. « En plus de payer son amende, le gros fraudeur ira repeindre le centre des impôts ». Vraiment ? Nous attendons des preuves.

Il semble que Gabriel Attal ait obtenu du Président Macron la possibilité de chercher à créer une COP (conférence des parties) fiscale au niveau international sur le modèle des COP climatiques « Le gouvernement en attend de nouvelles avancées en matière de transparence fiscale dans le prolongement du travail réalisé par l’OCDE pour combattre les paradis fiscaux[2] ».

Le livre : « Offshore. Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux »[3] de Renaud Van Ruymbeke, juge d’instruction pendant vingt ans, aujourd’hui retraité, nous montre l’ampleur et la complexité des questions de la fraude fiscale. Dans la préface de ce livre, le journaliste Christophe Boisbouvier parle des paradis fiscaux comme le « vrai scandale du siècle ». Et il nous met devant les choix qui sont devant nous : « Au moment où les services d’urgence des hôpitaux sont démunis, faute de ressources, la lutte anticorruption est plus nécessaire que jamais ». « Du Luxembourg à l’Etat du Delaware (Etats-Unis), de Hong Kong à Singapour, cet ouvrage détruit la réputation d’Etats qui annoncent en fanfare la création d’une « task force anticorruption » mais qui en réalité font tout pour protéger le secret bancaire ». Et encore ceci : « Au fil de la lecture, on apprend comment, du temps de François Mitterrand et de Jacques Chirac, deux de leurs lieutenants les plus fidèles, Michel Charasse et Jean Toubon, ont tenté d’intimider le juge emblématique qu’était déjà Van Ruymbeke, premier magistrat en France à perquisitionner le siège d’un parti politique, celui du Parti socialiste ». Pour bien marquer que la fraude fiscale est universelle, le premier chapitre du livre est intitulé « Un certain M.Poutine » et parle du Shéhérazade, un yacht de luxe avec deux pistes d’hélicoptère que les membres d’équipage appellent « le navire de Poutine », surnommé aussi le « kremlin aquatique ». Bien difficile d’établir qui est vraiment le propriétaire « car le yacht est immatriculé aux îles Caïmans, paradis fiscal notoire, et la société qui le possède, baptisée Beilor, serait enregistrée aux Iles Marshall en Micronésie, également réputées pour leur opacité. Deux Etats confettis spécialisés dans le blanchiment de l’argent sale ».

Le livre de Ruymbeke se termine sur une lueur d’espoir : « Je suis convaincu que malgré l’ampleur des difficultés et les montants astronomiques en jeu, les Etats finiront par se réveiller…C’est à mon sens une évolution inéluctable à terme ». Mais il est conscient aussi des difficultés. « C’est là une réforme longue et difficile à mettre en œuvre, mais inévitable si les Etats veulent recouvrer les sommes considérables dont ils sont spoliés…Ces fonds pourraient être aussi utilisés pour financer les mesures coûteuses que les Etats vont devoir engager, de toute urgence, pour lutter contre le réchauffement climatique et la préservation de notre environnement ».

Seule une régulation à l’échelle mondiale permettrait d’éliminer les paradis fiscaux. Plus modestement peut-on penser qu’Emmanuel Macron comprenne qu’il doit vraiment lutter contre la fraude fiscale ?

Guy Roustang


[1] Le Monde, 10 mai, p.7.

[2] Le Monde 11 mai, p.9. Dans le livre de Van Ruymbeke, p.191 il est question du G 20 et de l’OCDE qui ont tenté de remédier aux paradis fiscaux.

[3] Livre paru en novembre 2022 aux éd. « Les liens qui libèrent »